Première prise de position du Tribunal de l'Union européenne sur les accords de report d'entrée dans le secteur pharmaceutique
Un accord de report d’entrée dans le secteur des médicaments peut être restrictif de concurrence par objet.
Trib. UE, 8 août 2016, n° T-472/13
Le contexte : les réactions face au développement des génériques. – Le secteur des médicaments a toujours donné lieu à des débats intéressants en droit de la concurrence, qu’il s’agisse des relations avec le droit de la propriété intellectuelle1, ou encore de la nécessaire prise en compte du contexte juridique et de l’incidence des règles de sécurité sociale2. Depuis quelques années, les grands laboratoires, détenteurs des brevets sur les principaux médicaments, sont confrontés à l’apparition et au développement des médicaments génériques, le phénomène étant encouragé dans de nombreux États par les pouvoirs publics. Pour s’adapter à ces nouvelles données, les stratégies des grands groupes pharmaceutiques sont diverses. Certaines sont tout à fait licites, comme le fait de se lancer soi-même sur les marchés des génériques. D’autres peuvent reposer sur des pratiques anticoncurrentielles.
De nombreuses autorités de concurrence ont été saisies d’affaires en relation avec la concurrence entre les médicaments princeps et les médicaments génériques3. Tel a été le cas par exemple en France où deux décisions importantes ont été rendues : la première dans l’affaire Sanofi-Aventis où des pratiques de dénigrement du générique ont été condamnées
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Pour mémoire, tel a été le cas dans le premier arrêt de la Cour de justice sur l’article 86 du traité de Rome (devenu TFUE, art. 102) dans l’affaire Parke-Davis (CJCE, 29 févr. 1968, n° 24/67, Parke, Davis and Co.).
Les exemples sont nombreux, comme les arrêts de la Cour dans l’affaire Bayer (CJCE, 6 janv. 2004, n° C-2/01 et C-3/01 P, BAI et Commission c/ Bayer), ou encore Glaxo (CJCE, 6 oct. 2009, C-501/06 P, n° C-513/06 P, C-515/06 P et C-519/06 P, GlaxoSmithKline Services c/ Commission).
V. l’étude menée par le Comité sur la politique de concurrence de l’OCDE en 2014, « Concurrence et les médicaments génériques » : http://www.oecd.org/daf/competition/generic-pharmaceuticals-competition.htm.
Aut. conc., déc. 13-D-11, 14 mai 201 ; et sur recours, CA Paris, 18 déc. 2014 ; puis, en dernier lieu, Cass. com., 18 oct. 2016, n° 15-10384.
Aut. conc., déc. 13-D-21, 18 déc. 2013, et sur recours, CA Paris, 26 mars 2015.
V. not. le rapport de la France à l’OCDE (étude préc.), DAF/COMP/WD(2014)80.
Comm. CE, déc. 1 juin 2005, aff. 37507 ; et sur recours, Trib. UE, 1er juill. 2010, n° T-321/05 ; et sur pourvoi, CJUE, 6 déc. 2012, n° C-457/10, AstraZeneca AB et AstraZeneca plc c/ Commission.
C. suprême américaine, 17 juin 2013, n° 12-416 : v. not. Wright J.-D., « FTC v. Actavis and the Future of Reverse Payment Cases », Concurrences, n° 4-2013, art. 59203, www.concurrences.com ; Hovenkamp H.-J., « Anticompetitive Patent Settlements and the Supreme Court’s Actavis Decision » : 15 Minnesota Journal of Law, Science & Technology 3 (2014), disponible sur SSRN-id2286255.pdf.
V. à l’OCDE, le compte rendu final, DAF/COMP/M(2014)2/ANN3/FINAL, 30 janv. 2015.
V. la conclusion de l’enquête sectorielle, Comm. CE, « Synthèse du rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique », COM(2009) 351 final.
V. à l’OCDE, le compte rendu final, DAF/COMP/M(2014)2/ANN3/FINAL, préc.
Comm. UE, déc. 10 déc. 2013, aff. 39685.
Comm. UE, déc. 19 juin 2013, aff. 39226.
Deux accords ont été conclus avec Merck, le premier pour le Royaume-Uni, le second pour l’Espace économique européen (EEE), deux accords avec Arrow, le premier pour le Royaume-Uni et le second pour le Danemark, un accord avec Alpharma et un accord avec Ranbaxy, tous deux pour l’EEE. Les génériqueurs ont reçu, pour Merck, environ 19,4 et 12 millions d’euros, pour Arrow, plus de 5,5 millions GBP, pour Alpharma, 12 millions USD, et pour Ranbaxy, 9,5 millions USD.
En dehors de l’arrêt Lundbeck (publié au Recueil), cinq autres arrêts ont été rendus le même jour (n° T-460/13, Sun Pharmaceutical Industries [anciennement Ranbaxy Laboratories Ltd. and Ranbaxy UK], n° T-467/13, Arrow Group et Arrow Generics, n° T-469/13, Generics (UK), n° T-470/13, Merck, n° T-471/13, Xellia Pharmaceuticals ApS et Alpharma LLC).
V. Comm. UE, déc. 9 juill. 2014, aff. 39612, dans l’affaire dite Servier. La Commission a condamné le laboratoire français et cinq laboratoires de génériques pour des accords visant à retarder l’entrée sur le marché des génériques du périndopril. Le groupe français, également condamné sur le terrain de l’article 102 du TFUE (n° T-684/14), et les laboratoires parties aux accords ont formé des recours qui sont toujours pendants (n° T-677/14, T-679/14, T-680/14, T-682/14, T-691/14, T-701/14 et T-705/14).
Pour un rappel des principes, v. Trib. UE, 8 sept. 2016, n° T-472/13, H. Lundbeck A/S, pts 98 à 114.
Merck, Arrow, Alpharma, Ranbaxy.
V. not. TPICE, 15 sept. 1998, n° T-374/94, T-375/94, T-384/94 et T-388/94, European Night Services Ltd. et a. c/ Commission : Europe 1998, comm. 377 – Trib. UE, 29 juin 2012, n° T-360/09 : Europe 2012, comm. 332.
V. pour le rappel des principes, Trib. UE, 8 sept. 2016, n° T-472/13, préc., pts 338 à 344.
CJCE, 20 nov. 2008, n° C-209/07, Beef Industry Development et Barry Brothers : Europe 2009, comm. 34.
CJUE, 11 sept. 2014, n° C-67/13 P, Groupement des cartes bancaires (CB) c/ Commission : RDC 2015, n° 111m3, p. 100, note Behar-Touchais M. ; Concurrences, n° 4-2014, p. 110-118, note Behar-Touchais M. ; Europe 2014, comm. 466.
Trib. UE, 8 sept. 2016, n° T-472/13, préc., pt 434.
V. surtout sur ce point, Trib. UE, 8 sept. 2016, n° T-470/13, préc., pts 258 et s.
V. surtout Trib. UE, 8 sept. 2016, n° T-471/13, préc., et n° T-460/13, préc.
« La notion de restriction par objet n’existant pas en droit américain et n’étant pas comparable à la règle “per se” en raison de la possibilité de justifier une telle restriction sous l’angle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, il n’est pas exact d’assimiler la “rule of reason” en droit américain à l’examen des effets en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (…) » (Trib. UE, 8 sept. 2016, n° T-471/13, préc., pt 331, et n° T-460/13, pt 295).
Trib. UE, 8 sept. 2016, n° T-472/13, pts 451 et s.
Ibid., pts 479 et s.
Ibid., pts 710 et s.
La durée des accords était relativement brève : 21 mois et un an pour les accords Merck ; respectivement 21 mois et 10 mois pour les accords Arrow ; 16 et 18 mois respectivement pour les accords Alpharma et Ranbaxy.
V. les observations de Bernadeau L. : Concurrences, n° 4-2016, p. 90. Le montant le plus élevé est de l’ordre de 21 millions d’euros pour Merck, et de 10 millions d’euros pour les autres entreprises.
V. sur le site de la DG Concurrence,
http://ec.europa.eu/competition/sectors/pharmaceuticals/inquiry/patent_settlements_report6_en.pdf.
76 accords conclus pour la seule année 2014.
Un quart des accords poseraient des problèmes de concurrence.
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