La jouissance des parties communes attachée à la qualité de copropriétaire est distincte de celle résultant du droit de jouissance exclusif attaché à un lot de copropriété
Les ayants cause, acquéreurs d’un lot de copropriété, ne peuvent joindre à leur possession d’un droit de jouissance exclusif sur les parties communes celle de leur auteur pour bénéficier du jeu de la prescription acquisitive de ce droit de jouissance, dans la mesure où la jouissance des parties communes attachée à la qualité de copropriétaire est distincte de celle résultant du droit de jouissance exclusif sur lesdites parties communes.
Cass. 3e civ., 18 janv. 2018, n° 16-16950
L’arrêt de la Cour de cassation du 18 janvier 2018 vient apporter des précisions utiles sur la nature de la jouissance permettant de bénéficier de la prescription acquisitive d’un droit réel de jouissance exclusif sur les parties communes d’un immeuble en copropriété.
En l’espèce, les copropriétaires d’un lot donnant sur des jardins, parties communes d’un immeuble soumis au statut de la copropriété, ainsi que le nu-propriétaire et l’usufruitier d’un autre lot donnant sur les mêmes jardins, ont assigné le syndicat des copropriétaires en revendication de l’acquisition par prescription du droit de jouissance exclusif de la partie de ce jardin attenante à leurs lots de copropriété respectifs. Pour ce faire, les revendiquants de ce droit réel de jouissance exclusif invoquaient une possession utile de 30 ans, joignant à leur possession celle de leurs auteurs, qui leur avaient cédé les lots (dans le cadre d’une donation pour les uns et[...]
L'accès à l'intégralité de ce document est réservé aux abonnés
Cass. 3e civ., 17 avr. 1996, n° 94-15748 : « Un acquéreur ne peut joindre à sa possession celle de son vendeur pour prescrire un bien resté en dehors de la vente ».
Le droit de jouissance exclusif sur certaines parties communes, qui peut profiter au propriétaire d’un lot, est un droit réel innommé, perpétuel, qui n’est pas un droit de propriété (il s’agit d’un droit réel sur la chose d’autrui) et qui peut s’acquérir par prescription acquisitive (v. not., Cass. 3e civ., 24 oct. 2007, n° 06-19260 : « Un droit de jouissance privatif sur des parties communes est un droit réel et perpétuel qui peut s’acquérir par usucapion »).
Posséder un droit, c’est exercer les prérogatives qui y sont attachées, car cet exercice effectif des prérogatives correspond à la jouissance des utilités de ce droit.
Cass. 3e civ., 24 oct. 2007, n° 06-19260 : « Un droit de jouissance privatif sur des parties communes est un droit réel et perpétuel qui peut s’acquérir par usucapion ».
Le droit réel de jouissance exclusif sur une fraction des parties communes n’était pas, quant à lui, inclus dans l’acte translatif. Seule était comprise une quote-part des parties communes objet d’un droit de propriété collective et en application duquel ne s’exerçait qu’une jouissance partagée. Les deux biens étaient distincts.
La possession d’une chose se définit en effet comme la jouissance effective d’une chose, c’est-à-dire comme la jouissance effective de ses utilités.
Même s’il faut distinguer le droit réel sur la chose d’autrui et la chose sur laquelle il porte, le droit réel porte directement sur tout ou partie des utilités de la chose qu’il grève, de sorte que posséder ce droit réel, c’est jouir des utilités de cette chose (lesquelles sont retirées alors au propriétaire). Posséder un droit, c’est exercer les prérogatives qu’il confère, mais si ce droit est un droit réel sur la chose d’autrui et si les prérogatives qu’il confère correspondent à la jouissance des utilités de la chose qu’il grève, cela implique que la possession de ce droit réel et la possession de la chose se confondent partiellement ou totalement selon l’étendue des utilités conférées au titulaire de ce droit réel. Posséder le droit réel, c’est aussi posséder la chose, mais la possession de la chose est alors une possession naturelle, et non une possession civile. La possession du droit réel et la possession de la chose objet de ce droit réel s’exercent de la même manière, de sorte que posséder un droit réel c’est aussi posséder la chose sur laquelle porte ce droit réel, le titulaire ayant la possession civile de son droit réel et la possession naturelle de la chose, cette différence se traduisant, non pas sur le corpus (ce sont les mêmes actes de jouissance), mais par le biais de l’animus de la possession (v. en ce sens : Proudhon J.-B.-V., Traité des droits d’usufruit, d’usage, d’habitation et de superficie, 1823, Douillier, n° 1, p. 1, nos 31-33, p. 20-24, qui considère que le titulaire d’un droit d’usufruit – droit réel sur la chose d’autrui – a la possession naturelle de la chose et que cette possession s’identifie, également, à la possession civile de son droit d’usufruit, la possession du droit d’usufruit s’exerçant par l’intermédiaire de la possession de la chose elle-même, c’est-à-dire par la jouissance effective des utilités de cette chose qui sont par là même l’objet du droit d’usufruit). Il y a donc un dédoublement de la possession : l’usufruitier exerce la possession naturelle de la chose et cette possession de la chose correspond aussi à la possession civile de son droit d’usufruit.
La possession du droit réel de jouissance exclusif se confond avec la possession de la chose sur laquelle porte ce droit réel, c’est-à-dire qu’elle se confond avec la jouissance de la fraction des utilités de la chose attachées à ce droit réel sur la chose d’autrui et qui en constitue l’objet même.
V. en ce sens, Malaurie P.et Aynès L., Droit des biens, 7e éd., 2017, LGDJ, n° 558.
V. not., Cass. 1re civ., 13 févr. 1963 : Bull. civ. I, n° 103 ; D. 1964, somm. 2, qui admet que le possesseur d’un droit d’usufruit peut joindre à sa possession celle de son auteur exercée à titre de propriétaire. V. aussi, Terré F. et Simler P., Droit civil, Les biens, 9e éd., 2014, Dalloz, n° 481, qui estiment que la jonction reste possible lorsque « les possessions ne présentent pas les mêmes caractères ou le même objet ». Ainsi relèvent-ils que « l’usufruitier peut joindre à sa possession celle de son auteur qui a possédé à titre de propriétaire », se référant à la jurisprudence précitée. Toutefois, même si la jouissance d’un usufruitier est similaire, voire identique à celle d’un propriétaire (il s’agit toujours de la jouissance de toutes les utilités de la chose objet du droit d’usufruit et du droit de propriété), de sorte que la possession de l’un correspond objectivement à celle de l’autre, cette solution reste sur le principe critiquable, ne serait-ce déjà que sur le terrain de l’animus de la possession, mais également en ce que la jonction des possessions implique une identité de nature des droits dont ces possessions sont l’exercice, les deux droits (propriété et usufruit) en cause étant de natures différentes.
La jouissance partagée ou commune exercée à titre de copropriétaire sur les parties communes n’est pas, par définition, de même nature qu’une jouissance exclusive de ces parties communes exercée au titre d’un droit réel et perpétuel de jouissance exclusif. La première supporte la jouissance concurrente des autres copropriétaires, elle est limitée dans son étendue, tandis que la seconde exclut celle des autres copropriétaires, cette jouissance est complète, elle écarte toute jouissance concurrente. La jouissance partagée d’un copropriétaire sur les parties communes n’est donc pas de la même nature que celle du titulaire d’un droit réel de jouissance exclusif sur ces parties communes, de sorte que la jonction de leurs possessions est impossible.
Testez gratuitement Lextenso !