L'exercice des nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant
L’exercice des nouveaux pouvoirs unilatéraux suscite, indépendamment du contrôle que le juge peut en exercer, de nombreuses interrogations. Tout d’abord, le vocabulaire même de l’ordonnance conduit à se demander comment ces pouvoirs sont exercés. En effet, comment s’articulent les mises en demeure, notifications, délais raisonnables et autres meilleurs délais qui parsèment les textes nouveaux ? En outre, les exigences que reflètent ces termes peuvent-elles être aménagées voire supprimées ? Ensuite, la question de savoir pourquoi ces pouvoirs unilatéraux se pose également, puisque le législateur a instauré dans certains cas une obligation de motivation. Toutefois, l’existence sporadique de cette obligation comme son exigibilité variable ne sont pas, là aussi, sans interpeller.
Dans toute trilogie, le succès du premier épisode constitue un défi pour les suivants. Le deuxième ne sera-t-il pas qu’une simple copie de celui qui a initié la saga ? Là n’est pas le seul écueil auquel le deuxième épisode doit échapper. Celui-ci doit effectivement cultiver l’engouement du public tout en laissant une part de mystère suffisante pour que ce dernier ait envie de découvrir le troisième opus.
Autrement dit, en[...]
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Sur l’existence des pouvoirs, v. Houtcieff D., « L’étendue des pouvoirs », RDC 2018, n° 115n0, p. 505, supra.
Sur le contrôle des pouvoirs, v. Heinich J., « Le contrôle des pouvoirs », RDC 2018, n° 115h4, p. 521, infra.
Cass. com., 10 juill. 2007, n° 06-14768 : Bull. civ. IV, n° 188 ; Capitant H., Terré F., Lequette Y. et Chénedé F., Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 13e éd., 2015, Dalloz, p. 163 et s., n° 164.
V. not. Fenouillet D., « La notion de prérogative : instrument de défense contre le solidarisme ou technique d’appréhension de l’unilatéralisme », RDC 2011, p. 644 et s., spéc. nos 14 et s. et nos 23 et s.
Rapp. Chénedé F., « Les conditions d’exercice des prérogatives contractuelles », RDC 2011, p. 709 et s., spéc. nos 2 et 3 ; Bénabent A., Droit des obligations, 16e éd., 2017, LGDJ, p. 248, n° 301.
Dans le chapitre IV consacré aux effets du contrat, il n’est guère question de l’exécution du contrat. En revanche, l’inexécution fait l’objet d’une section entière, la cinquième et dernière de ce chapitre.
C. civ., art. 1342 et s.
Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, nos 91-15578 et 91-15999 : Bull. ass. plén., nos 7 à 9 ; sur ceux-ci, v. not. Capitant H., Terré F., Lequette Y. et Chénedé F., Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 13e éd., 2015, Dalloz, p. 151 et s., nos 152-155.
Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 96-21485 : Bull. civ. I, n° 300. Sur cet arrêt, voir not. Capitant H., Terré F., Lequette Y. et Chénedé F., Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 13e éd., 2015, Dalloz, p. 250 et s., n° 181.
Comp. Revet T., « La légisprudence », in Mélanges Philippe Malaurie, 2005, Defrénois, p. 380, n° 4.
V. Gaillard E., Le pouvoir en droit privé, 1985, Economica, préf. Cornu G., p. 150, n° 235.
Un même débat existe à propos de la nullité du contrat. V. not. Houtcieff D., « Les sanctions des règles de formation des contrats », in Terré F. (dir.), Pour une réforme du droit des contrats, 2008, Dalloz, p. 227-228, n° 9 ; Simler P., « Sanctions (1129 à 1133) », in Catala P. (dir.), Rapport sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations (C. civ., art. 1101 à 1386) et du droit de la prescription (C. civ., art. 2234 à 2281), 2005, La Documentation française, p. 45 ; contra Hamelin J.-F., « Le caractère judiciaire de la nullité à l’heure de la réforme du droit des contrats », LPA 9 déc. 2014, p. 4 et s. ; Hamelin J.-F., « La nullité judiciaire », in Latina M. et Chantepie G. (dir.), Projet de réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Analyses et propositions, 2015, Dalloz, p. 54 et s.
Elle était exigée par l’ancien article 1230 pour la mise en œuvre d’une clause pénale sanctionnant une obligation de faire. Elle était, selon l’ancien article 1146, un préalable nécessaire à l’obtention de dommages et intérêts en cas de retard dans l’exécution. Elle permettait en vertu de l’ancien article 1138 de faire peser le risque de perte de la chose sur celui qui devait la livrer. Elle était en revanche inconnue de la lettre de l’ancien article 1184 et c’est donc la jurisprudence qui l’avait imposée en cas de résolution pour inexécution.
V. Latina M. et Chantepie G., La réforme du droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 1re éd., 2016, Dalloz, p. 570, n° 657 ; Choné-Grimaldi A.-S., « Article 1226 », in Douville T. (dir.), La réforme du Droit des contrats, Commentaire article par article, 2016, Gualino, p. 230.
V. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, 2016, LexisNexis, p. 482.
V. Chénedé F., Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2016, Dalloz, n° 28.173.
V. not. Andreu L. et Thomassin N., Cours de droit des obligations, 2e éd., 2017, Gualino, n° 917 ; Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, 2016, LexisNexis, p. 503.
Voir Bénabent A., Droit des obligations, 16e éd., 2017, LGDJ, p. 310, n° 392.
Sur l’interprétation de ce passage, voir les doutes de Chénedé F., Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2016, Dalloz, n° 28.173.
V. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, 2016, LexisNexis, p. 507. Rapp. Malaurie P., Aynès L. et Stoffel-Munck P., Droit des obligations, 9e éd., 2017, LGDJ, n° 895.
V. not. Latina M. et Chantepie G., La réforme du droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 1re éd., 2016, Dalloz, p. 832, n° 978.
Voir, en ce sens, Malaurie P., Aynès L. et Stoffel-Munck P., Droit des obligations, 9e éd., 2017, LGDJ, n° 881.
Par ailleurs, si les parties à un contrat peuvent valablement stipuler une clause de dédit gratuit ou une clause de résiliation unilatérale et ainsi permettre à l’une d’entre elles de sortir du contrat sans qu’une inexécution soit nécessaire, ne faut-il pas admettre a fortiori que ces mêmes parties puissent aménager comme elles l’entendent leur sortie en cas d’inexécution ?
Face à une telle clause, courante en pratique, il n’y a guère que deux garde-fous. En amont, la validité d’une telle clause suppose que celle-ci soit stipulée de manière expresse et non équivoque (Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-15655 : Bull. civ. I, n° 131). En aval, le juge peut contrôler l’exercice déloyal d’une prérogative contractuelle et rien n’interdit fondamentalement de voir dans les nouveaux pouvoirs unilatéraux de telles prérogatives.
Comp. Latina M. et Chantepie G., La réforme du droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 1re éd., 2016, Dalloz, p. 832, n° 978 : « Il est loisible aux parties de modifier les modalités de la mise en demeure. Cela peut se traduire, bien sûr, par l’abandon pur et simple de l’exigence de mise en demeure, l’échéance du terme mettant alors automatiquement le débiteur en demeure ».
C. civ., art. 2018-2 (fiducie sur créances) ; C. civ., art. 815-14 ; C. civ., art. 815-15 ; C. civ., art. 815-16 et C. civ., art. 815-18 (droit de préemption des coïndivisaires) ; C. civ., art. 2363 (nantissement de meubles incorporels) ; C. civ., art. 1872-2 (dissolution par notification d’une société en participation à durée indéterminée) ; C. civ., art. 1832-2 (apport de biens commun à une société dont les titres ne sont pas négociables) ; C. civ., art. 1861 et C. civ., art. 1863 (cession de parts sociales d’une société civile et agrément).
Il faut d’ailleurs noter que la loi de ratification du 20 avril 2018 n’a rien changé à ce niveau.
Contra, à propos de la résolution par notification, Malaurie P., Aynès L. et Stoffel-Munck P., Droit des obligations, 9e éd., 2017, LGDJ, n° 895.
Le délai raisonnable est, par exemple, connu du Code de commerce (C. com., art. L. 134-7 ; C. com., art. L. 470-1 ; C. com., art. R. 134-2 ; C. com., art. R. 621-21) ou encore du code de la consommation (C. consom., art. L. 121-4 ; C. consom., art. L. 216-2 ; C. consom., art. L. 221-13 ; C. consom., art. L. 312-69 ; C. consom., art. L. 312-70 ; C. consom., art. L. 312-71 ; C. consom., art. L. 521-1).
V. not. Cass. 3e civ., 10 mai 1972, n° 71-11393 : Bull. civ. III, n° 297 (offre comportant implicitement un délai raisonnable d’acceptation) – Cass. 3e civ., 25 mai 2005, n° 03-19411 : Bull. civ. III, n° 117 (offre comportant implicitement un délai raisonnable d’acceptation) – Cass. 3e civ., 16 mars 2011, n° 10-14051 : Bull. civ. III, n° 35 (délai raisonnable d’exécution d’un contrat d’entreprise) – Cass. 3e civ., 20 mai 2015, n° 14-11851 : Bull. civ. III, n° 51 (délai raisonnable de réalisation de la condition suspensive).
Tout au plus, est-il possible d’y ajouter l’article 1211 relatif au traditionnel droit de résiliation unilatérale d’un contrat à durée indéterminée. Dans ce dernier, le délai raisonnable s’applique au préavis à défaut de prévision contractuelle.
Si la loi de ratification du 20 avril 2018 a modifié l’article 1223, il est remarquable qu’aucun délai raisonnable n’y ait été ajouté.
Art. 9:401 : droit de réduire le prix.
(1) La partie qui accepte une offre d’exécution non conforme au contrat peut réduire le prix. La réduction est proportionnelle à la différence entre la valeur de la prestation au moment où elle a été offerte et celle qu’une offre d’exécution conforme aurait eue à ce moment.
(2) La partie qui est en droit de réduire le prix en vertu de l’alinéa précédent et qui a déjà payé une somme qui excède le prix réduit, peut obtenir du cocontractant le remboursement du surplus.
(3) La partie qui réduit le prix ne peut de surcroît obtenir des dommages et intérêts pour diminution de valeur de la prestation ; mais elle conserve son droit à dommages et intérêts pour tout autre préjudice qu’elle a souffert, pour autant que ces dommages et intérêts seraient dus en vertu de la section 5 du présent chapitre.
Cependant, en présence de la stipulation d’un délai très court voire de la suppression de tout délai, il faut sans doute que le cocontractant usant de son pouvoir unilatéral reste vigilant. En effet, il faut rappeler que la loyauté de son comportement peut toujours être contrôlée par le juge.
À partir du 1er octobre 2018, l’article 1223, alinéa 1er in limine, prévoira qu’« en cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix ».
Toutefois, pour certains auteurs, la notification de l’article 1220 du Code civil pourrait être considérée comme un acte juridique réceptice. V. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, 2016, LexisNexis, p. 483.
Cette exigence d’une notification de la réduction du prix dans les meilleurs délais accrédite l’idée qu’un tel pouvoir est bel et bien reconnu au débiteur du prix. Certes, la loi de ratification du 20 avril 2018 jette le trouble en prévoyant que « l’acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit ». Toutefois, l’acceptation dont il est ici question n’est sans doute pas celle d’une offre, mais plutôt celle qui consiste à prendre acte des effets d’un acte juridique déjà formé comme dans l’article 1206 (stipulation pour autrui) ou l’article 1690 (cession de droits incorporels).
C. civ., art. 1229, al. 2 : « La résolution prend effet (…) à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier ».
V. not. Fabre-Magnan M., « L’obligation de motivation en droit des contrats », in Études offertes à Jacques Ghestin, 2001, LGDJ, p. 301 et s. ; Lagarde X., « La motivation des actes juridiques », in La motivation, Travaux de l’Association Henri Capitant, Journées Nationales, t. III, 2000, LGDJ, p. 73 et s. Comp. plus réservé Cabrillac R., « La motivation des actes individuels : le contrat », RLDC 01/12, p. 91 et s. spéc. II, B.
Comp. Rochfeld J., « Remarques sur les propositions relatives à l’exécution et à l’inexécution du contrat : la subjectivisation du droit de l’exécution », RDC 2006, p. 113 et s., spéc. n° 15.
V. Wicker G., « Force obligatoire et contenu du contrat », in Rémy-Corlay P. et Fenouillet D. (dir.), Les concepts contractuels français à l’heure des principes du droit européen des contrats, 2003, Dalloz, p. 151 et s., spéc. n° 34.
Ce qui impliquerait a fortiori qu’il notifie à son cocontractant sa décision de faire exécuter le contrat par un tiers. V. supra.
V. not Chénedé F., Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2016, Dalloz, n° 28.135 : « Si le législateur a imposé cette obligation de motivation pour la résolution extrajudiciaire, il ne l’a pas mentionnée pour la réduction du prix. Il faut espérer que les magistrats l’exigeront tant elle paraît être la contrepartie nécessaire de cette sanction unilatérale ». Adde à propos de l’exception d’inexécution anticipée Chénedé F., Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2016, Dalloz, n° 28.62.
Sur cette question, v. Lequette S., Le contrat-coopération, Contribution à la théorie générale du contrat, 2012, Economica, préf. Brenner C., p. 388-389, nos 477 et 488.
Contra Chénedé F., Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2016, Dalloz, n° 28.174.
V. not. les doutes de Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, 2016, LexisNexis, p. 507.
Rappr. Malaurie P., Aynès L. et Stoffel-Munck P., Droit des obligations, 9e éd., 2017, LGDJ, n° 895.
Rappr. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, op. cit., p. 272-273.
L’absence de motivation pourrait, quant à elle, même faire présumer l’abus selon certains auteurs. V. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, op. cit., p. 273.
V. Fages B., Droit des obligations, 7e éd., 2017, LGDJ, p. 258, n° 303.
V. Stoffel-Munck P., « La résolution par notification : questions en suspens », Dr. & patr. mensuel, n° 240, p. 67 et s., spéc. III. Contra Gautier P.-Y., « La hiérarchie inversée des modes de résolution du contrat », Dr. & patr. mensuel, n° 240, p. 70 et s.
Rapp. Latina M. et Chantepie G., La réforme du droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 1re éd., 2016, Dalloz, p. 571, n° 659. Comp. Gautier P.-Y., « La hiérarchie inversée des modes de résolution du contrat », mensuel, n° 240, p. 70 et s.
V. Heinich J., « Le contrôle des pouvoirs », RDC 2018, n° 115h4, p. 521, infra.
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Plan
- 1Les nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant
- 1.1Les nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant – Présentation
- 1.2L’étendue des nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant
- 1.3L’exercice des nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant
- 1.4Le contrôle des nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant
- 1.5Les nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant – Synthèse