L'étonnante actualité du retrait litigieux : suite mais pas fin
Le retrait litigieux n’en finit pas d’alimenter la chronique judiciaire, ce que nul n’aurait prédit naguère au vu de l’extrême modestie où l’institution était tombée. Cet étonnant renouveau conduit à se demander pourquoi les débiteurs y recourent désormais avec une telle intensité, et pourquoi la Cour de cassation tend à en assouplir les conditions d’exercice, alors même qu’il était autrefois réglementé de façon stricte. Le réveil du retrait litigieux nous confronte au mystère d’une institution qui a rompu avec les conditions qui ont conduit à sa création, sans que nous parvenions encore à comprendre la place qu’elle occupe dans la constellation du droit privé.
Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, n° 16-22112
On ne compte plus les arrêts importants qui mobilisent le retrait litigieux, comme si cette vénérable institution que l’on avait pu croire en déshérence, exposée au péril d’une suppression législative, connaissait une nouvelle vie depuis la fin du siècle précédent. Il serait utile de déterminer ce qui a bien pu susciter cette vigueur retrouvée du dernier des droits de retrait, les autres ayant progressivement été transformés en droits de préemption1.
On risquera l’hypothèse que ce renouveau tient à deux phénomènes convergents. D’un côté, la sophistication de la vie économique, et plus précisément l’habitude des opérateurs de se refinancer en cédant les créances qu’ils détiennent, sans[...]
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Pillet G., « V° Préemption et retrait », Rép. civ. Dalloz ; plus ancien : Tallon D. « Retraits et préemptions. Contribution à l’étude des retraits », RTD civ. 1951, p. 208.
Sur les renouvellements du retrait dans un contexte financiarisé, v. Hinsinger-Cornileau E., « Le retrait litigieux : un vieil outil au service d’un droit moderne des affaires », LPA 22 sept. 2015, p. 3.
La jurisprudence est un peu désordonnée. Certaines décisions, non publiées au Bulletin civil, semblent avoir reculé devant l’exercice du retrait : Cass. 1re civ., 22 mars 2011, n° 09-17118 ; Cass. com., 18 sept. 2007, n° 06-16617 : JCP E 2007, 2580, 2e arrêt, note Markhoff P. La majorité l’accepte : Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 02-12451 : Bull. civ. I, n° 319, p. 265 ; RTD civ. 2005, p. 793, obs. Gautier P.-Y. – Cass. com., 27 mai 2008, nos 07-11428 et 07-11530 : Bull. civ. IV, n° 109 ; RTD civ. 2008, p. 481, obs. Fages B. – Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-20972 : Bull. civ. IV, n° 14 ; RDC 2012, p. 838, obs. Libchaber R. – Cass. com., 15 janv. 2013, n° 11-27298 : Bull. civ. IV, n° 3 ; D. 2013, p. 542, note Gout O. ; JCP G 2013, II, 380, note Dagorne-Labbe Y. ; RTD civ. 2013, p. 376, obs. Barbier H. ; RDC 2013, p. 933, obs. Libchaber R. et RDC 2013, p. 997, obs. Pellet S. – Cass. 1re civ., 12 nov. 2015, n° 14-23401, F-PB : D. 2016, p. 355, note Casu G.
Cass. com., 15 avr. 2008, n° 03-15969 : Bull. civ. IV, n° 88.
Cass. com., 15 janv. 2013, préc.
Cass. 1re civ., 26 mars 1985, n° 83-13600 : Bull. civ. I, n° 106, p. 98, et surtout Cass. com., 13 nov. 2007, n° 06-16965 : Bull. civ. IV, n° 237.
Cass. com., 19 déc. 2006, n° 04-15818 : Bull. civ. IV, n° 252, p. 277.
Le retrait n’est pas admis dans le cadre des procédures collectives. Il n’y est accepté ni à l’initiative du débiteur (Cass. com., 12 oct. 2004, n° 03-11615 : Bull. civ. IV, n° 183 ; RTD civ. 2005, p. 417, obs. Gautier P.-Y.), ni même à celle du liquidateur (Cass. com., 9 mai 2007, n° 06-11275 : Bull. civ. IV, n° 121 ; RTD civ. 2005, p. 583, obs. Gautier P.-Y.).
La question était autrefois considérée comme allant de soi. Le prix de cession pouvait être symbolique, mais seulement parce que « la somme de un franc constituait le prix approprié de la cession, eu égard au caractère aléatoire de celle-ci » (Cass. 1re civ., 22 avr. 1992, n° 90-18672). Encore fallait-il qu’il fût libellé en monnaie (Cass. 1re civ., 12 mars 1957 : Bull. civ. I, n° 127, p. 105 ; JCP G 1957, II, 10005, note Blin H., refusant le retrait en cas de bail à nourriture), et que le prix existe : une cession à titre gratuit n’ouvre pas sur un retrait (Cass. com., 31 mars 1998, n° 96-12897 : LPA 19 mai 1999, p. 16, note Humann C. ; bien plus tôt, Cass. civ., 24 déc. 1855 : DP 1856, 1, 13, pour une donation en avancement d’hoirie). Par un arrêt récent (Cass. 1re civ., 17 janv. 2018, n° 16-21097, FS-PB), la Cour rappelle que « l’exercice du droit de retrait suppose que le droit litigieux a été cédé moyennant un prix que le retrayant rembourse au cessionnaire de la créance pour mettre un terme au litige », et que c’est à tort que la cour d’appel a admis que « une cession de créance à titre gratuit permet l’exercice d’un retrait ». Mais il s’agissait d’une reprise d’apport dans la liquidation d’une société in bonis, qui n’est pourtant pas un acte dépourvu de contrepartie.
CA Paris, 12 avr. 2016, n° 11/20730 : Gaz. Pal. 12 juill. 2016, n° 270b3, p. 24, obs. Bensaude D.
Cass. 1re civ., 30 juin 1981, n° 79-12531 : Bull. civ. I, n° 238 ; D. 1983, p. 102, note Abitbol E. – Cass. 1re civ., 20 janv. 2004, n° 00-20086 : Bull. civ. I, n° 17, p. 13 ; JCP G 2004, II, 10.033, concl. Sainte-Rose J.
Cass. 3e civ., 16 juin 1993, n° 91-17446 : Bull. civ. III, n° 90, p. 58 ; Rép. Defrénois 1994, p. 809, obs. Delebecque P. ; RTD civ. 1994, p. 371, obs. Gautier P.-Y.
Cass. com., 15 janv. 2002, n° 99-15370 : Bull. civ. IV, n° 10, p. 10.
Cass. com., 13 nov. 2007, n° 06-14503 : Bull. civ. IV, n° 238 ; LPA 30 oct. 2008, p. 7, note Traullé J.
On ne peut qu’être gêné par cette discontinuité. La sentence arbitrale étant rendue en France en 2003, l’article 1519 CPC ouvrait un délai d’un mois pour l’action en contestation, à compter de sa notification, tout comme l’ancien article 1486 d’ailleurs. La sentence n’aurait-elle été signifiée qu’en 2011 ? À moins d’admettre que la décision d’exequatur du 5 novembre 2009 faisait repartir le délai de contestation.
L’affirmation est constante : Cass. 1re civ., 10 janv. 1967 : Bull. civ. I, n° 12 ; D. 1967, p. 193, note Frank – Cass. com., 26 mars 1973, n° 71-14712 : Bull. civ. IV, n° 133, p. 116 – Cass. 3e civ., 19 nov. 2014, n° 13-24372 : Bull. civ. III, n° 153 ; JCP G 2015, 83, note Lebel C. – Cass. 1re civ., 20 janv. 2004, préc.
Cass. 1re civ., 12 nov. 2015, préc., où la Cour observe qu’indépendamment d’un litige existant entre le débiteur et son créancier, « le droit cédé n’avait fait l’objet d’aucune contestation sur le fond antérieurement à la cession ».
De ce point de vue, l’arbitrage ne doit pas être compté au nombre des modes alternatifs de règlement des conflits. Opérant sans trancher le litige, mais en favorisant le rapprochement des points de vue destiné à parvenir à une transaction, la conciliation comme la médiation ne prennent pas parti sur le fond du droit, se contentant d’aider les parties à dépasser la phase litigieuse. On doute que le retrait puisse intervenir dans des opérations de ce type, quelle que soit leur efficacité pratique.
Cass. 1re civ., 9 janv. 1974, n° 72-14488 : Bull. civ. I, n° 12, p. 12 ; RTD civ. 1974, p. 808, obs. Loussouarn Y. – dans le même sens, CA Paris, 11 févr. 1969 : D. 1970, p. 522, note Larroumet C. ; RCDIP 1970, p. 459, note Dayant R. ; JDI 1969, p. 918, note Kahn P. ; RTD civ. 1970, p. 170, obs. Loussouarn Y.
Fenet P. A., Travaux préparatoires du Code civil, t. xiv, 1827, Paris, p. 44.
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