La constitution du nantissement de titres financiers
En affirmant que le nantissement de compte-titres prend effet bien que la déclaration signée par le constituant n’ait pas été notifiée au teneur du compte, la Cour de cassation adopte une position discutable. La lettre des textes ne la condamne certes pas avec évidence, mais la solution tranche avec l’interprétation que l’on en faisait majoritairement, et ce sans que l’on en perçoive clairement la justification.
Cass. com., 20 juin 2018, n° 17-12559
1. Le nantissement de titres financiers, quoique massivement utilisé, comporte encore plusieurs zones d’ombre. Cela n’a rien de surprenant dans la mesure où son régime tient en un unique article du Code monétaire et financier dont la rédaction laisse à désirer (art. L. 211-20). Ce texte s’ouvre sur l’affirmation selon laquelle « le nantissement d’un compte-titres est réalisé, tant entre les parties qu’à l’égard de la personne morale émettrice et des tiers, par une déclaration signée par le titulaire du compte. » En dépit de sa précision apparente, cette disposition est doublement lacunaire : d’abord parce qu’elle occulte l’exigence d’un contrat préalablement conclu entre le créancier et le constituant, dont la déclaration ne fait que reprendre les éléments essentiels1 ; ensuite parce qu’elle n’indique pas si la sûreté naît dès le jour où ladite déclaration est signée ou seulement au jour où elle est adressée au[...]
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Praicheux S., Rép. sociétés Dalloz, v° Sûretés financières, 2010, n° 134 : « Même si l'article L. 211-20, I du Code monétaire et financier ne fait pas référence à l'existence d'un contrat, une convention préalable entre les parties est nécessaire puisque la déclaration de nantissement est unilatérale et adressée au teneur de compte. » ; v. égal. Couret A. et Le Nabasque H. (dir.), Droit financier, 2e éd., 2012, Dalloz, n° 1187.
La Cour vise l’article C. mon. fin., art. L. 431-4, dont les dispositions figurent à l’article L. 211-20 depuis l’ordonnance n° 2009-15 du 8 janvier 2009.
Une telle exigence serait de surcroît impraticable, car elle impliquerait une multitude de notifications lorsque la sûreté porte sur des titres ayant des émetteurs différents mais réunis sur un même compte, et à des notifications supplémentaires en cas d’inclusion dans l’assiette de la sûreté de titres émis par un nouvel émetteur (Rousille M., obs. sous Cass. com., 20 juin 2018, n° 17-12559 : Gaz. Pal. 23 oct. 2018, n° 333q5, p. 7).
C’est en tout cas ce que l’on croit comprendre à la lecture de l’arrêt d’appel précisant que la société émettrice n’avait jamais reporté le nantissement « sur son registre de mouvement de titres ».
Rappr. Crocq P., Droit des sûretés, D. 2018, p. 1884, n° 7.
Les juges du fond avaient relevé que le créancier « ne justifie nullement (…) que la société [émettrice] ait été destinataire de la déclaration ».
En ce sens, Delpech X., obs. sous. Cass. com., 20 juin 2018, n° 17-12559 : Dalloz actualité, 28 juill. 2018.
En ce sens à propos du projet de réforme de 2005, Synvet H., « Le nantissement des meubles incorporels », Dr. & patr. n° 140, sept. 2005, p. 64, spéc. p. 69 : « il a semblé préférable de rapprocher la solution en matière de nantissement de celle qui tend à prévaloir quant au transfert de la propriété d’instruments financiers (l’ordonnance du 24 juin 2004 ayant retenu la date de l’inscription en compte). » La règle aurait aussi été en harmonie avec le fonctionnement du nantissement judiciaire de valeurs mobilières, lequel « est opéré par la signification d’une déclaration » au teneur de compte (CPC exéc., art. R. 532-4).
V. déjà, Cass. com., 7 mars 1995, n° 92-15973 ; Dr sociétés 1995, comm. 85, note Hovasse H. ; Rev. sociétés 1995, p. 743, note Jeantin M. ; BJS juill. 1995, n° 233, p. 674, note Le Cannu P.
Martin D. R., Gage d'instruments financiers, Dictionnaire Joly : Bourse et produits financiers, 1997, n° 24. Rappr. Gaudemet A., Les dérivés, 2010, thèse, 2010, Economica, préf. Synvet H., p. 181, n° 370 : « Reste la question de savoir si l’opposabilité du gage aux tiers est acquise à compter de la signature de la déclaration par le titulaire du compte gagé ou de sa réception par l’intermédiaire teneur de compte. A priori, une déclaration est un acte “réceptice” : on déclare toujours à quelqu’un. »
Praicheux S., Rép. sociétés Dalloz, v° Sûretés financières, 2010, n° 145 : « l'émission de la déclaration ne suffit pas : en considérant sa finalité, qui est d'informer le teneur de compte, encore faut-il que celle-ci soit portée à la connaissance du teneur de compte. » ; Auckenthaler F., J.-Cl. Banque, crédit, bourse, fasc. 2130, « Nantissement de compte-titres », 2016, n° 24 : « Lorsque le créancier nanti n'est pas le teneur du compte, la convention doit être notifiée au teneur de compte » ; Couret A. et Le Nabasque H. (dir.), Droit financier, 2e éd., 2012, Dalloz, n° 1182 ; Aynès L. et Crocq P., Droit des sûretés, 11e éd., 2017, LGDJ, n° 538 : « le nantissement de compte-titres n’est donc constitué qu’à compter de la réception par le teneur de compte de la déclaration (…) » ; Albiges C. et Dumont-Lefrand M.-P., Droit des sûretés, 6e éd., 2017, Dalloz, n° 533 : « la date de constitution correspond à la date de réception de la déclaration par le teneur du compte ».
Couret A. et Le Nabasque H. (dir.), Droit financier, 2e éd., 2012, Dalloz, n° 1182.
Rappr. Couret A. et Le Nabasque H. (dir.), Droit financier, 2e éd., 2012, Dalloz, n° 1184, qui jugent « étonnante » la rédaction des textes et retiennent la date de notification en invoquant le caractère « réceptice » de la déclaration.
Klock F. et Rousille M., « Comment gérer les transferts des sûretés postérieurement à la réforme ? », RD bancaire et fin. 2017, dossier 27, n° 13 (nous soulignons).
Bac A., « La position de la Fédération bancaire française sur le projet de réforme des sûretés », Dr. & patr., n° 140, sept. 2005, p. 98, spéc. p. 100 : « il serait dangereux, pour des raisons à la fois de sécurité et d’efficacité, de ne faire prendre effet au gage qu’au moment de la réception de la déclaration de gage par le teneur de compte, et non plus, comme actuellement, à la date de l’établissement de cette déclaration ».
C’est ce que suggère le régime de la cession Dailly, dont l’opposabilité immédiate se révèle parfois préjudiciable au débiteur cédé (v. Julienne M., Régime général des obligations, 2e éd., 2018, LGDJ, n° 245 et s. et 258 et s.).
Sur ces questions, v. not. Europlace, Commentaires et propositions sur l’avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’Association Henri Capitant et rappel de quelques autres propositions de modernisation et de simplification du droit des sûretés français, sept. 2018, p. 3 et s.
Julienne M., « Le nantissement de titres financiers inscrits en blockchain », in Magnier V. et Barban P. (dir.), La blockchain, le droit des sociétés et la gouvernance d’entreprise, 2019, Trans Europe Experts, Société de législation comparée, à paraître.
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