Possession de bonne foi et inventeur d'un trésor
Celui qui découvre une chose cachée ou enfouie sait, au moment de la découverte, qu’il n’est pas le propriétaire de cette chose et ne peut être considéré comme un possesseur de bonne foi, de sorte qu’il ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 2276 du Code civil pour faire échec à l’action en revendication par son propriétaire, cette action n’étant pas susceptible de prescription extinctive.
Cass. 1re civ., 6 juin 2018, n° 17-16091
Le présent arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2018 vient préciser les conditions de mise en jeu de l’article 2276 du Code civil et vient réaffirmer le principe de l’imprescriptibilité de l’action en revendication. En l’espèce, deux époux découvrirent des lingots d’or enfouis dans le sol du jardin du bien immobilier qu’ils avaient acquis et en vendirent une partie par la suite. Les héritiers du vendeur du bien immobilier exercèrent une action en justice contre les deux époux, par laquelle ils revendiquaient la propriété des lingots restés en leur possession et la restitution du prix de vente de ceux qui avaient été vendus. La cour d’appel de Lyon fit droit à la demande des revendiquants dans un arrêt du 24 janvier 2017. Les époux qui avaient trouvé les lingots d’or se pourvurent en cassation, en se prévalant notamment de leur possession de bonne foi et de la violation par la cour d’appel de Lyon des dispositions de l’article 2276 du Code[...]
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Est de bonne foi le possesseur qui pense être le légitime propriétaire du bien au moment où il en prend possession.
Certains estiment que la propriété du trésor est acquise au propriétaire du fonds, dans lequel ce bien est trouvé, par occupation, c’est-à-dire par sa prise de possession (Terré F. et Simler P., Droit civil. Les biens, 9e éd., 2014, Dalloz, n° 420 ; Planiol M. et Ripert G., Traité pratique de droit civil français. Les biens, t. 3, 2e éd., par Picard M., 1952, Paris, LGDJ, n° 606), tandis que d’autres estiment qu’elle est acquise par accession (Malaurie P. et Aynès L., Droit des biens, 7e éd., 2017, Defrénois, n° 594 ; Beudant C., Cours de droit civil français, 2e éd., par Beudant R. et Lerebours-Pigeonnière P., Les biens, t. IV, par Voirin P., 1938, Paris, Rousseau, n° 717).
Terré F. et Simler P., Droit civil. Les biens, 9e éd., 2014, Dalloz, nos 419 et 422.
Le trésor est un bien meuble caché et oublié. Certes la distinction entre un meuble perdu et oublié peut apparaître ténue. Mais la différence, c’est que le propriétaire a initialement placé le bien là où il est caché ou enfoui (sachant donc où il se trouve précisément), tandis que pour le bien perdu, il y a ab initio un dessaisissement involontaire, le propriétaire ne sachant pas où se trouve le bien. V. en ce sens Zénati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 2008, Puf, nos 21 a) et 22 a), qui considèrent comme inexact d’assimiler le trésor à une chose perdue, l’intention de cacher (la dissimulation volontaire) distinguant le trésor de la chose perdue. V. aussi Malaurie P. et Aynès L., Droit des biens, 7e éd., 2017, Defrénois, n° 593 : « Le trésor, au sens de l’article 716 du Code civil est un meuble caché et oublié. (…) Il doit avoir été volontairement caché par son propriétaire. (…) L’important est que le propriétaire ait eu la volonté d’en conserver la propriété [en le dissimulant]. Ce qui produit plusieurs conséquences. (…) Les objets abandonnés ou perdus constituent des res derelictae ou des épaves, non des trésors ».
Zénati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 2008, Puf, n° 21 a).
V. infra.
Cette règle limite l’action en revendication du véritable propriétaire lorsque le meuble perdu (ou volé) a été acquis par un tiers de bonne foi. Il s’agit d’un délai préfix pour revendiquer (et non d’une prescription abrégée), car ce délai de 3 ans court à compter de la perte et non de la prise de possession par le tiers acquéreur de bonne foi.
Zénati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 2008, Puf, n° 22 a).
Terré F. et Simler P., Droit civil. Les biens, 9e éd., 2014, Dalloz, n° 419. Le trésor, au sens de l’article 716 du Code civil, est donc un bien meuble corporel enfoui ou caché (et distinct de son contenant), découvert par l’effet du hasard et sur lequel aucune personne ne peut justifier d’un droit de propriété.
V. Zénati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 2008, Puf, n° 21 a), qui énoncent que la jurisprudence est assez souvent flexible, en n’excluant pas la qualification de trésor, même si le propriétaire est connu ou identifiable, dès lors qu’il ne se manifeste pas pour faire valoir son droit.
Cass. 1re civ., 19 nov. 2002, n° 00-22471 : D. 2003, Somm. 20149, obs. Mallet-Bricout B., qui juge que « les biens dont les consorts X justifiaient être propriétaires, ne pouvaient constituer un trésor » (à propos de louis d’or cachés dans une cuisinière à gaz).
Malaurie P. et Aynès L., Droit des biens, 7e éd., 2017, Defrénois, n° 593 : « Surtout, il faut que le propriétaire actuel ne soit pas identifiable : la notion de trésor est liée à l’oubli. S’il peut être identifié, l’action en revendication peut être exercée et est imprescriptible ».
Req. 12 juill. 1905 : DP 1907, I, 141, rapp. Potier S. ; S. 1907, I, 273, note Wahl A. ; Capitant H., Terré F. et Lequette Y., GAJC, t. 1, 13e éd., 2015, Dalloz, n° 68 – Cass. 3e civ., 2 juin 1993, nos 90-21982, 91-10429, 91-10971 et 91-12013 : RTD civ. 1994, 389, obs. Zenati F., qui décide que l’action en revendication, en matière de meubles corporels, n’est pas susceptible de prescription extinctive. V. aussi Cass. 3e civ., 5 juin 2002, n° 00-16077 : JCP G 2003, I, 117, n° 1, obs. Périnet-Marquet H.
V. sur cette distinction : Lévy J.-P. et Castaldo A., Histoire du droit privé, 2e éd., 2010, Dalloz, n° 422, p. 646. Cette distinction entre le droit de propriété imprescriptible et l’action en revendication qui serait prescriptible (seule l’action serait éteinte) avait été fondée sur l’ancien article 2262 du Code civil (« toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par 30 ans »), puis sur l’article 2227 du Code civil, qui dispose que « le droit de propriété est imprescriptible, (…) sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par 30 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer », ces textes pouvant justifier, selon certains, la dissociation du droit de propriété de l’action en revendication quant à l’imprescriptibilité. Mais cette dissociation est artificielle, car la propriété ne peut être véritablement perpétuelle que si l’action en justice qui assure son effectivité – l’action en revendication – l’est également. Le droit de propriété et l’action en revendication qui le protège sont indissociables. En réalité, lorsque l’article 2227 du Code civil dispose que « sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par 30 ans », il vise les actions qui se rattachent aux droits autres que la propriété, c’est-à-dire qu’il vise les droits réels sur la chose d’autrui (v. en ce sens Terré F. et Simler P., Droit civil. Les biens, 9e éd., 2014, Dalloz, n° 149).
Dès lors que le droit de propriété est perpétuel (C. civ., art. 2227), l’action en revendication qui protège le droit de propriété doit être perpétuelle, tout comme le droit dont elle est finalement une prérogative indissociable. Admettre le contraire revient à faire de la propriété un droit prescriptible, s’il n’est plus possible de faire valoir ce droit et de le conserver au moyen de l’action en revendication. Que serait un droit de propriété qui ne pourrait plus être protégé contre les atteintes des tiers ? La propriété ne serait plus alors un droit opposable erga omnes, ce qui porterait atteinte à la nature même de ce droit. Pour que la propriété soit imprescriptible, il faut que l’action qui la protège soit elle-même imprescriptible.
Quand la restitution en nature ne peut plus être effectuée, notamment parce que le bien a été cédé à un tiers de bonne foi (C. civ., art. 2276 pour les meubles corporels), la restitution se fait en valeur. La restitution en valeur correspondait au prix perçu par celui tenu à restitution (par analogie avec l’ancien article 1380 du Code civil). Les faits de l’espèce étaient, en effet, antérieurs à la réforme du droit des obligations. À présent, si une telle restitution en valeur devait avoir lieu, il faudrait distinguer si celui qui est tenu à restitution est de bonne foi (il se croyait propriétaire lorsqu’il a vendu) ou de mauvaise foi : de bonne foi, il ne doit que le prix de vente perçu ; de mauvaise foi, il doit une somme égale à la valeur du bien au jour de la restitution ou le prix de vente perçu si celui-ci est supérieur (C. civ., art. 1352-2).
V. dans le même sens, T. civ. Seine, 1er juin 1949 : D. 1949, 350, note Ripert G., à propos du « trésor de la rue Mouffetard », où le tribunal a jugé que des pièces d’or découvertes dans un immeuble en démolition ne constituaient pas un trésor au sens juridique du terme mais étaient la propriété des héritiers de celui qui les avait cachées en les identifiant et qui avait disposé d’elles par testament, de sorte que ces héritiers pouvaient valablement exercer une action en revendication sur ces pièces d’or, et ce même si leur dissimulation remontait à plus de deux siècles. Contra CA Paris, 18 déc. 1950 : D. 1951, 1144, confirmé par Cass. 1re civ., 25 oct. 1955 : D. 1956, Somm. 27.
Zénati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 2008, Puf, n° 235 : « L’action en revendication ne se prescrit que si un tiers a prescrit la chose du propriétaire (…). La prescription de la revendication du propriétaire du trésor n’est pas extinctive mais acquisitive ».
La prescription acquisitive emporte un effet extinctif du droit (de propriété) qu’elle vient remplacer ou, à tout le moins, de l’action en revendication de ce droit. V. cep. pour une position ambiguë de la Cour de cassation sur l’effet extinctif attaché à la prescription acquisitive : Cass. 3e civ., 17 juin 2011, n° 11-40014 et Cass. 3e civ., 12 oct. 2011, n° 11-40055 : RLDC mai 2012, n° 93, n° 4687, p. 73, obs. Andreu L. ; RTD civ. 2011, 562, obs. Revet T, à propos de la constitutionnalité de la prescription acquisitive.
On applique cette règle de droit commun d’acquisition de la propriété par une possession utile de 30 ans, même si, en matière de meubles corporels, aucun texte légal, depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, ne permet de fonder une prescription acquisitive trentenaire au profit du possesseur (de mauvaise foi). La prescription acquisitive trentenaire n’est expressément prévue que pour les immeubles (C. civ., art. 2272). Toutefois, devrait être maintenue la solution, anciennement admise, qui permettait une prescription acquisitive trentenaire au profit du possesseur de mauvaise foi d’un meuble corporel (fondée avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 sur l’ancien article 2262 du Code civil).
Si le droit de propriété ne peut s’éteindre par non-usage, il peut en revanche s’éteindre en raison de l’usage d’un tiers. La possession de ce tiers peut entraîner l’extinction du droit du propriétaire, c’est-à-dire que le droit de propriété (du propriétaire initial) peut s’éteindre par l’effet d’une prescription acquisitive au profit d’un tiers possesseur, lequel acquerra un nouveau droit de propriété (ce nouveau droit de propriété remplaçant celui du propriétaire initial).
Zénati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 2008, Puf, n° 22 a) ; Planiol M. et Ripert G., Traité pratique de droit civil français. Les biens, t. 3, 2e éd., par Picard M., 1952, Paris, LGDJ, n° 606.
La situation de l’inventeur d’une chose perdue peut, dans certaines hypothèses, être différente. En effet, il peut, selon la situation, croire que la chose n’est pas perdue mais abandonnée. Or, pour les choses abandonnées, l’acquisition de la propriété est instantanée dès la prise de possession : elle résulte du mécanisme de l’occupation qui correspond à une prise de possession volontaire en vue d’en devenir propriétaire (parfois, il est peut-être difficile de déterminer si le bien a été perdu ou abandonné, ceci variant selon que la nature du bien et selon l’endroit où il a été trouvé ; si la chose est perdue, l’acquisition résulte d’une possession de 30 ans, si la chose est abandonnée, elle est immédiate par une prise de possession volontaire). Dès lors, si l’inventeur est, au regard de la situation d’espèce dans laquelle il trouve la chose, fondé à croire que cette chose a été abandonnée (alors pourtant qu’elle a été perdue), il pourrait être considéré de bonne foi (c’est-à-dire croire qu’il en est devenu le légitime propriétaire dès sa prise de possession, par occupation) et bénéficier des dispositions de l’article 2276, alinéa 2, du Code civil, l’action en revendication du propriétaire d’origine étant alors enfermée dans un délai de 3 ans à compter de la perte. Dans ce cas, pour déterminer si l’inventeur a pu légitimement penser que la chose était abandonnée, il faudra prendre en compte la nature de la chose (s’il est possible qu’elle puisse être abandonnée) et les circonstances dans lesquelles elle a été trouvée (c’est-à-dire où elle était située, placée). Si au regard de la nature du bien meuble et des conditions dans lesquelles il a été trouvé, il est possible que l’inventeur ait pu légitimement croire que la chose était abandonnée (alors pourtant qu’elle était perdue), l’inventeur pourra être considéré de bonne foi et il pourra alors bénéficier des dispositions de l’article 2276, alinéa 2, la revendication du propriétaire d’origine étant limitée à 3 ans à compter de la perte, de sorte que l’inventeur en deviendra propriétaire au bout de ce délai de 3 ans. À défaut, s’il n’est pas considéré de bonne foi, il ne deviendra propriétaire qu’au bout d’une possession utile de 30 ans, par prescription acquisitive trentenaire (comme l’inventeur d’un trésor dont le propriétaire est identifié). L’inventeur d’un trésor (dont le propriétaire est identifié) ne peut jamais, quant à lui, être de bonne foi, car il sait pertinemment qu’une chose enfouie ou cachée ne peut être abandonnée, de sorte qu’il ne peut acquérir la propriété de ce bien que par prescription acquisitive trentenaire.
D’ailleurs, l’application de cette règle serait absurde, car le délai préfix de 3 ans court à compter de la perte, et à propos d’une chose cachée, il sera difficile, voire impossible de déterminer quand elle a été « perdue » (l’oubli est diffus), et le plus souvent, le trésor est caché depuis très longtemps, de sorte que le délai serait en tout état de cause expiré. Contra : Planiol M. et Ripert G., Traité pratique de droit civil français. Les biens, t. 3, 2e éd., par Picard M., 1952, Paris, LGDJ, n° 606.
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