La codification des principes constitutionnels dans le Code civil
Lors de la récente réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, le législateur a fait le choix de codifier le principe de liberté contractuelle. Pareil parti pris invite à rechercher les causes de cette consécration et à s’interroger sur ses éventuelles incidences.
Le contrat et la liberté qui lui est consubstantielle constituent un objet de fascination pour les juristes1. Le nouvel article 1102 du Code civil, siège du principe de liberté contractuelle, a fait l’objet d’une (ré)écriture entre le projet d’ordonnance et la version définitive du 10 février 20162. Attendue3, quoique tardive4, pareille consécration est à la gloire du Code civil.
À l’émiettement et la dispersion de la liberté contractuelle est substitué un « puissant rempart législatif »5. Si la loi elle-même a pour fonction d’exprimer les valeurs de la société qui l’engendre, ce rôle est bien évidemment amplifié pour un code6. Plus qu’une novation, comme le souligne Gény7, il s’agit d’une rénovation du droit antérieur.
La codification, note Jean Carbonnier dans Les lieux de mémoire8, est le symbole du temps arrêté. Un temps comme suspendu au rituel de la liberté contractuelle présente à tous les stades de la vie du contrat[...]
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V. Gahdoun P.-Y., « Le Conseil constitutionnel et le contrat », Cahiers du Conseil constitutionnel 2011, dossier : Le droit des biens et des obligations.
La loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a opéré de nombreuses modifications. L’article 1102 du Code civil est cependant resté inchangé. Mekki M., « La loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 – Une réforme de la réforme ? », D. 2018, p. 900 ; Mazeaud D., « Quelques mots sur la réforme du droit des contrats », D. 2018, p. 912. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., « Ratification de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations », JCP G 2018, p. 885.
À l’exception de l’avant-projet Catala, l’ensemble des projets de codification doctrinale, au niveau national, européen ou international, contient une disposition relative à la liberté contractuelle.
Les dispositions de l’article 1102 ont été élaborées parmi les dernières.
Halpérin J.-L. , Entre nationalisme juridique et communauté des droits, 1999, PUF, p. 11. L’auteur utilise cette formule à propos de la codification.
Cabrillac R., Les Codifications, 2002, PUF, Droit, éthique, société, p. 169.
Gény F., Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif français, 1954, LGDJ, n° 52. L’auteur évoque la rupture d’avec avant.
Carbonnier J., « Le Code civil », in Nora P. (dir.), Les lieux de mémoire, la Nation, 2 ; Le territoire, l’État, le patrimoine, 1986, Gallimard, p. 308, à propos du Code civil français ; Ost F., Le temps du droit, 1999, Odile Jacob, p. 238, qui évoque le tonneau des Danaïdes et conclut à la prétention toujours déçue d’arrêter le temps.
Carbonnier J., op. cit.
Cons. const., 9 nov. 1999, n° 99-419 DC : D. 2000, p. 424, obs. Garneri S. ; GAJF, 5e éd., 2009, n° 20 ; RTD civ. 2000, p. 109, obs. Mestre J. et Fages B. ; RTD civ. 2000, p. 870, obs. Revet T. ; D. 2000, p. 116.
Gahdoun P.-Y., « Le Conseil constitutionnel et le contrat », Cahiers du Conseil constitutionnel 2011, dossier : Le droit des biens et des obligations.
Carbonnier J., « De quelques actes manqués en législation », Études offertes à P. Catala, Le droit privé à la fin du XXe siècle, 2001, Litec, p. 10.
Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC, loi sur la sécurisation de l’emploi.
Certains se sont interrogés sur le maintien de l’article 6 dont le contenu n’est point identique à celui du nouvel article 1102 du Code civil. V. en ce sens Chantepie G. et Latina M., La réforme du droit des obligations : commentaire théorique et pratique dans l'ordre du Code civil, 2016, Dalloz, art. 1102.
Et encore moins dans un titre préliminaire réunissant les grands principes (philosophiques) fondés sur la raison et la nature, à l’instar de ce qu’avait préconisé le consul Cambacérès dans son avant-projet de Code civil.
Marie Portalis J.-E., Discours préliminaire, du premier projet de Code civil 1801, 2004, Confluences, p. 14, « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Le législateur exerce moins une autorité qu’un sacerdoce. Il ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; qu’elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites ; qu’il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que s’il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ; qu’il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux ; qu’en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers de la correction même, qu’il serait absurde de se livrer à des idées absolues de perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles que d’une bonté relative ; qu’au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer ; que l’histoire nous offre à peine la promulgation de deux ou droit bonnes lois dans l’espace de plusieurs siècles ».
Mekki M., « Les principes généraux du droit des contrats », D. 2015, p. 3 ; Mekki M., « Les principes généraux du droit des contrats au sein du projet d’ordonnance portant sur la réforme du droit des obligations », D. 2015, p. 816 ; Mekki M., « La réforme au milieu du gué. Les notions absentes ? Les principes généraux du droit des contrats – aspects substantiels », RDC 2015, n° 112j7, p. 651 ; Blanc N., « Dispositions préliminaires. Analyse des articles 1101 à 1110 du projet d’ordonnance portant réforme du droit des obligations », Gaz. Pal. 29 avr. 2015, n° 223d6, p. 3 ; Chantepie G., « La liberté contractuelle : back to basics », blog Réforme du droit des obligations, Dalloz, 16 févr. 2016 ; Dissaux N. et Jamin C., « Projet de réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article », D. 2015, p. 3 ; Pérès C., « La liberté contractuelle et l’ordre public dans le projet de réforme du droit des contrats de la Chancellerie (à propos de l’article 16, alinéa 2, du projet) », D. 2009, p. 381 ; Pérès C., « Observations sur “l’absence” de principes directeurs à la lumière du projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats », RDC 2015, n° 111z5, p. 647.
Oppetit B., « De la codification », in Beigner B. (dir.), La codification, 1996, Dalloz, Thèmes et commentaires, p. 8. Adde Weber M., Sociologie juridique, 1986, PUF, p. 195 : « l’intrusion de l’imperium, spécialement l’intrusion de l’imperium du prince – d’autant plus importante que son pouvoir est fort et stable − dans la vie juridique, contribue partout à l’unification et à la systématisation du droit, à la codification ».
Lerminier E., Philosophie du droit, 3e éd., 1853, p. 447.
V. la définition étymologique du mot « symbole ».
Cabrillac R., Les Codifications, 2002, PUF, Droit, éthique, société, p. 169.
V. à cet égard, l’article 1143 du Code civil qui consacre à travers le vice de violence l’abus de dépendance.
Fenouillet D., « Les bonnes mœurs sont mortes ! Vive l’ordre public philanthropique ! », Le droit privé français à la fin du XXe siècle, Mélanges en l’honneur de P. Catala, 2001, Litec, p. 487 et s.
Hyde A-A, « Contrats et droits fondamentaux : propos critiques sur le “membre fantôme” de l’article 1102, al. 2 nouveau du Code civil », RDLF 2016, chron. n° 20.
Laquelle à n’en pas douter continuera à contrôler les limites à l’aune de principe de proportionnalité.
Fenouillet D., « Les bonnes mœurs sont mortes ! Vive l’ordre public philanthropique ! », Le droit privé français à la fin du XXe siècle, Mélanges en l’honneur de P. Catala, 2001, Litec, p. 487 et s.
C’est au demeurant la conception adoptée par le Conseil d’État. CE, ass., 27 oct.1995, n° 136727, Cne de Morsang-sur-Orge : Rec. Lebon, p. 372.
Cabrillac R., Les Codifications, 2002, PUF, Droit, éthique, société, p. 218. V. égal. les nombreuses références citées ainsi que les développements sur les expériences étrangères, p. 219 et s.
Rousseau J.-J., Considérations sur le gouvernement de Pologne et sur sa réformation projetée en avril 1772, Garnier, p. 382.
Thomas More le formule en des termes dénués d’ambiguïté dans son ouvrage consacré à l’Utopie (trad. Souvenel V., 1842, Librio, p. 96) : « Tout le monde en utopie est docteur en droit ; car je le répète, les lois y sont en très petit nombre, et leur interprétation la plus grossière, la plus matérielle est admise comme la plus raisonnable et la plus juste ».
V. Lasserre-Kiesow V., « La compréhensibilité des lois à l’aube du XXIe siècle », D. 2002, p. 1159.
Cons. const., 16 déc. 1999, n° 99-421 DC : décision relative à la loi portant habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes. V. égal. la décision Cons. const., 12 janv. 2002, n° 2001-455 DC, relative à la loi de modernisation sociale et les décisions Cons. const., 24 juill. 2003, n° 2003-475 DC, relative à la loi portant réforme des sénateurs, ainsi que Cons. const., 29 juill., n° 2004-500 DC, portant loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales.
Fluckiger A., « Le principe de clarté de la loi ou l’ambiguïté d’un idéal », Cahiers constitutionnels 2007, n° 20, dossier consacré à la normativité.
Le caractère d’objectif à valeur constitutionnelle d’un tel principe est néanmoins discuté par certains.
V. Gahdoun P.-Y., « Le Conseil constitutionnel et le contrat », Cahiers du Conseil constitutionnel 2011, dossier : Le droit des biens et des obligations.
V. égal. la dose de proportionnalité imposée au juge par l’article 1221 en cas d’exécution forcée. Le texte parle de « disproportion manifeste entre le coût de l’exécution pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ».
Chantepie G. et Latina M., « La réforme du droit des obligations : commentaire théorique et pratique dans l'ordre du Code civil », D. 2016, art. 1102.
V. C. civ., art. 1145, al. 1er : « Toute personne physique peut contracter sauf en cas d’incapacité prévue par la loi ».
V. C. civ., art. 1109 : « le contrat est consensuel lorsqu’il se forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression. Le contrat est solennel lorsque sa validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi. Le contrat est réel lorsque sa formation est subordonnée à la remise d’une chose ».
« Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par rapport ses stipulations, ni par son but que celui-ci ait été connu ou non par toutes les parties ».
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
« Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise ».
Ost F., « L’amour de la loi parfaite », L’amour des lois, 1996, L’Harmattan, p. 64.
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Plan
- 1Constitution et contrat
- 1.1Constitution et contrats – Introduction
- 1.2Les règles constitutionnelles de répartition des compétences normatives en matière contractuelle
- 1.3La codification des principes constitutionnels dans le Code civil
- 1.4La codification des principes constitutionnels dans le Code de la commande publique
- 1.5Table ronde : les réformes du droit des contrats civils et administratifs sont-elles inconstitutionnelles ?
- 1.6Le juge constitutionnel face au temps des contrats
- 1.7Le juge constitutionnel face à la volonté des parties
- 1.8Table ronde : un ordre public contractuel constitutionnel ?