Délais de grâce : balance romaine contre balance de Roberval
En matière de surendettement, il résulte de l’article L. 722-8, du Code de la consommation que, pour prononcer la suspension d’une mesure d’expulsion, le juge ne doit prendre en considération que la situation du débiteur.
Cass. 2e civ., 19 oct. 2017, n° 16-12885
Une personne menacée d’expulsion demande et obtient le bénéfice d’une procédure de surendettement. La commission de surendettement demande alors la suspension de la procédure d’expulsion conformément à l’article L. 722-6 du Code de la consommation. Le juge d’instance du tribunal de Bobigny accède à la demande mais en subordonnant la suspension de l’exécution à la condition que l’occupant paye une indemnité d’occupation. Cette condition est le nœud du litige1.
Sur recours, la cour d’appel supprime la condition et la Cour de cassation rejette le pourvoi, opérant d’ailleurs une substitution de motifs. Pour la Cour de cassation, « il résulte de l’article L. 331-3-2, devenu l’article L. 722-8 du Code de la consommation que, pour prononcer la suspension d’une mesure d’expulsion, le juge ne doit prendre en considération que la situation du débiteur », c’est-à-dire que, pour statuer sur la demande de suspension de l’exécution, le juge doit faire abstraction de la situation du créancier.
C’est intéressant, encore que le texte du Code la consommation soit clairement en ce sens. À la lettre, l’opportunité du bénéfice[...]
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Du moins, c’est le nœud dans lequel nous avons choisi de mordre ; en fait, il y en avait un autre, plus spécifiquement procédural, tenant à la recevabilité de l’appel incident en cas de disparition de l’objet de l’appel principal, sur lequel v. Gaz. Pal. 6 févr. 2018, n° 312t1, p. 57, note Hoffschir M.
C. consom., art. L. 722-2. V. égal. C. consom., art. L. 722-14 (suspension de plein droit des intérêts et des pénalités de retard).
V. Cass. com., 16 juin 1998, n° 96-15525 : Bull. civ. IV, n° 193 ; D. 1998, p. 429, obs. Derrida F. On entend d’ici les spécialistes de procédures collectives disant que, dans les procédures collectives, le principe d’égalité entre les créanciers n’est plus ce qu’il était (Lucas F.-X., Droit de la faillite, 2e éd., 2016, PUF, n° 191), que depuis longtemps il n’est pas exempt d’ambiguïtés (Cabrillac M., « Les ambiguïtés de l’égalité entre les créanciers », Mélanges Breton-Derrida, 1991, Dalloz, p. 31), qu’au demeurant les procédures civiles d’exécution ont, elles-aussi, une dimension collective (Camensuli-Feuillard L., La dimension collective des procédures civiles d’exécution. Contribution à la définition de la notion de procédure collective, 2008, Dalloz, préf. Desdevises Y.) et que les procédures de surendettement ont encore brouillé la distinction entre les procédures conçues dans l’intérêt collectif des créanciers et celles conçues dans l’intérêt du débiteur. Certes. Mais il n’y a que dans les procédures collectives que « l’intérêt collectif des créanciers » ait une expression, même depuis la disparition de la masse (C. com., art. L. 622-20. Cabrillac M., « L’impertinente réapparition d’un condamné à mort, ou la métempsychose de la masse des créanciers », Mélanges Gavalda, 2001, Dalloz, p. 69), dont l’égalité entre eux, même relative, est le corollaire nécessaire.
V. L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 1er.
CPC exéc., art. L. 412-1.
CPC exéc., art. L. 412-2.
Ce texte est issu d’une loi d’après-guerre : L. n° 51-1372, 1er déc. 1951, relative aux sursis aux expulsions de certains occupants de bonne foi, passée par le CCH avant de rejoindre le Code des procédures civiles d’exécution.
Pour une mise en balance du droit au logement et du droit à l’exécution des décisions de justice, v. Cons. const., 29 juill. 1998, n° 98-403 DC : RDP 1999, p. 79, obs. Rousseau D. ; RTD civ. 1999, p. 132, obs. Zénati F. Adde le refus par la Cour de cassation de transmettre une QPC dirigée contre l’article L. 331-3-2 (C. consom., art. L. 722-8 nouv.), au motif que « la suspension temporaire des mesures d’expulsion du débiteur de son logement n’a ni pour effet ni pour objet de priver le propriétaire de l’immeuble de son droit de propriété, qu’elle répond à l’objectif d’intérêt général de faciliter le traitement des situations de surendettement des particuliers et que les atteintes qui en résultent pour le droit de propriété et la liberté individuelle sont proportionnées à cet objectif dès lors que le prononcé de la suspension de la mesure d’expulsion par le juge est entouré de garanties de fond et de procédure définies par le législateur qui n’est pas demeuré en deçà de sa compétence » (Cass. 3e civ., 11 juill. 2012, n° 12-40043 : D. 2012, p. 1950 ; AJDI 2013, p. 56, obs. de La Vaissière F.).
V. Sériaux A., « Réflexions sur les délais de grâce », RTD civ. 1993, p. 789.
C. civ., art. 1244, al. 2.
L. 20 août 1936. Sur ce texte, on connaît la célèbre chronique charge de Ripert G., « Le droit de ne pas payer ses dettes », DH 1936, p. 57. V. plutôt Colin A. et Capitant H., Cours élémentaire de droit civil français, par Julliot de la Morandière L., t. 2, 10e éd., 1948, Dalloz, n° 670.
L. n° 91-650, 9 juill. 1991, art. 83, créant C. civ., art. 1244-1 à C. civ., art. 1244-3. V. Sériaux A., « Réflexions sur les délais de grâce », RTD civ. 1993, p. 789 ; Paisant G., « La réforme du délai de grâce par la loi du 9 juillet 1991 relative aux procédures d’exécution », Contrats, conc. consom. 1991, p. 3. Ces dispositions de ces trois articles ont été reprises modulo quelques arrangements et réunies à l’article 1343-5 par l’ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016.
V. JCl. Civil Code, Art. 1343, fasc. 10, nos 5 et s., Grua F. et Cayrol N.
À ce propos, voici ce qu’écrivent R. Perrot et P. Théry, dont on rappelle qu’ils participèrent à l’élaboration de la loi du 9 juillet 1991 : « À la faveur du texte extrêmement fluide de 1936, la pratique a fait du délai de grâce un usage trop souvent systématique, avec cette conséquence que le report de la dette ne laissait pas toujours espérer au créancier un paiement effectif de sa créance » (Perrot R. et Théry P., Procédures civiles d’exécution, 3e éd., 2013, Dalloz, n° 125).
V. C. consom., art. L. 314-20 : « L’exécution des obligations du débiteur peut être, notamment en cas de licenciement, suspendue par ordonnance du juge d’instance dans les conditions prévues à l’article 1343-5 du Code civil ».
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