Le contrôle des nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant
Si les contractants ont acquis grâce à la réforme de nouveaux pouvoirs unilatéraux, leur exercice est soumis au contrôle du juge. De nombreuses questions peuvent alors se poser. Devant quel juge et à quel moment peut intervenir ce contrôle ? Quelle est son étendue et quelle doit être son intensité ? Les réponses à ces questions sont essentielles pour que les contractants puissent désormais user, en toute sécurité et sans en abuser, de ces nouveaux pouvoirs qui leur sont confiés par le législateur.
L’émergence de nouveaux pouvoirs unilatéraux au bénéfice des contractants a-t-elle réellement réduit le rôle du juge ? Difficile à dire pour l’instant, mais ce qui est sûr c’est qu’elle a déplacé le moment de son intervention1. Le juge n’intervient plus en amont, pour prononcer une sanction ou autoriser un contractant à agir. Il intervient en aval, pour contrôler le bon usage du pouvoir que la loi a confié à ce contractant et le cas échéant sanctionner son mauvais usage2.
Pourquoi ce déplacement ? Le but poursuivi par les rédacteurs de l’ordonnance figure dans le rapport au président de la République : « Dans une perspective d'efficacité économique du droit, l'ordonnance offre également aux[...]
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Mekki M., « Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat », RDC 2016, n° 113f6, p. 400 ; Ancel N., « Le juge et les remèdes à l’exécution du contrat », RDC 2016, n° 113f3, p. 408. Dans le même sens, Chantepie G. et Latina M., La réforme du droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2016, Dalloz, n° 656. Plus généralement sur cette question, v. Lemay P., Le principe de la force obligatoire du contrat à l’épreuve du développement de l’unilatéralisme, 2014, Mare & Martin.
Hamelin J.-F., « L’exercice des pouvoirs », RDC 2018, n° 115h8, p. 514, supra.
Mazeaud D., « La place du juge en droit des contrats », RDC 2016, n° 113e3, p. 354, spéc. n° 29 et s.
La même disposition est reproduite dans le CPC, art. 848, concernant la compétence du tribunal d’instance, et dans le CPC, art. 872, concernant la compétence du tribunal de commerce.
La même disposition est reproduite dans le CPC, art. 849, al. 1er, concernant la compétence du tribunal d’instance et dans le CPC, art. 872, al. 1er, concernant la compétence du tribunal de commerce.
Alors qu’auparavant, dans la plupart des cas, « décider unilatéralement de ne plus honorer son engagement, c'est se faire justice à soi-même, ce qui est caractéristique d'un trouble manifestement illicite » : Cayrol N., Rép. Pr. civ. Dalloz, v° Référé civil, 2018, n° 373.
Comp. CA Paris, 14e ch., sect. A, 28 janv. 2009, n° 08/17748 : RTD civ. 2009, p. 529, obs. Fages B., ordonnant la condamnation en référé d’un fournisseur à maintenir le tarif prévu, qu’il voulait augmenter en raison d’un changement de circonstances, et à honorer les commandes jusqu’au terme du contrat sur le fondement de l’article 873, alinéa 1er, CPC et de l’existence d’un trouble manifestement illicite.
Cass. 1re civ., 29 mai 2001, n° 99-12478 : RTD civ. 2001, p. 590, obs. Mestre J. et Fages B. V. également CA Aix-en-Provence, 1re ch., sect. B, 22 janv. 2004, n° 03/11873 : Bull. Aix, n° 2004-2, p. 56, obs. Weiller L. ; RTD civ. 2004, p. 731, obs. Mestre J. et Fages B.
Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, n° 99-18576 : Bull. civ. I, n° 286 ; D. 2001, p. 256, note Jamin C. et Billiau M. ; D. 2001, p. 1137, obs. Mazeaud D. ; Defrénois 15 avr. 2001, n° 37340, p. 437, obs. Savaux É. ; Procédures 2001, n° 35, obs. Croze H. ; Contrats, conc. consom. févr. 2001, comm. 19, obs. Leveneur L. ; RTD civ. 2001, p. 135, obs. Mestre J. et Fages B. – Cass. com., 10 nov. 2009, n° 08-18337 ; D. 2011, p. 540, obs. Ferrier D. ; LPA 16 mars 2010, p. 13, note Lefrand-Dumont M. – Cass. soc., 6 févr. 2013, n° 11-11740 : Bull. civ. V, n° 27 ; Dr. soc. 2013, p. 415, note Mouly J. ; RDT 2013, p. 630, note Adam P. ; Procédures avr. 2013, comm. 107, obs. Bugada A.
V. par ex., considérant que le juge des référés qui ordonne la suspension de la dénonciation régulière d’un contrat en l’absence de dommage imminent dûment constaté excède les limites de sa saisine : CA Paris, 5-4, 5 juill. 2017, n° 17/08926 : RDC 2017, n° 114t5, p. 66, note Cayrol N.
Comp. Cass. com., 26 févr. 1991, n° 89-16348 : Bull. civ. IV, n° 87 : sur le fondement de l’article 873, alinéa 1er, CPC, la Cour de cassation approuve le juge des référés d’avoir ordonné la livraison de matériels de nouvelle génération qui pour le débiteur n’entraient pas dans le cadre du contrat, au motif que ce refus de livraison était susceptible d’entraîner un dommage imminent.
Hamelin J.-F., « L’exercice des pouvoirs », RDC 2018, n° 115h8, p. 514, supra.
V. not. sur cette question Blanc N., « Le juge et les standards juridiques », RDC 2016, n° 113f5, p. 394 ; B. Sturlèse, « Le juge et les standards juridiques », RDC 2016, n° 113h1, p. 398.
V. Roubier P., Théorie générale du droit, Histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs sociales, 2e éd., 1951, Sirey, p. 110 et s. : « Le standard aboutit évidemment à donner un rôle plus considérable au juge, qui ne se bornera pas à appliquer d’une manière mécanique une règle dans l’espèce, mais qui devra étudier la conduite du défendeur et la comparer à un type-modèle (…). Naturellement, cet avantage se paie, comme toujours, car il est acquis aux dépens de sécurité juridique » (p. 112).
Carbonnier J., « Les notions à contenu variable dans le droit français de la famille », in Perelman C. et Vander Elst R. (dir.), Les notions à contenu variable dans le droit, 1984, Bruylant, p. 99.
V. par ex. à propos de la notification d’un cas de force majeure : Fontaine M. et De Ly F., Droit des contrats internationaux. Analyse et rédaction de clauses, 2e éd., 2003, Bruylant, p. 452 et s.
Qui appliquent parfois cette exigence même en l’absence de précision, sur le fondement de la mauvaise foi du contractant qui attend trop longtemps pour mettre en œuvre une clause. V. à propos d’une clause résolutoire, Cass. 1re civ., 31 janv. 1995, n° 92-20654 : Bull. civ. I, n° 57, p. 41 ; D. 1995, p. 389, note Jamin C. et p. 230, note Mazeaud D.
Fontaine M. et De Ly F., Droit des contrats internationaux. Analyse et rédaction de clauses, 2e éd., 2003, Bruylant, p. 232 et s.
En ce sens Blanc N., « Le juge et les standards juridiques », RDC 2016, n° 113f5, p. 394.
Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2016, LexisNexis, p. 483.
C. com., art. L. 442-6, I, 2° : il faut respecter un préavis « tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».
Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-20468 : Bull. civ. IV, n° 115 : « Le délai du préavis suffisant s’apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ».
Pour de nombreux exemples v. Fages B. (dir.), Le Lamy Droit du contrat, 2017, Wolters-Kluwer, n° 2550.
V. pour la gravité du comportement de l’auteur d’une inexécution : Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 01-03662 : Bull. civ. I, n° 211 ; RDC 2004, p. 273, obs. Aynès L. ; RLDC 2004/2, n° 40, note Garaud E. ; RTD civ. 2004, p. 89, obs. Mestre J. et Fages B.
Heinich J., Le droit face à l’imprévisibilité du fait, 2015, PUAM, préf. Mestre J., n° 195 et s.
Cass. 2e civ., 8 févr. 2018, n° 16-26198, PB : cassation au visa de l’art. 455 CPC car la cour d’appel s’était prononcée par une seule « affirmation d'ordre général (…) sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur les circonstances particulières dans lesquelles il était survenu ».
Cass. 2e civ., 8 févr. 2018, n° 17-10516, PB : « Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l'agresseur de Valéry B... souffrait de schizophrénie et entendait des voix, qu'aucune altercation n'avait opposé les deux hommes qui ne se connaissaient pas, qu'un laps de temps très court s'était écoulé entre le début de l'agression et la collision avec le train, que l'enquête pénale avait conclu à un homicide volontaire et à un suicide et qu'aucune mesure de surveillance ni aucune installation n'aurait permis de prévenir ou d'empêcher une telle agression, sauf à installer des façades de quai dans toutes les stations ce qui, compte tenu de l'ampleur des travaux et du fait que la SNCF n'était pas propriétaire des quais, ne pouvait être exigé de celle-ci à ce jour ».
En faveur d’un rôle étendu de la Cour de cassation en la matière, v. not. Blanc N., « Le juge et les standards juridiques », RDC 2016, n° 113f5, p. 394 ; Aynès L., « Le juge et le contrat : nouveaux rôles ? », RDC 2016, n° 112z2, p. 14, HS ; Mekki M., « Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat », RDC 2016, n° 113f6, p. 400, préc.
V. CA Versailles, 28 nov. 2017, n° 16/04524 : RDC 2018, n° 114x4, p. 71, note Grimaldi C., qui estime que la présence d’une clause résolutoire n’empêchait pas le créancier de procéder à une résolution unilatérale du contrat, peu important que le manquement invoqué ait été visé par la clause.
En ce sens v. not. Bénabent A., Droit des obligations, 2017, 16e éd., LGDJ, n° 366 ; Laithier Y.-M., « Les sanctions de l’inexécution du contrat », RDC 2016, n° 112y4, p. 39, HS.
C. civ., art. 1219 et C. civ., art. 1224. La jurisprudence est déjà très stricte sur ce point concernant l’exception d’inexécution, notamment en matière de baux (Bénabent A., Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 11e éd., 2015, LGDJ, nos 353 et 358). Elle n’admet la légitimité de la suspension du versement des loyers par le locataire que lorsque l’usage de la chose est rendu impossible par l’absence d’entretien : v. par ex. Cass. 3e civ., 21 déc. 1987, n° 86-13861 : Bull. civ. III, n° 212, p. 125).
V. Bénabent A., Droit des obligations, 2017, 16e éd., LGDJ, n° 370, qui estime qu’une diminution raisonnable du loyer pourrait être décidée par un locataire victime d’une inexécution grave de la part du bailleur.
Cass. 1re civ., 18 juill. 1995, n° 93-16338 : Bull. civ. I, n° 322, p. 225 ; RTD civ. 1996, p. 395, obs. Mestre J. V. égal. Cass. com., 16 juill. 1980, n° 78-15956 : Bull. civ. IV, n° 297 ; RTD civ. 1981, p. 398, obs. Chabas F. ; Cass. 1re civ., 25 nov. 1980, n° 79-14791 : D. 1982, p. 221, note Gourlay G.
Grimaldi C., « La fixation du prix », RDC 2017, n° 114q4, p. 558, n° 19.
Laithier Y.-M., « Les sanctions de l’inexécution du contrat », RDC 2016, n° 112y4, p. 39, HS.
V. Fages B. (dir.), Le Lamy Droit du contrat, 2017, Wolters-Kluwer, n° 2097 (à propos de la bonne foi dans l’exercice de l’exception d’inexécution).
Cass. 3e civ., 25 nov. 2009, n° 08-21384 : Bull. civ. III, n° 262 – Cass. com., 15 mai 2012, n° 10-26391 et 11-13972.
Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13990 : RTD civ. 2011, p. 351, obs. Fages B. ; BMIS 2011, n° 281, note Lucas F.-X. ; JCP E 2011, 14, note Couret A. et Dondero B. : « Hors le cas de fraude, l'ouverture de la procédure de sauvegarde ne peut être refusée au débiteur, au motif qu'il chercherait ainsi à échapper à ses obligations contractuelles, dès lors qu'il justifie, par ailleurs, de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à le conduire à la cessation des paiements ».
V. C. com., art. L. 611-7, al. 1er : « Le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d'un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l'entreprise. »
C. com., art. L. 611-4 et s.
En matière de mandat ad hoc, v. Cass. com., 22 sept. 2015, n° 14-17377 : « Un créancier appelé à négocier dans le cadre d'une procédure de mandat ad hoc n'est pas tenu d'accepter les propositions du mandataire ad hoc ».
Seule l’exception d’inexécution classique est neutralisée lorsqu’elle intervient après l’ouverture d’une procédure collective et que les manquements invoqués sont antérieurs à cette ouverture : Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-19463. V. cependant plus largement sur cette question Watrin L., « L’exception d’inexécution préventive : une menace contre l’efficacité des procédures amiables ? », Rev. proc. coll. juill. 2018, étude 17.
Cadiet L. et Le Tourneau P., Rép. Civ. Dalloz, v° « Abus de droit », 2017, n° 88.
La nouvelle version de l’alinéa 2 de l’article 1165, applicable rétroactivement aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 en raison de son caractère interprétatif affirmé par l’article 16, I, de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018, dispose que : « En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat. »
En ce sens, analysant la décision de rupture unilatérale aux risques et périls en un acte juridique susceptible d’être annulé par le juge, du moins dans les contrats à durée déterminée : Chauviré P., « Quelle sanction pour la rupture unilatérale du contrat en l’absence de comportement grave ? », RLDC 2010/ 75, n° 3951.
V. par ex. pour un licenciement intervenu en violation d’une liberté fondamentale du salarié : Cass. soc., 26 sept. 1990, n° 88-41375 : Dr. soc. 1991, p. 60, obs. Waquet P. et Ray J.-E. ; pour un licenciement irrégulier d’un salarié protégé : Cass. soc., 14 juin 1972, n° 71-12508 : D. 1973, p. 114, note Catala N. ; JCP G 1972, II 17275, note Lyon-Caen G..
Mestre J., « Rupture abusive et maintien du contrat », RDC 2005, p. 99.
V. supra.
À propos de l’ouverture d’un crédit révoqué sans respect du préavis : Cass. com., 14 févr. 1989, n° 87-14629 : RTD com. 1989, p. 507, obs. Cabrillac M. et Teyssié B. – Cass. com., 3 déc. 1991, n° 90-13714 : RJDA 1992, n° 63. À propos d’une rupture brutale de relations commerciales établies : Cass. com., 3 mai 2012, n° 10-28366 : JCP E 2012, 1443, obs. Buy F. Plus généralement, v. Pancrazi-Tian M.-E., La protection judiciaire du lien contractuel, PUAM, 1995, préf. Mestre J., spéc. n° 271 et s.
Cass. com., 27 sept. 2017, n° 16-13112 : Rev. sociétés 2018, p. 27, note Kouhaiz S. ; AJCA 2017, p. 542, note Coupet C. ; Dr. sociétés 2018, comm. 20, note Mortier R. ; RTD civ. 2017, p. 859, obs. Barbier H.
Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2016, LexisNexis, p. 505 ; Chantepie G. et Latina M., La réforme du droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2016, Dalloz, n° 656 ; Stoffel-Munck P., « La résolution par notification : questions en suspens », Dr. & patr. mensuel, n° 240, p. 67, spéc. p. 68. Dans le même sens, mais limitant cette solution aux contrats à durée déterminée : Chauviré P., « Quelle sanction pour la rupture unilatérale du contrat en l’absence de comportement grave ? », RLDC 2010/ 75.
En ce sens, v. Fages B. (dir.), Le Lamy Droit du contrat, 2017, Wolters-Kluwer, 2017, n° 2272.
Revet T., « Le juge et la révision du contrat », RDC 2016, n° 113g6, p. 373.
Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2016, LexisNexis, p. 495.
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Plan
- 1Les nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant
- 1.1Les nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant – Présentation
- 1.2L’étendue des nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant
- 1.3L’exercice des nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant
- 1.4Le contrôle des nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant
- 1.5Les nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant – Synthèse