Le dernier mot - À propos de la nouvelle rédaction de l'article 9, alinéa 2, de l'ordonnance du 10 février 2016
La disposition transitoire inscrite dans l’article 9, alinéa 2, de l’ordonnance du 10 février 2016 est réécrite par la loi du 20 avril 2018. Quelques mots sont ajoutés pour empêcher le juge de conférer à la réforme du droit des contrats une portée temporelle autre que celle décidée par le législateur. Cette nouvelle rédaction n’est pas anodine : elle révèle une lutte de pouvoir dont l’enjeu est de déterminer qui, en droit transitoire, détient le privilège d’avoir le dernier mot.
À la mémoire de Jean Hauser
1. La reprise. L’œuvre législative est comme la mer de Paul Valéry : toujours recommencée. La réforme du droit des contrats est, à son tour, réformée. La loi du 20 avril 2018 ne s’est pas contentée de ratifier purement et simplement l’ordonnance du 10 février 2016, elle a également modifié, sur plusieurs points, le texte originaire1. Si cette réécriture concerne essentiellement des règles substantielles (caducité de l’offre, définition du contrat d’adhésion, domaine de la réticence dolosive, modalités de réduction du prix par exemple), elle affecte aussi des dispositions souvent perçues comme accessoires, à savoir les dispositions transitoires2.
Plus précisément, l’article 9, alinéa 2, de l’ordonnance de 2016, qui détermine le champ d’application dans le temps des normes nouvelles, est complété : « Les dispositions de la présente[...]
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V. L. n° 2018-287, 20 avr. 2018, ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO, 21 avr. 2018.
V. Bénabent A., « Application dans le temps de la loi de ratification de la réforme des contrats (art. 16 de la loi du 20 avr. 2018) », D. 2018, p. 1024 ; Gaudemet S., « Ratification de la réforme du droit des obligations : le droit transitoire », RDC 2018, n° 115g9, p. 59, hors-série.
L. n° 2018-287, 20 avr. 2018, art. 16, III. Nous soulignons.
V. Roubier P., « De l’effet des lois nouvelles sur les contrats en cours », Revue critique de législation et de jurisprudence, 1932, p. 140 et s., repris dans « Le droit transitoire – Conflits des lois dans le temps », 2e éd., 1960, Dalloz et Sirey, p. 360 et s.
Cass. civ., 27 mai 1861 : S. 1861, 1re partie, p. 507 – Cass., req., 24 juill. 1866 : S. 1866, 1re partie, p. 327.
Cass. civ., 7 juin 1901 : D. 1902, 1re partie, p. 109 – Cass., req., 30 nov. 1920 : S. 1921, 1re partie, p. 167.
V. Terneyre P., « Les rapports hiérarchiques entre constitution, loi et contrat en droit positif français », in Renouveau du droit constitutionnel – Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, 2007, Dalloz, p. 1435 ; Terneyre P. et Maugüé C., « Retour sur l’une des composantes de la liberté contractuelle : la non-application des lois nouvelles aux contrats en cours d’exécution », in Les droits de l’homme à la croisée des droits – Mélanges en l’honneur du professeur Frédéric Sudre, 2018, LexisNexis, p. 771.
Cons. const., 6 avr. 2018, n° 2018-697 QPC, « Résiliation des contrats de location d’habitation par certains établissements publics de santé », § 9. V. égal. Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC, « Ratification des ordonnances travail », § 19.
V. en ce sens Gahdoun P.-Y., La liberté contractuelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, vol. 76, 2008, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque de thèses, n° 292 et s.
V. François C., « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure de l’ordonnance de réforme du droit des contrats », D. 2016, p. 507 ; Gaudemet S., « Dits et non-dits sur l’application dans le temps de l’ordonnance du 10 février 2016 », JCP G 2016, act. 559, p. 959.
V. Bareït N., Le droit transitoire de la famille, t. 45, 2010, Defrénois, coll. Doctorat et Notariat, n° 50.
V. Éveillard G., Les dispositions transitoires en droit public français, vol. 62, 2007, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque de thèses, n° 956.
V., pour le détail de la démonstration, Bareït N., « Ordre public et droit transitoire – Exploration d’un lieu commun », Revue de la recherche juridique 2010-1, p. 113.
V. Dekeuwer-Défossez F., Les dispositions transitoires dans la législation civile contemporaine, t. 151, 1977, LGDJ, coll. Bibl. dr. privé, n° 24 ; Gahdoun P.-Y., La liberté contractuelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, vol. 76, 2008, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque de thèses, n° 313.
Cass. 3e civ., 3 juill. 2013, n° 12-21541 : Bull. civ. III, n° 89.
Cass. 3e civ., 17 nov. 2016, n° 15-24552 ; Cass. 3e civ., 23 nov. 2016, n° 16-20475. V. égal. l’avis rendu par la Cour de cassation : Cass. 3e civ., 16 févr. 2015, n° 14-70011.
V. Éveillard G., « Les dispositions transitoires en droit public français », vol. 62, 2007, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque de thèses, n° 1008 et s.
V. Bonneau T., « La Cour de cassation et l’application de la loi dans le temps », 1990, PUF, n° 272.
V. Mainguy D., « Pour l’entrée en vigueur immédiate des règles nouvelles du droit des contrats », D. 2016, p. 1762.
Rapp. n° 22 de M. François Pillet, sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 11 oct. 2017, p. 24.
V. rapp. n° 639 de M. Sacha Houlié sur le projet de loi, modifié par le Sénat en deuxième lecture, ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 7 févr. 2018, p. 40.
L. n° 2018-287, 20 avr. 2018, art. 16, III, al. 2.
V. Malinvaud P., « L’étrange montée du contrôle du juge sur les lois rétroactives », in 1804-2004 – Le Code civil, un passé, un présent, un avenir, 2004, Dalloz, p. 671.
V. Deumier P., « L’intérêt général “impérieux” et les conflits de normes », in L’intérêt général – Mélanges en l’honneur de Didier Truchet, 2015, Dalloz, p. 161.
Cons. const., 2 mars 2016, n° 2015-525 QPC, « Validation des évaluations de valeur locative par comparaison avec un local détruit ou restructuré », § 3. Et le Conseil d’ajouter : « En outre, l’acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; (…) enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ».
L’arrêt fondateur est l’arrêt Zielinski et Pradal et Gonzales et autres c/ France prononcé le 28 oct. 1999 : RTD civ. 2000, p. 436, obs. Marguénaud J.-P. ; JCP G 2000, I, 203, n° 11, obs. Sudre F. V. par la suite CEDH, Cabourdin c/ France, 11 avr. 2006 ; CEDH, Vezon c/ France, 18 avr. 2006 ; CEDH, Saint-Adam et Millot c/ France, 2 mai 2006 ; CEDH, Arnolin et autres c/ France, 9 janv. 2007 ; CEDH, Chiesi SA c/ France, 16 janv. 2007 ; CEDH, Ducret c/ France, 12 juin 2007 ; CEDH, SCM Scanner de l’Ouest Lyonnais et autres c/ France, 21 juin 2007 ; CEDH, Javaugue c/ France, 11 févr. 2010 ; CEDH, Lilly France c/ France (n° 2), 25 nov. 2010.
V. en particulier CEDH, Draon c/ France, 6 oct. 2005 : JCP G 2006, II, 10061, note Zollinger A. V. également CEDH, Maurice c/ France, 6 oct. 2005 ; CEDH, Lecarpentier et autre c/ France, 14 févr. 2006.
L’expression « application générale » est préférable à celle d’« effet immédiat ». V. nos « Remarques intempestives sur l’effet immédiat des lois nouvelles », RLDC 2015, n° 125, p. 61.
Cons. const., 11 oct. 1984, n° 84-181 DC, « Entreprises de presse » : Rec., p. 73 ; AJDA 1984, p. 684, note Bienvenu J.-J. ; RDP 1984, p. 365, comm. Favoreu L.
V. cependant de Béchillon D., « Plaidoyer pour la reconnaissance d’une interdiction faite à l’administration de prendre des décisions inconséquentes au détriment du justiciable », in Long cours – Mélanges en l’honneur de Pierre Bon, 2014, Dalloz, p. 681 ; Calmes-Brunet S., « De la protection constitutionnelle de l’intérêt public général à celle des attentes légitimes des personnes ? », in L’intérêt général – Mélanges en l’honneur de Didier Truchet, 2015, Dalloz, p. 60.
Cons. const., 29 nov. 2017, n° 2017-755 DC, « Loi de finances rectificative pour 2017 », § 44. V. égal. Cons. const., 13 avr. 2018, n° 2018-700 QPC, « Report en avant des déficits des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés en cas d’abandons de créances », § 3.
V. François C., « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure de l’ordonnance de réforme du droit des contrats », D. 2016, p. 508 ; Gaudemet S., « Dits et non-dits sur l’application dans le temps de l’ordonnance du 10 février 2016 », JCP G 2016, act. 559, p. 958.
V. en ce sens Dekeuwer-Défossez F., Les dispositions transitoires dans la législation civile contemporaine, t. 151, 1977, LGDJ, coll. Bibl. dr. privé, n° 69.
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