La responsabilité notariale à l'égard des tiers : précisions sur les limites du devoir d'information et de conseil
Le notaire qui instrumente un acte de vente n’est tenu d’aucun devoir d’information et de conseil envers les tiers dont il n’a pas à protéger les intérêts et qui ne disposent pas d’un droit opposable aux parties.
Cass. 1re civ., 3 mai 2018, n° 17-12473
En étudiant les décisions de justice relatives à la responsabilité civiles des notaires, on ne peut qu’être troublé par le décalage singulier entre les solutions jurisprudentielles en la matière et le droit commun de la responsabilité. Les rapports entre le notaire et son client, on le sait, échappent à une qualification contractuelle, de sorte que « les obligations du notaire, lorsqu’elles ne tendent qu’à assurer l’efficacité d’un acte instrumenté par lui et ne constituent que le prolongement de sa mission de rédacteur d’actes, relèvent de sa responsabilité délictuelle »1. Ce particularisme de la responsabilité notariale n’est pas sans incidence sur l’analyse des obligations du notaire, notamment lorsque celui-ci exerce la mission d’un mandataire, car celles-ci ne résultent pas, selon la jurisprudence et la doctrine, d’un lien contractuel, mais directement du statut de notaire2.
L’arrêt rendu le 3 mai 2018 par la première chambre civile de la Cour de cassation témoigne du malaise des plaideurs lorsqu’il s’agit d’identifier la portée exacte des devoirs du notaire mandaté par son client et notamment de leur rayonnement à l’égard des[...]
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Cass. 1re civ., 23 janv 2008, n° 06-17489 : Defrénois 30 mars 2008, n° 38740, p. 712, note Libchaber R. Pour d’autres références, v. Le Tourneau P., Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, 11e éd., 2017, Dalloz, n° 3342.48 (note 4).
Poulpiquet (de) J., Responsabilité des notaires, 2e éd., 2009, Dalloz, n° 12.40 avec des références. V. aussi, du même auteur, la thèse de référence La responsabilité civile et disciplinaire des notaires, thèse, Nice, 1974, LGDJ, nos 166 et s., ainsi que, plus récemment, Biguenet-Maurel C., Le devoir de conseil des notaires, thèse, Nice, 2006, Defrénois, nos 347 et s.
Sur cette pratique, v. not. Guilloteau-Palisse C., « Fiche pratique : Saisie du prix de vente entre les mains du notaire », JCP N 2013, 1219.
TGI Clermont-Ferrand, 10 mars 2015, n° 13/04243.
Ibid. – La créance dont l’existence était alléguée par l’établissement de crédit ne sera reconnue en justice que deux années plus tard.
Mekki M., JCl. Civil, art. 1991 à 2002, fasc. n° 10 (2012), n° 57.
V. les développements assez succincts dans les principaux manuels de droit des contrats spéciaux ainsi que dans Pétel P., Les obligations du mandataire, thèse, Montpellier, 1988, Litec, p. 16 et s. (l’auteur évince cet aspect dès l’introduction de son étude pour se concentrer sur les obligations du mandataire à l’égard de son donneur d’ordre). V. cependant les études plus récentes de Dissaux N., La qualification d’intermédiaire dans les relations contractuelles, thèse, Lille 2, 2007, LGDJ, nos 1023 et s., ainsi que Gilson-Maes A., Mandat et responsabilité civile, thèse, Reims, 2013, nos 348 et s.
Cass. 3e civ., 6 janv. 1999, n° 96-18690 : D. 2000, p. 426, note Asfar C.
Gilson-Maes A., Mandat et responsabilité civile, op. cit., nos 350 et s.
Pétel P., Les obligations du mandataire, op. cit., p. 17.
V. par exemple Cass. 1re civ., 18 avr. 1989, n° 87-12053 : RTD civ. 1990, p. 267, obs. Mestre J. Pour d’autres références, v. Le Tourneau P., Rép. civ. Dalloz, v° Mandat, 2018, n° 335, ainsi que, du même auteur, Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, op. cit., n° 3321.342 (note 5).
V. par exemple Cass. 3e civ., 29 oct. 2015, n° 14-17469 : RDC 2016, n° 113a9, p. 225, note Knetsch J.
Poulpiquet (de) J., La responsabilité civile et disciplinaire des notaires, op. cit., n° 133 (l’auteur analyse l’interprétation par les juges du fond de l’article 68 de la loi du 25 ventôse an XI, très favorable aux notaires).
V. par exemple Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, n° 91-22181 (« en qualité d’officiers publics les notaires, responsables même envers les tiers de toute faute préjudiciable commise par eux dans l’exercice de leurs fonctions, sont tenus d’examiner la régularité des actes qu’ils sont invités à dresser et qu’ils ne doivent donner l’authenticité à une convention emportant translation d’un bien immobilier qu’après avoir accompli la formalité essentielle de s’assurer de l’état des inscriptions hypothécaires pouvant grever le bien »).
Le Tourneau P., Droit de la responsabilité et des contrats, op. cit., n° 3324.42.
V. en dernier lieu Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, n° 13-10582 : Resp. civ. assur. 2014, comm. 236 (obligation d’information du mandataire professionnel d’un promoteur immobilier vis-à-vis d’un candidat à l’acquisition qualifié par la Cour d’« acheteur néophyte »). V. aussi Cass. 1re civ., 18 avr. 1989, n° 87-12053 : RTD civ. 1990, p. 267, obs. Mestre J. (responsabilité d’un agent immobilier), ainsi que, plus largement, Faure-Abbad M., « La responsabilité des mandataires du secteur de l’immobilier », in Rémy B. (dir.), Le mandat en question, 2013, Bruylant, p. 175.
V. not. Cass. 1re civ., 21 janv. 1997, n° 94-20271 : Resp. civ. assur. 1997, comm. 171 et chron. 13, note Groutel H.
Ce sont probablement ceux-là qui sont visés par la formule quelque peu sibylline des tiers « dont [le notaire] n’a pas à protéger les intérêts et qui ne disposent pas d’un droit opposable aux parties ».
Sur ce point, v. aussi Le Tourneau P., « De l’évolution du mandat », D. 1992, p. 157.
Rappelons notamment que le notaire n’intervient pas uniquement dans l’authentification d’une transaction immobilière, mais qu’il peut également en négocier les conditions. Sur cet aspect, v. Le Tourneau P., Droit de la responsabilité et des contrats, op. cit., n° 3324.50.
Cette activité est autorisée à titre accessoire par l’article 95 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972.
On peut se demander tout particulièrement si la relative introduite par « dont » apporte un simple complément de phrase (les notaires n’ont généralement pas « à protéger les intérêts » d’un tiers, lequel ne dispose généralement pas « d’un droit opposable aux parties ») ou s’il s’agit d’une relative dite déterminative qui précise à l’égard de quels tiers le notaire « n’est tenu d’aucun devoir d’information et de conseil ». Bien que l’absence de virgule nous conduise à retenir plutôt ce dernier sens, les règles de l’orthographe française et notamment celles sur la ponctuation autorisent, nous semble-t-il, les deux interprétations.
V. not. Cass. 1re civ., 2 avr. 1997, n° 94-20352 : RTD civ. 1997, p. 665, obs. Jourdain P. (dans cette espèce, le notaire avait été chargé de procéder à l’inscription d’un nantissement).
Pour une analyse approfondie, v. Poulpiquet (de) J., La responsabilité civile et disciplinaire des notaires, op. cit., nos 166 et s., avec de nombreuses références anciennes.
Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13255 : GAJC, n° 177, comm. Terré F., Lequette Y. et Chénedé F. (« le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage »).
Selon le pourvoi, « un tiers ne peut invoquer à son profit la responsabilité délictuelle de l’une des parties à un contrat qu’à charge pour lui d’établir qu’un manquement contractuel lui a causé un dommage », ce qui n’a pas été le cas, bien au contraire, le notaire ayant immédiatement pris acte de la révocation du mandat.
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