Assurance-emprunteur : constitutionnalité de la faculté de rétractation annuelle même pour les contrats en cours
Le Conseil constitutionnel a affirmé la constitutionnalité de la faculté annuelle de résiliation des contrats d’assurance des emprunteurs immobiliers ouverte par la loi du 21 février 2017. Bien que les interrogations demeurent sur ses modalités concrètes de mise en œuvre, le dispositif est validé aussi bien pour les contrats nouveaux que pour les contrats en cours. La décision offre ainsi d’intéressantes précisions sur les conditions dans lesquelles le législateur peut prévoir l’application immédiate d’une règle nouvelle à des contrats en cours.
C’est une importante avancée des droits des consommateurs qu’a examinée le Conseil constitutionnel dans une décision du 12 janvier 20181. Il a affirmé la constitutionnalité de la faculté annuelle de résiliation des contrats d’assurance des emprunteurs immobiliers qu’offre la loi du 21 février 2017. Cette faculté profite non seulement aux nouveaux contrats, mais aussi aux contrats d’assurance en cours. La solution était attendue. Il faut dire que le sort de l’assurance-emprunteur est une aventure riche en péripéties.
I – Contexte
Absence de faculté de rétractation. Les contrats d’assurance-emprunteur couvrent le risque de décès ou d’invalidité de l’emprunteur pendant la durée du prêt. L’assureur s’engage alors à prendre en charge les mensualités que l’emprunteur ne pourrait plus payer. Ces[...]
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Cons. const., 12 janv. 2018, n° 2017-685 QPC ; Gadhoun P.-Y., « Le droit de résiliation annuel des contrats assurance-emprunteur à l’épreuve du Conseil constitutionnel », AJCA 2018, p. 80 ; Mayaux L., RGDA mars 2018, n° 115k9, p. 151 ; Kilgus N., Dalloz actualité, 19 janv. 2018 ; Grynbaum L., JCP G 2018, 242 ; Marly P.-G., AJCA 2018, p. 80.
V. notam. « Assurance emprunteur – Les marges amont imposent la résiliation annuelle ! », UFC Que Choisir 2014, www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-assurance-emprunteur-les-marges-amont-imposent-la-resiliation-annuelle-n11791/. Ces chiffres sont cependant contestés et pourraient être moins élevés. V. Rapp. IGF, « Assurance-Emprunteur », nov. 2013, notam. p. 9. Selon le même rapport, p. 19 : « Il ressort de cette analyse que le coût des sinistres représente moins de 50 % de la prime payée par les emprunteurs et que les commissions perçues par les distributeurs représentent jusqu’à 44 % de cette même prime ». Ce qui montre bien des marges alentour à 50 % bien qu’elles incluent la rémunération du distributeur.
L. n° 2010-737, 1er juill. 2010 dite Lagarde, ayant modifié l’ancien art. L. 312-9, C. consom.
L. n° 2014-344, 17 mars 2014 dite Hamon, ayant modifié l’ancien art. L. 312-9, C. consom.
V. notam. Leduc F., « La résiliation de l’assurance emprunteur sous les feux de l’actualité », RDC 2017, n° 114m7, p. 475.
La solution a été très majoritairement critiquée par les auteurs. Pour éclairer les termes du débat, v. favorable à la solution, Bigot J.., « Ubu et l’assurance emprunteur : les juges “s’emmêlent” » : JCP G 2015, 1058. Et contre, v. not. Mayaux L., « L’application de l’article L. 113-12 du Code des assurances aux assurances “emprunteurs” : et si les juges avaient raison de s’en mêler ? », RGDA janv. 2016, n° 112x8, p. 7.
Cass. 1re civ., 9 mars 2016, n° 15-18899 : Bacache M., Noguéro D., Grynbaum L. et Pierre P., D. 2016, p. 1161 ; Pélissier A., D., 1328 ; RDI 2016, p. 274, obs. Salvandy J. ; JCP E 2016, n° 1260, note François J. ; Contrats, conc. consom. 2016, n° 131, obs. Bernheim-Desvaux S. ; RJDA 2016, n° 393 ; LPA 1er juill. 2016, n° 114u9, p. 9, note Noguéro D. ; Gaz. Pal. 7 juin 2016, n° 267b8, p. 74, obs. Bury B. ; Banque et droit mars-avr. 2016, p. 77, obs. Gossou S. ; RD banc. fin. 2016, n° 115, obs. Mathey N. ; RD banc. fin. 2016, n° 126, obs. Djoudi J. ; Resp. civ. et assur. 2016, n° 209, obs. Courtieu G. V. égal., Cass. 1re civ., 24 mai 2017, n° 15-27127 : Dalloz actualité, 1er juin 2017, obs. Ravel d’Esclapon (de) T. ; D. 2017, p. 1120 ; AJCA 2017, p 383, obs. Lasserre Capdeville J. ; JCP E 2017, n° 1332 ; Contrats, conc. consom. 2017, n° 185, obs. Bernheim-Desvaux S. ; RD banc. fin. 2017, n° 168, obs. Djoudi J. ; Resp. civ. et assur. 2017, n° 201, obs. Courtieu G. Et encore tout récemment : Cass. 1re civ., 31 janv. 2018, n° 16-20562.
L. n° 2017-203 du 21 févr. 2017 ratifiant Ord. n° 2016-301, 14 mars 2016 et Ord. n° 2016-351, 25 mars 2016.
Thévenin L., « Résiliation annuelle : le marché de l’assurance emprunteur à l’aube d’un choc », Les Échos, 28 févr. 2017, p. 26.
DDHC, art. 16 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ».
Cons. const., 29 déc. 2005, n° 2005-530 DC, consid. 46.
En ce sens, v. Gahdoun P.-Y., « Le droit de résiliation annuel des contrats assurance-emprunteur à l’épreuve du Conseil constitutionnel », AJCA 2018, p. 80.
DDHC, art. 16.
DDHC, art. 4.
La survie de la loi ancienne en matière contractuelle n’est pas expressément posée par les articles 1 et 2 du Code civil, seules dispositions à régir l’application de la loi dans le temps en matière civile. Inspirée notamment par Roubier, la règle est appliquée avec constance par la jurisprudence : Cass. 3e civ., 3 juill. 1979, Bull. civ. III, n° 149 ; JCP 1980, II, 19384, note Dekeuwer-Defossez F. – Cass. 1re civ., 30 janv. 2001, n° 98-15178 : RGDA 2001, p. 349, Kullman J. On la trouve par ailleurs expressément formulée à l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 pour l’application du droit des contrats issu de la réforme.
Certains auteurs voient d’ailleurs dans l’application de la loi aux situations contractuelles en cours une forme de rétroactivité car les parties avaient anticipé les effets du contrat au jour de sa conclusion. Et ces prévisions passées se trouvent déjouées par la loi nouvelle. Cette situation dans laquelle les présupposés de la règle se voient tirer des effets inattendus des parties au jour de leur survenance est désignée par certains sous le terme « rétrospectivité » (v. notam. Héron J., Principes de droit transitoires, 1996, Dalloz, nos 130 et s.). Pour plus de développements sur cette analyse, v. Deumier P., Introduction au droit, 2017, LGDJ, n° 292 et les références citées. Les termes utilisés ne sont toutefois pas les mêmes. Pour le contrôle de la rétroactivité de la loi, les hautes juridictions exigent un « impérieux motif d’intérêt général ». V. CEDH, 28 oct. 1999, Zielinski et al. c/ France : RTD civ. 2000, p. 436, Marguénaud J.-P. – Cons. const., 14 févr. 2014, n° 2013-366 QPC : AJDA 2014, p. 1204, Roux J. ; RTD civ. 2014, p. 604, Deumier P.
V. notam. Deumier P., Introduction au droit, 2017, LGDJ, n° 291.
Cass. 1re civ., 4 déc. 2001, n° 98-18411 : RTD civ. 2002, p. 507, Mestre J. et Fages B.
CE, 8 avr. 2009, n° 271737, Commune d’Olivet : JCP A 2009, 2157, Bonnet B. ; RTD civ. 2010, p. 58, Deumier P.
Certains droits constitutionnels sont mieux protégés encore des ingérences du législateur. C’est le cas par exemple de la protection de la liberté individuelle. V. Goesel-Le Bihan V., « Les griefs susceptibles d’être utilement invoqués dans le cadre d’une QPC », JCP G 2015, doctr. 807.
V. par ex. : Cass. 3e civ., 15 mars 1989, n° 87-19942, PB : « le droit au renouvellement a sa source dans la loi et que même acquis dans son principe, il se trouve, dans ses modalités demeurant à définir, affecté par la loi nouvelle laquelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ».
Gaudemet S., « Application de la loi dans le temps – Le juge et l’article 2 », JCl. 2011, fasc. 20, n° 49.
Cass. ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12125 : Bull. ch. mixte 1981, n° 3 ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, Dalloz, n° 275 ; D. 1981, p. 309, note Bénabent A. ; JCP G 1981, II, 19568, concl. Toubas et note Flécheux G. ; RTD civ. 1981, p. 862, obs. Rémy P.
V. par ex. pour l’application immédiate de la majoration due en cas de retard dans la restitution du dépôt de garantie dans le bail d’habitation.
Sur les liens entre droit de la consommation et marché, par ex. Picod, n° 27. v. Stoffel-Munck P., « L’autonomie du droit contractuel de la consommation : d’une logique civiliste à une logique de régulation », RTD com. 2012, p. 705.
François A., « L’assurance-emprunteur éligible à la résiliation annuelle », JCP E 2017, 13 ; Roussille M., « Résiliation annuelle de l’assurance-emprunteur : oui, mais à quel coût ? », RD bancaire et fin. 2017, alerte 27.
V. en ce sens, Mayaux L., « L’application de l’article L. 113-12 du Code des assurances aux assurances “emprunteurs” : et si les juges avaient raison de s’en mêler ? », RGDA janv. 2016, n° 112x8, p. 7.
Mayaux L., « L’application de l’article L. 113-12 du Code des assurances aux assurances “emprunteurs” : et si les juges avaient raison de s’en mêler ? », RGDA janv. 2016, n° 112x8, p. 7.
Mayaux L., « La date du changement : la loi ou la volonté ? », in Dossier : « Le changement d’assureur en assurance “emprunteurs” », RGDA avr. 2018, n° 115p7, p. 223.
Mayaux L., « Les effets du changement : le changement dans la continuité ? », in Dossier : « Le changement d’assureur en assurance “emprunteurs” », RGDA avr. 2018, n° 115p0, p. 231.
Pour le crédit à la consommation : C. consom., art. L. 312-29. Et pour le crédit immobilier : C. consom., art. L. 313-11 et s. V. Pélissier A., « L’information sur le changement : quoi dire et quand dire ? », in Dossier : « Le changement d’assureur en assurance “emprunteurs” », RGDA mai 2018, n° 115r9, p. 278.
Mayaux L., « La date du changement : la loi ou la volonté ? », in Dossier : « Le changement d’assureur en assurance “emprunteurs” », RGDA avr. 2018, n° 115p7, p. 223.
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