À propos des dommages-intérêts punitifs : la Cour de cassation italienne vient-elle de suivre l'exemple français ?
La Cour de cassation italienne s’est prononcée sur la reconnaissance d’une condamnation à des dommages-intérêts punitifs à l’étranger devant être exécutée en Italie. Elle admet pour la première fois un principe général de compatibilité de ces dommages-intérêts punitifs avec le système de responsabilité civile italien. S’est-elle inspirée des autres grandes cours européennes et notamment de l’exemple français ?
Cass., Sez. Un., 5 juill. 2017, n° 16601 : Corriere giuridico, 2017, p. 1042 et s.
I – Introduction
La Cour de cassation italienne, réunie en assemblée plénière (Sezioni Unite) a rendu, par l’arrêt n° 16601 du 5 juillet 20171, une importante décision sur la possibilité d’exécuter en Italie une condamnation étrangère à des dommages-intérêts punitifs. Cet arrêt lui a fourni l’occasion de se prononcer sur la fonction (ou plutôt les fonctions) de la responsabilité civile italienne, ce qui a suscité un vif débat doctrinal2, y compris à l’étranger3. Cette contribution a pour but de présenter – dans ses aspects les plus essentiels – le contenu de cette décision et de la confronter à des décisions comparables, provenant des plus hautes autorités judiciaires de différents pays, notamment l’Allemagne et la France. Cette perspective permettra de souligner le rôle fondamental que semble avoir joué l’orientation de la jurisprudence française[...]
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Cass., Sez. Un., 5 juill. 2017, n° 16601 : Corriere giuridico, 2017, p. 1042 et s.
V., par exemple, le débat dans le n° 4, 2017, de la revue Contratto e impresa, avec les articles suivants : Alpa G., « Le funzioni della responsabilità civil e i danni “punitivi” : un dibattito sulle recenti sentenze della Suprema Corte di Cassazione », p. 1084 et s. ; Franzoni M., « Quale danno punitivo ? », p. 1107 et s. ; Ponzanelli G., « Sezioni Unite e danni punitivi », p. 1122 et s. ; Benatti F., « Note sui danni punitivi in Italia : problemi e prospettive », p. 1129 et s. ; Dellacasa M., « Punitive damages, risarcimento del danno, sanzioni civili : un punto di vista sulla funzione deterrente della responsabilità aquiliana », p. 1142 et s. ; Petrelli P., « Verso i danni punitivi ? », p. 1187 et s. V. aussi, entre autres, Ciatti Càimi A., « I danni punitivi e quello che non vorremmo sentirci dire dalle corti di common law », Contratto e impresa/Europa, 2017, p. 1 et s.
V. en particulier le débat consacré à cette question dans la revue Contratto e impresa/Europa de 2017, comprenant les articles suivants : Cattalano-Cloarec G., « Lo stato dell’arte del risarcimento punitivo nel diritto francese », p. 12 et s. ; Feliú Rey M.I., « La silenziosa “civilización” dei danni punitivi in Spagna », p. 28 et s. ; Janssen A., « The Recognition and Enforceability of US-American Punitive Damages Awards in Germany and Italy : Forever Divided ? », p. 43 et s.
En réalité, on pouvait trouver d’autres précédents importants témoignant d’une ouverture vers une approche différente de l’orientation traditionnelle, mais qui concernaient indirectement le point dont il est question ici. V. par exemple Cass., 15 avr. 2015, n° 7613 (« Il sì della Suprema Corte all’astreinte straniera », Danno e resp., 2015, p. 1155 et s., note Corsi G.), qui a reconnu en Italie une décision belge ayant condamné une société italienne à dédommager une somme d’argent pour la violation de l’ordre de se conformer à des astreintes.
Dans le même sens v. Cass., 19 janv. 2007, n° 1183 : « Strafschadensersatz und italienischer ordre public », ZEuP, 2009, note Gebauer M., p. 409 et s. ; « Danni punitivi : no, grazie », Foro it., 2007, I, c. 1460 et s., note Palmieri A. et Ponzanelli G. ; Cass., 8 févr. 2012, n° 1781 : « La Cassazione bloccata dalla paura di un risarcimento non riparatorio », Danno e resp., 2012, p. 609, comm. Ponzanelli G. V. aussi CA Trento, sect. détachée de Bolzano, 16 août 2008 : « Non riconoscimento dei danni punitivi nell’ordinamento italiano : una nuova vicenda », Danno e resp., 2009, p. 92 et s., note Ponzanelli G.
Pour un approfondissement, Tescaro M., « I punitive damages nordamericani : Bundesgerichtshof, Cour de cassation e Sezioni Unite della Cassazione a confronto », Lavoro, Diritti, Europa (revue directement accessible à l’adresse suivante : www.lavorodirittieuropa.it/), 2017, n° 1, p. 7 et s.
Cass., ord. de renvoi du 16 mai 2016, n° 9978 : « I danni punitivi e le funzioni della responsabilità civile », Corr. giur., 2016, p. 912 et s., note Scognamiglio C. ; « Il problema della riconoscibilità di sentenze comminatorie di punitive damages : alcuni spunti ricostruttivi », Riv. dir. civ., 2016, p. 1644 et s., note De Menech C.
Tescaro M., « Il revirement “moderato” sui punitive damages », Contratto e impresa/Europa, 2017, p. 52 et s.
L’art. 23 de la constitution italienne affirme que seule la loi peut établir le droit à des prestations personnelles ou patrimoniales, tandis que l’al. 2, de l’art. 25 énonce le principe de légalité, en vertu duquel les peines relèvent de la compétence législative. En doctrine, l’importance de ces références normatives avait été soulignée par Sesta M., « Il danno nelle relazioni familiari tra risarcimento e finalità punitiva », Fam. e dir., 2017, p. 289 et 295. Auparavant, elles avaient été évoquées de manière particulièrement efficace par Granelli C., « In tema di “danni punitivi” », Resp. civ. prev., 2014, p. 1760.
En dépit de la présence de positions nuancées, la doctrine italienne s’est désormais majoritairement orientée en faveur de l’interprétation nouvelle (v. toutefois Castronovo C., « Il risarcimento punitivo che risarcimento non è », in Cerami P. et Serio M. (dir.), Scritti di comparazione e storia giuridica, 2011, Giappichelli, p. 100 et s. ; Castronovo C., « Diritto privato e realtà sociale. Sui rapporti tra legge e giurisdizione a proposito di giustizia », Eur. e dir. priv., 2017, p. 765 et s.) favorable à la pluralité de fonction de la responsabilité civile italienne, tout en reconnaissant toutefois la prévalence de la fonction compensatoire et/ou réparatrice. Sur le même thème, v. entre autres Lucchini Guastalla E., « La compatibilità dei danni punitivi con l’ordine pubblico alla luce della funzione sanzionatoria di alcune disposizioni normative processualcivilistiche », Resp. civ. prev., 2016, p. 1474 et s. ; Scognamiglio C., « Il referente costituzionale del discorso : il principio di effettività », Resp. civ. prev., 2016, p. 1120 et s. ; D’Alessandro E., « Postilla », Danno e resp., 2014, p. 25 et s. ; Perlingieri P., « Le funzioni della responsabilità civile », Rass. dir. civ., 2011, p. 115 ; Busnelli F.D., « Deterrenza, responsabilità civile, fatto illecito, danni punitivi », Eur. e dir. priv., 2009, p. 925 et s. ; di Majo A., « La responsabilità civile nella prospettiva dei rimedi : la funzione deterrente », Eur. dir. priv., 2008, p. 289 et s.
Sur ce principe traditionnel, v. Mazeaud H., Mazeaud L., Mazeaud J. et Chabas F., Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle (préface de Capitant H.), tome III, 6e éd., 1978, Montchrestien, p. 707, selon lesquels les effets de l’idée de punition privée, de plus en plus présente dans la législation française (mais la discussion pourrait s’étendre à l’évolution que connaissent de manière analogue les législations de nombreux autres pays d’Europe continentale, y compris l’Italie), seraient « indéfendables en droit comme en équité », surtout dans la mesure où « il ne faut (…) pas transformer en une chance la malchance. La justice proteste là contre. Le principe doit demeurer que, si la victime a droit à la réparation de tout le dommage, elle ne saurait obtenir plus ».
La raison fondamentale de ce revirement est que si l’on peut dire que le XXe siècle a été le « siècle des accidents », que la responsabilité civile pourrait bien se limiter à réparer, le XXIe siècle promet d’être plutôt le « siècle des catastrophes », qu’il s’agit plutôt d’éviter, de sorte que la responsabilité civile devrait maintenant non plus seulement se diriger vers le passé, mais se tourner vers l’avenir : pour l’ensemble des questionnements concernant ce point de vue, v. entre autres Brun P., Responsabilité civile extra-contractuelle, 4e éd., 2016, LexisNexis, p. 11 et s. ; Lequette Y., « Propos introductifs », in Lequette Y. et Molfessis N. (dir.), Quel avenir pour la responsabilité civile ?, 2015, Dalloz, p. 6 et s.
Une autre raison pourrait être trouvée dans le retrait du droit pénal, dû au processus de décriminalisation – dans divers États d’Europe continentale – qui a pris pied surtout (mais pas seulement) en matière commerciale : v. à ce propos par exemple d’Alès T. et Terdjman L., « L’introduction envisagée de mécanismes répressifs dans le droit de la responsabilité civile : le Rubicon sera-t-il franchi ? », AJCA 2017, p. 69. Mais la question est particulièrement débattue, puisqu’on trouve aussi des auteurs qui, en Europe continentale, continuent de défendre l’idée qu’il conviendrait d’éviter la confusion entre les recours du droit civil et ceux du droit pénal : v. parmi les tenants de cette position par ex. Dreyer E., « La sanction de la faute lucrative par l’amende civile », D. 2017, p. 1136 ; Rias N., « L’amende civile : une fausse bonne idée ? », D. 2016, p. 2072.
Et ce alors que l’ordonnance n° 9978, du 16 mai 2016 (cit.) s’était basée sur une notion d’ordre public très différente du passé, c’est-à-dire à la fois « constitutionnel » (la reconnaissance de décisions étrangères étant impossible seulement si ses effets sont incompatibles avec une valeur d’ordre constitutionnel jugé essentielle et indispensable) et surtout « international » (fondé sur les principes fondamentaux du droit italien mais en harmonie avec ceux de la communauté internationale) de manière à provoquer un relâchement progressif de la protection face aux concepts de droit étranger et favoriser ainsi la globalisation des systèmes juridiques. On retrouve aussi en France l’idée selon laquelle « le juge de l’exequatur n’est plus un garde-frontière protectionniste mais il s’efforce de dessiner les contours d’un espace favorable à l’épanouissement d’un idéal de justice universelle répondant à des principes communs » (Chevalier P., « La nouvelle cartographie des voies ouvertes pour la reconnaissance ou l’exécution en France des décisions étrangères », Rev. crit. DIP, 2014, p. 1 ; v. également Guillaumé J., « L’ordre public international selon le rapport 2013 de la Cour de cassation », D. 2014, p. 2121).
Plus généralement (sans égard particulier à la notion d’ordre public et à la question des dommages-intérêts punitifs), la conviction que les défis actuels de la responsabilité civile doivent être traités d’abord au niveau de chaque nation, avant d’être traités au niveau européen (et a fortiori au niveau extra-européen), est particulièrement répandue en France. V., par exemple, Brun P., Responsabilité civile extra-contractuelle, 4e éd., 2016, LexisNexis, p. 14 et s.
V. supra, note 9.
Comme cela a été mentionné plus haut, dans la doctrine italienne, cette idée a été récemment exprimée en des termes analogues avant tout par Sesta M., « Il danno nelle relazioni familiari tra risarcimento e finalità punitiva », Fam. e dir., 2017, p. 289 et 295.
Comme signe d’une ouverture progressive (ou d’une moindre fermeture) du système juridique allemand vis-à-vis des concepts nord-américains, on cite parfois (par ex. Cass., ord. de renvoi du 16 mai 2016, n° 9978 : « I danni punitivi e le funzioni della responsabilità civile », Corr. giur., 2016, p. 912 et s., note Scognamiglio C. ; « Il problema della riconoscibilità di sentenze comminatorie di punitive damages : alcuni spunti ricostruttivi », Riv. dir. civ., 2016, p. 1644 et s., note De Menech C.) le Kammerbeschluss du Bundesverfassungsgericht, 24 janv. 2007, Juristen Zeitung, 2007, p. 1046 et s. Mais le Kammerbeschluss, lorsqu’il évoque – d’ailleurs de manière plutôt synthétique – des dommages-intérêts punitifs, ne le fait pas en termes généraux, mais dans le cadre de l’art. 13 de la convention de La Haye du 15 nov. 1965 (en matière de notification et de communication à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale).
Le Beschluss du Bundesgerichtshof du 22 juin 2017 (traduit en italien, « La responsabilità ex art. 96, 3º comma, c.p.c. al vaglio della Corte suprema tedesca », Giurisprudenza italiana, 2017, p. 2394 et s., note D’Alessandro E.), n’a pas lui non plus fait évoluer la position de 1992 (indiquée dans le texte et dans la note suivante), puisqu’il y fait référence en y adhérant dans ses motivations (où la question des dommages-intérêts punitifs américains émerge d’ailleurs de manière incidente). Le précédent fondamental (même si plutôt daté) allemand, sur les dommages-intérêts punitifs et sur leur (non-) compatibilité avec l’ordre public en termes généraux, reste donc celui de 1992.
« BGH, Urteil du 4 juin 1992 », Juristen Zeitung, 1993, p. 261 et s. À ce propos, v. récemment, Tescaro M., « I punitive damages nordamericani : il punto di vista del Bundesgerichtshof (e non solo ?) », Studium iuris, 2017, p. 317 et s.
Pour un approfondissement, v. Tescaro M., « I punitive damages nordamericani : Bundesgerichtshof, Cour de cassation e Sezioni Unite della Cassazione a confronto », Lavoro, Diritti, Europa (revue directement accessible à l’adresse suivante : www.lavorodirittieuropa.it/), 2017, n° 1, p. 3 et s.
Pour un approfondissement, v. Tescaro M., « I punitive damages nordamericani : il punto di vista del Bundesgerichtshof (e non solo ?) », Studium iuris, 2017, p. 318 et s.
V. Cass. 1re civ., 1er déc. 2010, n° 09-13303 : « La compatibilité de principe des punitive damages avec l’ordre public international : une décision en trompe-l’œil de la Cour de cassation ? », D. 2011, p. 423 et s., note Licari F.-X. ; « De la conformité des dommages-intérêts punitifs à l’ordre public », Rev. crit. DIP, 2011, p. 93 et s., note Gaudemet-Tallon H. Sur cette question, v. aussi Remy-Corlay P., « Dommages et intérêts punitifs et ordre public international : contrôle de proportionnalité », RTD civ. 2011, p. 317 ; Wester-Ouisse V. et Thiede T., « Punitive Damages in France : A New Deal ? », Journal of European Tort Law, 2012, p. 115 et s.
V. par exemple Terré F., Simler P. et Lequette Y., Droit civil. Les obligations, 11e éd., 2013, Dalloz, p. 743 ; Bénabent A., Droit des obligations, 15e éd., 2016, LGDJ, p. 328.
V. Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 11-23871 : www.legifrance.gouv.fr.
V., pour un approfondissement, Scognamiglio C., « Quale futuro per i danni punitivi ? (aspettando la decisione delle Sezioni Unite) », Giustiziacivile.com, Approfondimento, 7 mars 2017, p. 38, n° 64 ; D’Alessandro E., « Postilla », Danno e resp., 2014, p. 25.
V. Cass., ord. de renvoi du 16 mai 2016, n° 9978 : « I danni punitivi e le funzioni della responsabilità civile », Corr. giur., 2016, p. 912 et s., note Scognamiglio C. ; « Il problema della riconoscibilità di sentenze comminatorie di punitive damages : alcuni spunti ricostruttivi », Riv. dir. civ., 2016, p. 1644 et s., note De Menech C.
Laquelle n’avait pas pensé à demander l’exécution partielle de la décision de justice étrangère : v. « De la conformité des dommages-intérêts punitifs à l’ordre public », Rev. crit. DIP, 2011, p. 93 et s., note Gaudemet-Tallon H., qui précise qu’« en l’espèce, la question n’ayant pas été soulevée par les parties, ni la cour d’appel de Poitiers, ni la Cour de cassation n’avaient à évoquer cette éventualité d’un exequatur partiel. Mais si les époux S. en avaient fait la demande, rien ne dit que cette demande n’aurait pas été couronnée de succès ».
Dans le même sens, v. aussi, entre autres, « De la conformité des dommages-intérêts punitifs à l’ordre public », Rev. crit. DIP, 2011, p. 93 et s., note Gaudemet-Tallon H, qui, concernant l’éventualité de l’exécution en France de la seule partie de la condamnation étrangère pour dommages-intérêts compensatoires, affirme qu’« une telle solution aurait été plus équitable car les époux S. avaient bien subi un préjudice qui devait être réparé ».
V. Licari F.-X. ; « De la conformité des dommages-intérêts punitifs à l’ordre public », Rev. crit. DIP, 2011, p. 423 et s., et spéc. p. 427, où il est précisé que « le pseudo-test de proportionnalité mis en œuvre par la Cour de cassation constitue sans doute une rationalisation commode du résultat qu’un moyen de l’obtenir. Le résultat recherché était probablement de fermer la porte aux punitive damages ». Selon Bacache-Gibeili M., « Les obligations. La responsabilité civile extracontractuelle », in Larroumet C. (dir.), Traité de droit civil, t. 5, 3e éd., 2016, Economica, p. 761, il s’agit là d’« une grande avancée vers l’intégration en droit français des dommages et intérêts punitifs », mais « la portée pratique de la solution doit être néanmoins relativisée dans la mesure où les limites posées par la Cour de cassation privent le principe d’une chance réelle d’application ».
Sur le même thème, v. aussi, entre autres, pour un aperçu du débat, Grossi P., « La invenzione del diritto : a proposito della funzione dei giudici », Riv. trim. dir. proc. civ., 2017, p. 831 et s. ; Vettori G., La giurisprudenza fonte del diritto privato ?, ibid., 2017, p. 869 et s. ; Riccio A., « La giurisprudenza fonte del diritto », Contr. e impr., 2017, p. 857 et s. ; Galgano F., La giurisprudenza fra ars inveniendi e ars combinatoria, ibid., 2012, p. 77 et s.
Ceci aussi bien parce que cette position résultait de l’ordonnance de renvoi (Cass., ord. de renvoi du 16 mai 2016, n° 9978 : « I danni punitivi e le funzioni della responsabilità civile », Corr. giur., 2016, p. 912 et s., note Scognamiglio C. ; « Il problema della riconoscibilità di sentenze comminatorie di punitive damages : alcuni spunti ricostruttivi », Riv. dir. civ., 2016, p. 1644 et s., note De Menech C.) que parce qu’elle avait été évoquée, comme celle des autres pays, lors d’un séminaire qui s’était tenu à Rome auprès de la Cour de cassation le 1er et le 2 févr. 2017 intitulé « Les nouvelles frontières de la réparation » (c’est-à-dire juste avant la décision de l’assemblée plénière et en ayant ouvertement à l’esprit l’imminente décision).
Pour une illustration de ce point de vue dans la doctrine française, v. Wester-Ouisse V., « Le dommage anormal », RTD civ. 2016, p. 531, selon lequel : « Que les juridictions civiles puissent imposer des dommages-intérêts punitifs n’est en soit pas critiquable, à condition toutefois qu’on ne perde pas de vue la nature répressive de ces sommes exigées. En conséquence, ces dommages-intérêts punitifs devraient être dissociés des préjudices moraux, qui n’ont ni la même nature, ni les mêmes objectifs, et limités à des hypothèses prévues par la loi car toute “matière pénale” doit être soumise aux principes généraux du droit pénal, quelle que soit la juridiction qui les applique ; l’un de ces principes est la légalité pénale : la peine doit être prévisible ». Sur ce thème, v. aussi Girard B., « Le retournement du principe constitutionnel de responsabilité en faveur des auteurs de dommages », D. 2016, p. 1346.
Il s’agit de l’affaire Exxon Shipping Co. v. Baker, 128 S. Ct. 2605, 2621 (2008), c’est-à-dire la décision la plus récente de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique qui mérite ici une attention particulière puisque, même si elle se prononce sur une question de droit maritime fédéral, elle fournit une reconstruction complète du concept des dommages punitifs d’un point de vue général.
À cet égard, il pourrait être tentant de préconiser l’introduction d’un plafond spécifique, peut-être consistant, si l’on s’inspire de l’arrêt Exxon précité, dans un rapport maximal de 1 à 1 entre le dédommagement compensatoire et le dédommagement punitif. Cependant une telle thèse, même si elle peut être tentante sur le plan de la sécurité juridique, ne convainc pas, déjà à la lecture de l’arrêt Exxon, où la Cour suprême des États-Unis d’Amérique (statuant, entre autres, en vertu de sa compétence sectorielle en matière de droit maritime) affirme le caractère adéquat d’un tel plafond, mais exclusivement pour le cas spécifique qui lui avait été soumis à cette occasion. De plus, des études comparatives approfondies menées du point de vue du droit européen ont déjà démontré la lacune générale des limites quantitatives (v., amplius, Vignon-Barrault A. , « Les dommages et intérêts punitifs », in Pierre P. et Leduc F. (dir.), La réparation intégrale en Europe, 2012, Larcier, p. 95).
Dans ce cadre, les « différences résultant de la nature coupable ou frauduleuse du comportement fautif » pourront jouer un rôle fondamental, comme l’indique dans le texte l’arrêt de la Cour de cassation italienne.
On peut trouver des illustrations utiles de cette évaluation dans « la solution de compromis entre Common law et tradition civiliste » (le Tourneau P., Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, 10e éd., 2014, Dalloz, p. 41) données par l’art. 1621 du Code civil du Québec, lequel énonce que « lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive. Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers ». À propos de l’importance de cette norme du point de vue du droit comparé, cf. Hocquet-Berg S., « Caractère indemnitaire ou punitif des dommages-intérêts », in Dubuisson B. et Jourdain P. (dir.), Le dommage et sa réparation dans la responsabilité contractuelle et extracontractuelle, 2015, Bruylant, p. 217 et s. et 229.
L’affaire soumise à l’assemblée plénière, comme on l’a déjà dit, ne permettait pas le développement d’idées particulières sur cette question, puisqu’il ne s’agissait pas d’une véritable demande de dommages-intérêts. La Cour, en d’autres termes, s’est prononcée sur la question de la réparation punitive au moyen d’un obiter dictum (mais consciente de la valeur persuasive considérable que sa décision aurait eue pour la jurisprudence italienne).
Pour des observations critiques plus générales concernant la responsabilité civile italienne, en particulier le rôle des juges parfois excessif et très difficile à contrôler, cf., entre autres, di Majo A., « La responsabilità civile nella prospettiva dei rimedi : la funzione deterrente », Eur. dir. priv., 2008, p. 289 et s. ; Castronovo C., Eclissi del diritto civile, 2015, Giuffrè, passim. On retrouve des observations similaires concernant la responsabilité civile française : Brun P., Responsabilité civile extra-contractuelle, 4e éd., 2016, LexisNexis, p. 16 ; Lequette Y., « Propos introductifs », in Lequette Y. et Molfessis N. (dir.), Quel avenir pour la responsabilité civile ?, 2015, Dalloz, p. 4 et s. ; concernant plus spécifiquement la question des dommages-intérêts punitifs, Hocquet-Berg S., « Caractère indemnitaire ou punitif des dommages-intérêts », in Dubuisson B. et Jourdain P. (dir.), Le dommage et sa réparation dans la responsabilité contractuelle et extracontractuelle, 2015, Bruylant, p. 226. Pour une opinion diverse, v. Scognamiglio C., « I danni punitivi e le funzioni della responsabilità civile », Corr. giur., 2016, p. 918.
Comme l’avait affirmé, avant la publication de l’arrêt de la Cour de cassation italienne, Asprella C., « L’art. 96, comma 3, c.p.c. tra danni punitivi e funzione indennitaria », Corr. giur., 2016, p. 1595.
Même si tous ne l’évoquent pas (v., par exemple, Dissaux N., « Projet de réforme de la responsabilité civile et droit de la distribution », AJCA, 2017, p. 205, où l’on parle, à cet égard, de l’introduction en France du dommages et intérêts punitifs), ce dispositif est structuré, sur plusieurs points, de manière très différente par rapport aux dommages-intérêts punitifs américains. Sur ce point, v. Behar-Touchais M., « L’amende civile est-elle un substitut satisfaisant à l’absence de dommages-intérêts contractuels ? », LPA 20 nov. 2002, p. 36 ; Hocquet-Berg S., « Caractère indemnitaire ou punitif des dommages-intérêts », in Dubuisson B. et Jourdain P. (dir.), Le dommage et sa réparation dans la responsabilité contractuelle et extracontractuelle, 2015, Bruylant, p. 227 et s. ; Boutonnet M., Sintez C. et Thibierge C., « Consacrons les fonctions et les effets de la responsabilité civile ! », D. 2016, p. 2414 ; Borghetti J.-S., « Un pas de plus vers la réforme de la responsabilité civile : présentation du projet de réforme rendu public le 13 mars 2017 », D. 2017, p. 770.
Cattalano-Cloarec G., « Lo stato dell’arte del risarcimento punitivo nel diritto francese », Contratto e impresa/Europa, p. 27.
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Plan
- 1À propos des dommages-intérêts punitifs : la Cour de cassation italienne vient-elle de suivre l’exemple français ?
- 1.1I – Introduction
- 1.2II – La décision en assemblée plénière de la Cour de cassation italienne n° 16601 de 2017 : premières observations
- 1.3III – La position du Bundesgerichtshof de 1992
- 1.4IV – La position de la Cour de cassation française de 2010
- 1.5V – L’arrêt de la Cour de cassation italienne en chambre plénière n° 16601 de 2017 : approfondissements
- 1.6VI – Conclusion