La prescription est sans incidence sur les défenses au fond
Dans un arrêt de grande portée, la Cour de cassation assigne une limite procédurale aux effets de la prescription, en considérant qu’elle peut paralyser le demandeur dans son action en justice, mais jamais le défendeur au fond qui se contente d’y objecter. Est-il bien nouveau d’affirmer que la prescription est sans incidence sur les défenses au fond ? On se demande volontiers si la Cour ne reformule pas le vieil adage de droit romain : quæ temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum. Dans l’ambition comme dans les effets, il semble toutefois qu’elle aille au-delà, de sorte que le présent arrêt peut conduire à un renouvellement des réflexions sur la prescription.
Cass. com., 6 juin 2018, n° 17-10103
La décision rendue le 6 juin 2018 est assurément de grand principe, quoiqu’il soit difficile d’en fixer l’exacte portée. Dans un arrêt promis à un vaste rayonnement, la chambre commerciale exprime de façon précise le domaine d’intervention de la prescription, d’ailleurs peu après que la première chambre civile l’avait fait1. Elle dit ainsi pour droit que la prescription est sans incidence sur les défenses au fond, ce qui transparaissait dans diverses décisions sans jamais avoir été formalisé avec une pareille netteté. L’idée d’une prescription jouant à sens unique, applicable aux demandes mais non aux défenses, ne faisait pas partie du contenu canonique de l’enseignement, mais était[...]
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Cass. 1re civ., 31 janv. 2018, n° 16-24092 : JCP G 2018, 275, note Serinet Y.-M., et JCP G 2018, 530, obs. Libchaber R. ; Gaz. Pal. 6 mars 2018, p. 20, obs. Mignot M.
V. ainsi : Cornu G. et Foyer J., Procédure civile, 1996, PUF, p. 372, n° 84 ; Cadiet L. et Jeuland E., Droit judiciaire privé, 9e éd., 2016, LexisNexis, p. 386, n° 474 ; et tout récemment Chainais C., Ferrand F., Mayer L. et Guinchard S., Procédure civile, 34e éd., 2018, Dalloz, p. 285, n° 365.
Selon la cour d’appel, « l’obligation d’information annuelle devant être satisfaite au 31 mars de chaque année, il convient donc de considérer que la réclamation au titre de cette déchéance est prescrite pour les années antérieures au 1er avril 2009, soit jusqu’en 2008 ».
Il s’agit en effet d’une exception personnelle à la caution (Cass. com., 22 avr. 1997, n° 94-12862 : Bull. civ. IV, n° 97) : une fois invoquée, elle profite à qui l’a demandée, sans extension aux codébiteurs solidaires malgré les effets a priori attendus de la représentation mutuelle (Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n° 01-03772 : Bull. civ. I, n° 252).
Il est d’ailleurs arrivé à la Cour de signaler que la maxime quæ temporalia… ne pouvait pas jouer en cas de demande reconventionnelle : Cass. 3e civ., 9 oct. 1970, n° 69-11787 : Bull. civ. III, n° 508 – Cass. 3e civ., 5 févr. 1971, n° 69-12040 : Bull. civ. III, n° 85 – Cass. com., 27 avr. 1979, n° 77-11463 : Bull. civ. IV, n° 133 – Cass. com., 3 nov. 1980, n° 79-11360 : Bull. civ. IV, n° 360.
Bandrac M., La nature juridique de la prescription extinctive en matière civile, 1986, Economica.
En ce sens, par opposition à la formulation de l’article 2219, on pourra être sensible à celle de l’article 2224, selon lequel ce sont les actions, personnelles ou mobilières, qui se prescrivent par 5 ans.
Rapprochement effectué par un ancien arrêt : « attendu qu’en fait, la maxime : Temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum, en vigueur dans notre législation actuelle, doit être appliquée en faveur des défendeurs qui, ayant possédé jusque-là sans trouble, n’ont pas eu intérêt à prendre l’initiative de l’attaque », Cass. civ., 21 juin 1880 : DP 1881, 1, 108 (v. égal. Cass. civ., 1er déc. 1846 : DP 1847, 1, 15).
L’exception de nullité s’est trouvée très critiquée dans les réflexions doctrinales contemporaines, notamment en raison de décisions de justice quelque peu erratiques. Pour une mise au point récente, Picod N., « Le déclin de l’exception de nullité à l’époque récente », RTD com. 2014, p. 509.
Pour une critique de grande ampleur de ce nouvel article, à laquelle on ne souscrit pas toujours : Mazeaud D., « Proposition de modification de l’article 1185 du Code civil : l’exception de nullité », RDC 2017, n° 114b1, p. 184.
Peut-être par un rapprochement hasardeux, on peut se demander si le procédé n’est pas reconnu en matière de responsabilité. La première ligne jurisprudentielle concerne l’invocation par la caution, en défense, d’une faute du créancier à seule fin de se libérer : « attendu que, poursuivie en paiement par le créancier, la caution qui demande à être déchargée de son obligation en raison de la faute commise par celui-ci à l’encontre du débiteur principal, sans prétendre obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire, peut procéder par voie de défense au fond » (Cass. com., 26 oct. 1999, n° 96-16837 : Bull. civ. IV, n° 182 – Cass. com., 26 avr. 2000, n° 96-21941 : Bull. civ. IV, n° 80 – Cass. 1re civ., 4 oct. 2000, n° 98-10075 : Bull. civ. I, n° 233 – Cass. com., 13 déc. 2017, n° 13-24057, PB). La seconde ligne jurisprudentielle concerne l’action en paiement d’un entrepreneur : « poursuivi en paiement du prix des travaux, le débiteur avait la faculté de demander à être déchargé de son obligation en invoquant la faute du cocontractant dans l’exécution de ses obligations, sans prétendre à un autre avantage que le simple rejet de la prétention adverse » (Cass. 3e civ., 3 mai 2001, n° 00-10053 : Bull. civ. III, n° 57).
En ce sens, Libchaber R., note sous Cass. com., 6 juin 2001, n° 98-18928 : Rép. Defrénois 2001, p. 1429.
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