Abus de confiance. Pas de détournement punissable de fonds remis en vertu d'un contrat de prestation de service : revirement ou précision ?
L’abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire et ne peut donc être caractérisé dès lors que des fonds ont été remis en pleine propriété en vertu de contrats de prestations de service, peu important la connaissance par le prévenu, dès la remise des fonds, de son impossibilité d’exécuter le contrat.
Cass. crim., 5 avr. 2018, n° 17-81085
L’affaire. Les faits sont simples et relèvent d’une inexécution contractuelle des plus classiques. Un traiteur, M. X, perçoit des fonds (pour certains d’entre eux, après la cessation déclarée de son activité) en vue de l’accomplissement de prestations de location d’espace et de réception. Ces prestations n’ayant pas été honorées, deux clients portent plainte. Renvoyé devant un tribunal correctionnel, le traiteur est alors condamné à un an d’emprisonnement et à une interdiction de gérer pour abus de confiance pour avoir détourné les arrhes (sic) encaissées à charge d’en faire un usage déterminé, à savoir l’organisation de mariages. La condamnation est confirmée en appel, les juges d’appel relevant que les fonds ont été encaissés sur un compte privé et non sur un compte professionnel, que l’un des contrats a été signé après la déclaration de cessation d’activité, que les fonds reçus en exécution de l’autre contrat ont été en partie perçus également après cette cessation d’activité et que le prévenu ne[...]
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Cass. crim., 20 juill. 2011, n° 10-81726 : D. 2011, p. 2242, note Lasserre-Capdeville J. ; JCP G 2011, 1226, note Samin T. et Tork S. ; Rev. pénit. 2011, p. 898 et s., note Conte P. ; RDC 2012, p. 557 et s., note Malabat V.
Cass. crim., 6 avr. 2016, n° 15-81272 : RSC 2016, p. 773, note Matsopoulou H. ; RTD com. 2016, p. 568, note Saenko L.
Cass. crim., 22 févr. 2017, n° 15-85799 : Dr. pén. 2017, p. 70, obs. Conte P. ; RDC 2017, n° 114n1, p. 493 et s., note Ollard R. ; Rev. pénit. 2017, p. 600, note Malabat V.
Cass. crim., 3 févr. 2016, n° 14-83427 : Dr. pén. 2016, p. 72, obs. Conte P. ; RTD com. 2016, p. 568, obs. Saenko L. ; RSC 2016, p. 280, note Matsopoulou H.
En ce sens Conte P., note sous cet arrêt, Dr. pén. 2018, p. 101.
V. Conte P., ibid.
V. not. Cass. crim., 6 avr. 2016, n° 15-81272, préc.
V. en ce sens RTD com. 2016, p. 568 et s., note Saenko L.
V. par ex. Conte P. note sous Cass. crim., 22 févr. 2017, n° 15-85799 : Dr. pénal 2017, p. 70. Contre cette autonomie, v. RDC 2017, n° 113x5, p. 102 et s., note Ollard R.
Sans doute peut-on prévoir que les acomptes soient contractuellement finalisés et affectés à un usage déterminé mais, à défaut de volonté expresse en ce sens, ils ne constituent qu’une fraction du prix qui n’est donc par nature pas versée à titre précaire.
Et en laissant de côté celle de la définition même de la catégorie des contrats de prestations de service. Sur ce point, v. par ex. Lardeux G., « Le contrat de prestation de service dans les nouvelles dispositions du Code civil », D. 2016, p. 1659 et s., qui considère que la notion englobe à l’évidence les contrats de mandat et de dépôt mais laisse incertaine la qualification du bail ou du prêt d’argent. V. également Puig P., Contrats spéciaux, 7e éd., 2017, Dalloz, Hypercours, nos 45 et s., p. 43 et s.
Spécificité aujourd’hui explicitement reconnue par C. civ., art. 1165.
Pour une critique de cette distinction, v. par exemple Puig P., op. cit., nos 44 et s., p. 43 et s.
V. Puig P., op. cit.
Le droit pénal accorde ainsi de l’importance à la classification des contrats qui les distingue selon qu’ils opèrent circulation ou conservation des richesses. Sur cette classification qui peut recouper celle entre contrats translatifs et non translatifs, v. Puig P., Contrats spéciaux, 7e éd., 2017, Dalloz, Hypercours, n° 47, p. 45.
La question reste posée de savoir si les fonds remis en vertu d’un contrat de prêt pourraient faire l’objet d’un détournement punissable en cas d’usage différent de celui prévu ou de non-restitution. S’il est certain qu’un bien non consomptible pourrait dans les mêmes circonstances être l’objet d’un abus de confiance, on peut malgré tout répugner à retenir l’abus de confiance en cas d’inexécution d’un contrat de prêt d’argent, ne serait-ce que parce qu’il n’est sans doute pas socialement nécessaire de permettre l’application du délit d’abus de confiance à toute inexécution d’un contrat de prêt. Peut-être peut-on avancer pour l’expliquer juridiquement que le contrat de prêt d’argent n’implique pas une conservation des fonds, pas même en valeur, mais bien leur consommation par le contractant et n’ouvre ainsi pas la porte à un détournement punissable. On perçoit instinctivement que le mandataire qui reçoit des fonds pour les représenter ou en faire un usage déterminé a des pouvoirs plus limités sur les fonds reçus que l’emprunteur qui s’est engagé à en faire un usage déterminé. Jusqu’ici la chambre criminelle n’a d’ailleurs pas admis que les fonds remis en vertu d’un contrat de prêt puissent faire l’objet d’un abus de confiance. V. not. Cass. crim., 14 févr. 2007, n° 06-82283 : Dr. pén. 2007, p. 84, note Véron M., pour un usage des sommes prêtées différent de celui contractuellement prévu et Cass. crim., 5 sept. 2007, n° 07-80529 : Dr. pén. 2007, p. 157, note Véron M. ; JCP G 2007, II, 10186, note Detraz S., pour un refus de restitution des sommes prêtées.
V. tout particulièrement Cass. crim., 3 févr. 2016, n° 14-83427 mais aussi Cass. crim., 6 avr. 2016, n° 15-81272, préc. Dans cette dernière décision, si la chambre criminelle ne s’appuie pas sur cette circonstance pour rejeter les arguments avancés au soutien du pourvoi, les juges du fond avaient bien relevé que l’accipiens savait que la situation financière de sa société ne lui permettait pas de mener à terme l’exécution du contrat et n’en avait pas moins encaissé les acomptes.
V. DDHC, art. 5 : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ».
Le juge pénal qui condamnerait pour abus de confiance ne peut en effet accorder au titre de l’action civile que des dommages et intérêts qui ne sont par ailleurs pas accordés sur un fondement contractuel (hormis le cas particulier de l’application en matière correctionnelle de l’article 470-1 du CPP où l’application des règles de la responsabilité contractuelle sera éventuellement envisageable). Le juge pénal ne peut en effet être saisi que d’une action civile en réparation du dommage causé par l’infraction et non d’une action à fins civiles. Par ailleurs, les sommes allouées par les juridictions pénales aux parties civiles en réparation du préjudice causé par une infraction sont des dommages et intérêts et non des restitutions (Cass. crim., 20 nov. 1973, n° 73-91166 : Bull. crim. n° 423).
Du point de vue du droit civil, ce comportement, en ce qu’il pourrait être qualifié de faute lourde ou intentionnelle, emporterait d’ailleurs des conséquences spécifiques en permettant notamment d’écarter les clauses limitatives de responsabilité.
Parmi les résultats de l’infraction, l’article 313-1 du Code pénal vise en effet non seulement la remise de fonds, valeurs, bien quelconque mais aussi la fourniture d’un service ou le consentement à un acte opérant obligation ou décharge.
De la même façon, toute tromperie ne permet pas de caractériser le délit de l’article L. 213-1 du Code de la consommation parce que si ce texte incrimine les tromperies quel que soit le procédé utilisé (ce qui permet donc de sanctionner les tromperies commises par extension) c’est à la condition que l’on ait trompé ou voulu tromper : « 1°Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;
2° Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ;
3° Soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre ». Hypothèses qui ne s’appliquent pas davantage à notre cas d’espèce.
En ce sens, Conte P., Droit pénal spécial, 5e éd., 2016, LexisNexis, n° 569, p. 418, expliquant que « celui qui ne détrompe pas son cocontractant, par exemple, n’est pas un escroc ».
On observe par ailleurs qu’en jurisprudence se prétendre faussement créancier (Cass. crim., 23 févr. 2005, n° 03-87387 : Dr. pén. 2005, p. 98, note Véron M.) ou propriétaire (Cass. crim., 5 oct. 2005, n° 04-85448 : Dr. pén. 2006, p. 15, note Véron M.) ne suffit pas à établir la prise de fausse qualité au sens de l’article 313-1 du Code pénal. Sur cette question, v. Conte P., Droit pénal spécial, op. cit., n° 571 ; Lepage A. et Matsopoulou H., Droit pénal spécial, 2015, PUF, Thémis, n° 708, p. 492 ; Malabat V., Droit pénal spécial, 8e éd., 2018, Dalloz, Hypercours, n° 798, p. 455.
C. pén., art. 313-5 : « La filouterie est le fait par une personne qui sait être dans l’impossibilité absolue de payer ou qui est déterminée à ne pas payer :
1° De se faire servir des boissons ou des aliments dans un établissement vendant des boissons ou des aliments ;
2° De se faire attribuer et d’occuper effectivement une ou plusieurs chambres dans un établissement louant des chambres, lorsque l’occupation n’a pas excédé dix jours ;
3° De se faire servir des carburants ou lubrifiants dont elle fait remplir tout ou partie des réservoirs d’un véhicule par des professionnels de la distribution ;
4° De se faire transporter en taxi ou en voiture de place.
La filouterie est punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »
Pour les possibilités d’applications de l’article L. 213-1 du Code de la consommation, v. supra, note 28.
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