Le juge peut-il relever d'office un moyen prescrit ?
Le juge peut-il relever d’office les moyens de droit déjà prescrits au jour où il statue ? Peut-il, par exemple, opposer à un prêteur qui réclame paiement la déchéance de son droit aux intérêts, alors que l’emprunteur, s’il avait agi, aurait vu son action en déchéance rejetée en application des règles de la prescription ? La question se pose avec une acuité particulière en droit de la consommation où le relevé d’office est fréquemment utilisé.
CA, 11 janv. 2018, n° 16/12948
La prescription est loin d’avoir livré tous ses secrets. La présente espèce en témoigne1, posant une question originale : le juge peut-il soulever d’office un moyen prescrit ? La question se pose avec une acuité particulière en droit de la consommation où le relevé d’office joue un rôle majeur. Le juge dispose en effet d’une faculté générale de relever d’office les dispositions du Code de la consommation2 – qui se mue même en devoir pour l’appréciation du caractère abusif d’une[...]
L'accès à l'intégralité de ce document est réservé aux abonnés
CA Paris, 4-9, 11 janv. 2018, n° 16/12948 : JCP E 2018, p. 1260, n° 21, note Maumont B. ; D. 2018, p. 238, note Poissonnier G.
V. C. consom., art. R. 632-1 (C. consom., art. L. 141-4 anc.).
V. C. consom., art. L. 212-1. Et ce en application de l’arrêt Pannon (CJCE, 4 juin 2009, n° C-243/08, Pannon : D. 2009, p. 2312, note Poissonnier G ; D. 2010, p. 169, note Fricero N. ; D. 2010, p. 790, note Poillot E. ; RTD civ. 2009, p. 684, note Rémy-Corlay P. ; RTD com. 2009, p. 794, note Legeais D.). Cette obligation est en vérité en deçà des exigences du juge européen qui semble imposer le relevé d’office de toutes les dispositions protectrices du consommateur issues du droit de l’Union. − V. not. pour le formalisme du contrat de crédit CJUE, 21 avr. 2016, n° C-377/14, Radlinger : D. 2016, p. 1744, note Aubry H.
Moracchini-Zeindenberg S., « Le relevé d'office en droit de la consommation interne et communautaire », Contrats, conc. consom. 2013, étude 9 ; Flores P. et Biardeaud G., « L'office du juge et le crédit à la consommation », D. 2009, p. 2227 ; Poissonnier G., « Mode d'emploi du relevé d'office en droit de la consommation », Contrats, conc. consom. 2009, étude 5.
Sanction prévue par ex. à C. consom., art. L. 311-4.
Selon laquelle la prescription éteint le droit lui-même.
Selon laquelle la prescription éteint seulement l’action, laissant survivre le droit mais privé de son pouvoir de contrainte judiciaire.
Selon laquelle la prescription est la faculté offerte au débiteur de s’opposer à toute action en paiement ou toute voie d’exécution exercée par son créancier après l’écoulement du délai, V. en ce sens, Billiau M. et a., Traité de droit civil, Le régime des créances et des dettes, 2005, LGDJ, n° 1115. Sur le débat entre les différentes thèses, v. Huet J et Lamarche T., « Extinction du droit de créance ou prescription de l’action : what a question ! » JCP E 2012, p. 1529. Adde François J., Traité de droit civil, les obligations : régime général, 4e éd., 2017, Economica, nos 221 et s.
V. not. en ce sens : Maumont B., « Déchéance du droit aux intérêts du prêteur − Le relevé d'office à l'épreuve de la prescription », JCP E 2018, p. 1260, n° 21.
La loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 a, en effet, modifié l’article C. consom., L. 311-37, anc. (devenu C. consom., art. R. 312-35) pour y ajouter la précision suivante : « Les actions en paiement engagées devant lui [le tribunal d’instance] à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur doivent être formées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion » (nous soulignons). Ce faisant, le texte a mis fin à la bilatéralité du délai de forclusion applicable au crédit à la consommation. Celui-ci ne s’applique donc qu’aux actions en paiement du prêteur, tandis que l’emprunteur ou sa caution sont soumis à la prescription quinquennale lorsqu’ils agissent contre le prêteur au titre de ses manquements contractuels.
V. ainsi : Cass. 1re civ., 3 janv. 1996, n° 94-04022 ; Cass. 1re civ., 9 déc. 1997, n° 96-04172 ; Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 00-10664 : Bull. civ. I, n° 229 ; RTD com. 2003, p. 356, note Bouloc B.
V. déjà la même juridiction dans le même sens : CA Paris, 6 juill. 2017, n° 16/14519 ; CA Paris, 23 nov. 2017, n° 15/10302.
V. en ce sens : Lagarde X., « Forclusion biennale et crédit à la consommation − La réforme de l'article L. 311-37 du Code de la consommation », JCP G 2002, doctr. 106.
V. not. pour une argumentation très détaillée : TI Montluçon, 4 juill. 2018, n° 11-18-000056 : D. 2018, p. 1485, note Poissonnier G. Le tribunal souligne entre autres que le relevé d’office du Code de la consommation est une règle spéciale qui n’a été enfermée par le législateur dans aucun délai.
Ainsi par ex., C. civ., art. 2224 vise l’extinction de l’action.
Par ex., C. civ., art. 2219, qui définit la prescription, en fait un mode d’extinction du droit.
V. ainsi la définition de l’action à l’article 30 du Code de procédure civile : « L'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée.
Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention. »
D’autant que la prescription est une fin de non-recevoir. Faudrait-il admettre que le juge soit irrecevable ?
Pour une analyse particulière de l’office du juge en droit de la consommation, v. Gorchs B., « Le relevé d'office des moyens tirés du Code de la consommation : une qualification inappropriée », D. 2010, p. 1300.
Le droit européen s’oppose ainsi à une limitation temporelle de la critique d’une clause abusive : CJCE, 21 nov. 2002, n° C-473/00 : JCP G 2003, II, 10082, comm. Paisant G. Mais la solution peut s’expliquer par le particularisme de la sanction des clauses abusives – le réputé non écrit – auquel le droit positif confère parfois un caractère imprescriptible.
V. Cass. 1re civ., 31 janv. 2018, n° 16-24092 : Dalloz actualité 2018, p. 292, note Kebir M ; AJCA 2018, p. 141, note Piette G. ; RDI 2018, p. 214, note Heugas-Darraspen H. ; RTD civ. 2018, p. 455, note Crocq P. ; Gaz. Pal. 6 mars 2018, n° 315a8, p. 20, note Mignot M ; JCP 2018, p. 275, note Serinet Y.-M. ; JCP 2018, p. 367, note Simler P. ; JCP 2018, p. 530, note Libchaber R. − Cass. com., 6 juin 2018, n° 17-10103 : Gaz. Pal. 10 juill. 2018, n° 325d6, p. 19, note Mignot M. ; Libchaber R., « La prescription est sans incidence sur les défenses au fond », RDC 2018, n° 115r0, supra.
Cass. com., 21 oct. 2014, n° 13-21341, D ; Cass. com., 28 mars 2018, n° 16-27832, D.
V. Cadiet L. et Jeuland E., Droit judiciaire privé, 10e éd., 2017, LexisNexis, n° 464.
Cass. com., 26 oct. 1999, n° 96-16837 : D. 2000 p. 340, note Jobard-Bachellier M.-N. ; RTD com. 2000, p. 157, note Cabrillac M.
V. Cass. 1re civ., 31 janv. 2018, n° 16-24092 : Dalloz actualité 2018, p. 292, note Kebir M ; AJCA 2018, p. 141, note Piette G. ; RDI 2018, p. 214, note Heugas-Darraspen H. ; RTD civ. 2018, p. 455, note Crocq P. ; Gaz. Pal. 6 mars 2018, n° 315a8, p. 20, note Mignot M ; JCP 2018, p. 275, note Serinet Y.-M. ; JCP 2018, p. 367, note Simler P. ; JCP 2018, p. 530, note Libchaber R.
Cass. com., 6 juin 2018, n° 17-10103 : Gaz. Pal. 10 juill. 2018, n° 325d6, p. 19, note Mignot M. ; RDC 2018, n° 115r0, note Libchaber R., supra.
Le demandeur n’aurait pas en effet d’intérêt à agir. V. en ce sens RTD civ. 2011, p. 795, note Théry P. sous Cass. ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16008.
V. semble-t-il en ce sens en matière de cautionnement : Cass. com., 26 oct. 1999, n° 96-16837 : D. 2000, p. 340, note Jobard-Bachelier M.-N. ; RTD com. 2000, p. 157, note Cabrillac M. L’idée en effet est d’entendre strictement la notion d’« avantage » exigé par l’article 64 du Code de procédure civile pour les demandes reconventionnelles. Dès lors que le moyen invoqué ne permet pas d’obtenir matériellement plus que le rejet ou la diminution du montant des prétentions de l’adversaire, il ne s’agit pas d’une nouvelle demande mais d’une simple défense au fond, peu important qu’il faille procéder par la compensation avec une créance reconnue alors au défendeur. Au soutien de cette thèse, v. not. Guinchard S., « Le droit a-t-il encore un avenir à la Cour de cassation ? », in L'avenir du droit, Mélanges en hommage à François Terré, 1999, Dalloz/PUF/JurisClasseur, p. 761.
V. en ce sens : Gaudemet S., La clause réputée non écrite, 2006, Economica, nos 244 et s. V. néanmoins Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-20048, mais la solution peut s’expliquer en opportunité.
Il en va de même pour les restitutions consécutives à la nullité qui doivent être sollicitées par le demandeur : Cass. ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16008 : D. 2011, p. 1870, Deshayes O. et Laithier Y.-M. ; Rev. sociétés 2011, p. 547, note Moury J. ; RTD civ. 2011 p. 795, note Thery P.
Testez gratuitement Lextenso !