La garantie des vices cachés fait toujours bande à part
Le point de départ du délai de la prescription extinctive prévu à l’article L. 110-4 du Code de commerce, modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, court à compter de la vente, de sorte que l’action fondée sur la garantie des vices cachés, intentée par le sous-acquéreur plus de 5 ans après la vente initiale, est manifestement irrecevable.
Cass. 1re civ., 6 juin 2018, n° 17-17438
Il y a quelques années, nous avions pointé dans ces colonnes l’étonnant particularisme de la garantie des vices cachés en matière de clauses limitatives de responsabilité1. Voici qu’un arrêt récent, rendu le 6 juin 2018 par la première chambre civile de la Cour de cassation, vient renforcer ce particularisme, mais à propos cette fois des délais d’exercice de l’action en garantie.
Un couple avait fait l’acquisition auprès d’une société, en novembre 2014, d’un véhicule d’occasion initialement mis en circulation en avril 2008. À la suite d’une panne survenue en juillet 2015, alléguant l’existence d’un vice caché, les acquéreurs avaient, en février 2016, assigné le vendeur intermédiaire et le fabricant en référé aux fins d’expertise. En appel, la cour de Chambéry avait mis hors de cause le fabricant, au motif que l’action en garantie des vices cachés doit être intentée contre le vendeur initial avant l’expiration du délai de droit commun de 5 ans prévu à l’article[...]
L'accès à l'intégralité de ce document est réservé aux abonnés
« L’étonnant particularisme de la garantie des vices cachés », note sous Cass. com., 19 mars 2013, n° 11-26566 : RDC 2013, p. 1360.
L’article 26, II, de cette loi prévoit que ses dispositions qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Dans la présente affaire, le nouveau délai de 5 ans avait donc commencé à courir le 18 juin 2008.
Cass. com., 27 nov. 2001, n° 99-13428 : JCP 2002, p. 10021, note Jourdain P. ; Contrats, conc. consom. 2002, comm. 43, obs. Leveneur L. − Cass. 3e civ., 26 mai 2010, n° 09-67008.
Cass. 3e civ., 16 nov. 2005, n° 04-10824 : D. 2006, p. 971, note Cabrillac R. ; JCP 2006, p. 10069, note Trébulle F.-G.
V. not. sur ce point Klein, J., Le Point de départ de la prescription, 2013, Economica, préf. Molfessis N., nos 103 et 562, ainsi que les références citées.
Il convient de relever que, le lendemain du prononcé de cet arrêt, le Conseil d’État a quant à lui déclaré l’article C. com., art. L. 110-4 inapplicable à l’action en garantie des vices cachés exercée dans le cadre d’un marché public : CE, 7 juin 2018, n° 416535 : AJ contrat 2018, p. 388, obs. Bucher C.-E.
V. not. Bénabent A., Droit des contrats civils et commerciaux, 12e éd., 2017, LGDJ, n° 242 ; Malaurie P., Aynès L. et Gautier P.-Y., Droit des contrats spéciaux, 10e éd., 2018, LGDJ, n° 400.
V. not. CA Nancy, 18 sept. 2017, n° 16/01519 : « si selon les dispositions de l'article 1648 du Code civil l'action en garantie des vices cachés doit être engagée dans les deux ans de la découverte du vice, elle est également soumise au délai prévu par l’article 2232 du Code civil qui fixe un délai butoir de 20 ans à compter de la vente ».
S’agissant de la garantie des vices cachés, on peut se demander si le point de départ du délai prévu par ce texte doit être fixé au moment de la conclusion de la vente, ou à celui de la délivrance de la chose. C’est selon nous la deuxième branche de l’alternative qui mérite d’être retenue.
Dans un arrêt Cass. 3e civ., 7 juin 2018, n° 17-10394, la Cour de cassation a jugé que n’était manifestement pas de nature à entraîner la cassation le moyen d’un pourvoi qui reprochait à une cour d’appel d’avoir fait application de l’article C. com., art. L. 110-4, plutôt que de l’article C. civ., art. 2232, pour juger qu’une action en garantie des vices cachés était irrecevable. En l’espèce, toutefois, la vente avait été conclue en 2001, ce dont il résultait que l’article 2232, issu de la loi du 17 juin 2008, était sans doute inapplicable rationae temporis.
V. par ex. Cass. 1re civ., 9 juill. 2009, n° 08-10820 : D. 2009, p. 1960, obs. Delpech X. ; RTD com. 2009, p. 794, obs. Legeais R. ; RTD civ. 2009, p. 728, obs. Jourdain P. ; Banque et Droit 2009, p. 37, obs. Bonneau T. − Cass. 2e civ., 19 nov. 2009, n° 06-12942.
Brenner C. et Lécuyer H., « La réforme de la prescription », JCP E 2009, p. 1169, n° 41. V. égal. Casson P., Rép. com. Dalloz, v° Prescription, 2018, n° 35.
On pourrait donc en réalité faire l’économie de l’article C. com., art. L. 110-4 et appliquer directement en matière commerciale l’article C. civ., art. 2224.
L’article 2224, en tant qu’il fixe le délai de prescription de droit commun, est l’héritier de l’article 2262 ancien, qui fixait lui aussi le délai de prescription de droit commun et dont la Cour de cassation avait fait application pour fixer un délai butoir à l’action en garantie des vices cachés en cas de vente civile ; v. note 4.
De manière plus générale, même si l’on admet que le délai posé à l’article C. civ., art. 1648 n’est pas un délai de prescription, il n’y a pas lieu d’appliquer cumulativement à l’action en garantie des vices cachés ce texte et l’article C. civ., art. 2224 ou l’article C. com, art. L. 110-4. Dès lors que les délais prévus par ces textes devraient avoir le même point de départ, à savoir le moment où l’acheteur a été en mesure d’agir en garantie, l’article 1648 est de facto le seul texte qui doive s’appliquer, puisque le délai qu’il fixe est simplement de 2 ans et qu’il est de surcroît insusceptible de suspension. Seul l’article C. civ., art. 2232, en tant qu’il fixe un délai butoir de 20 ans courant à compter de la naissance du droit, peut être appliqué concurremment avec l’article 1648.
Roubier P., Le Droit transitoire. Conflits de lois dans le temps, 2e éd., 1960, Dalloz, p. 301, n° 64. V. égal. en ce sens Eveillard G., « Les règles de droit transitoire en matière de prescription civile », in Casson P. et Pierre P. (dir.), La Réforme de la prescription en matière civile, 2010, Dalloz, p. 64.
V. not. CA Caen, 4 oct. 2012, n° 11/02366 ; Cass. soc., 19 nov. 2014, n° 13-19263 ; Cass. soc., 10 déc. 2014, n° 13-21411 ; Cass. soc., 8 avr. 2015, n° 13-22544.
V. p. ex. en ce sens Fauvarque-Cosson B. et François J., « Commentaire de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile », D. 2008, p. 2512, n° 17.
Cette application immédiate des causes de suspension n’est pas prévue explicitement par la loi, mais elle résulte de l’application des principes traditionnels en la matière (v. Roubier P., Le Droit transitoire. Conflits de lois dans le temps, 2e éd., 1960, Dalloz, p. 299, n° 64) et elle est admise par tous les auteurs : v. p. ex. Eveillard G., « Les règles de droit transitoire en matière de prescription civile », in Casson P. et Pierre P. (dir.), La Réforme de la prescription en matière civile, 2010, Dalloz, p. 60.
Dans un arrêt Cass. com., 16 janv. 2019, n° 17-21477, la Cour de cassation a apparemment confirmé la solution de l’arrêt du 6 juin 2018, en affirmant, au visa de l’article 1648 du Code civil et de l’article L. 110-4 du Code de commerce que « l’action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l’article L. 110-4 du Code de commerce, qui court à compter de la vente initiale ». L’affaire concernait cependant une vente conclue en mars 2003 et la prescription prévue à l’article L. 110-4, telle qu’interprétée avant la réforme de 2008, avait donc été acquise avant l’entrée en vigueur de celle-ci.
Dans l’affaire ayant donné lieu à Cass. 3e civ., 16 nov. 2005, n° 04-10824 : D. 2006, p. 971, note Cabrillac R. ; JCP 2006, p. 10069, note Trébulle F.-G., la vente avait eu lieu 40 ans avant l’action en garantie et le vice trouvait son origine dans des faits remontant à un siècle. Certains auteurs évoquent même des arrêts, notamment en matière immobilière, où l’action en garantie des vices cachés avait été intentée plus de 100 ans après la vente.
V. Leveneur L., Contrats, conc. consom. 2018, comm. 169 ; Grimaldi C., D. 2018, p. 2166, n° 10.
CEDH, 11 mars 2014, nos 52067/10 et 41072/11, Howald Moor et autres c/Suisse : D. 2014, p. 1019, note Borghetti J.-S. ; RDC 2014, n° 110x2, p. 506, note Marchadier F.
V. p. ex. Terré F., Simler P., Lequette Y. et Chénedé F., Droit civil. Les obligations, 12e éd., 2018, Dalloz, n° 1779.
Testez gratuitement Lextenso !
Plan
- 1La garantie des vices cachés fait toujours bande à part
- 1.1I – Le délai butoir de l’article 2232 du Code civil est applicable à la garantie des vices cachés
- 1.2II – Le point de départ de la prescription prévue à l’article L. 110-4 du Code de commerce court à compter du moment où le titulaire de l’action a été en mesure d’agir
- 1.3III – Le caractère inopportun de la solution retenue par la Cour de cassation