Interrogations sur la faute grave en droit commun des contrats
Parce qu’il accorde un préavis à son débiteur défaillant, le créancier ne peut en même temps arguer d’une faute grave pour lui refuser le versement de l’indemnité conventionnelle. Pour la Cour de cassation, la faute grave suppose en effet que, par son importance, elle rende impossible le maintien d’un contrat d’exercice médical pendant la durée même limitée du préavis. L’arrêt invite à s’interroger sur la notion comme sur le régime de cette faute qualifiée en droit commun des contrats.
Cass. 1re civ., 14 nov. 2018, n° 17-23135
La faute grave et, de façon plus générale, les fautes qualifiées mériteraient peut-être une attention renouvelée car il n’est pas certain que l’on ait une vision complète des notions comme des régimes de ces fautes1. Ce relatif désintérêt en droit des contrats s’explique par deux raisons majeures. D’abord, en prélude ou bien dans le sillage des critiques portées contre la responsabilité contractuelle, la figure de la « faute » a été, sinon reléguée, du moins dévalorisée en matière contractuelle au profit de celle de l’« inexécution »2 (conçue objectivement comme le défaut d’obtention de la prestation promise qui, seul, importerait). Ensuite, en droit commun, le principe d’unité de la faute civile, consacré par le Code de 1804 qui balaya la théorie de la gradation des fautes3, a un peu rejeté dans l’ombre les fautes qualifiées, figures dont on[...]
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Mais v. dernièrement, l’important éclairage de Sichel L., La gravité de la faute en droit de la responsabilité civile, thèse Paris 1, 2011, quoiqu’il ne porte que sur les questions de responsabilité.
Parmi une littérature abondante, v. l’article emblématique de Tallon D., « Pourquoi parler de faute contractuelle ? », in Écrits en l’honneur de G. Cornu, 1994, PUF, p. 429.
Sur cette évolution et l’état du droit positif, v. Terré F., Simler P., Lequette Y. et Chénedé F., Droit civil, Les obligations, 12e éd., 2019, nos 839 et s., p. 898 et s.
L’arrêt est cassé, in fine, pour un défaut de réponse à conclusions portant sur un autre point, secondaire et qu’on laissera donc de côté.
Rappr., la suggérant déjà, Cass. 1re civ., 2 févr. 1999, n° 97-12964.
Pire encore, la formulation de l’attendu suggère que la durée du préavis est totalement indifférente. L’arrêt ne dit pas, en effet, que la faute grave rend le maintien du contrat impossible même pendant la durée limitée du préavis mais « pendant la durée même limitée du préavis ». Cela suggère qu’une durée de préavis, aussi courte soit-elle, est toujours incompatible avec la qualification de faute grave (qui implique absolument une rupture immédiate du contrat).
Pour un recensement complet et une étude, v. le Tourneau P., Droit de la responsabilité et des contrats, régimes d’indemnisation, 2018/2019, Dalloz Action, nos 3121.161 et s., p. 1211 et s.
Cass. soc., 27 sept. 2007, n° 06-43867 (on observera que dans cet arrêt, un peu à rebours de ce qui est jugé dans la décision commentée, la Cour de cassation avait décidé qu’il importait peu que l’employeur ait accordé au salarié le bénéfice d’indemnités auxquelles il n’aurait pu prétendre en raison de sa faute grave, cette qualification étant donc maintenue malgré cela). Adde Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-44247.
Il n’est pas impossible en effet que le délai de prévenance et l’indemnité de fin de contrat soient des marqueurs de ces contrats de type collaboratif pour lesquels la faute grave – qui prendrait la coloration d’une faute de déloyauté insupportable dans une relation interpersonnelle de confiance – pourrait jouer un rôle de premier plan. On serait alors à la frontière du droit spécial et du droit commun à dire vrai.
Le point est important car cela signifierait du même coup que la faute grave serait librement définie par les parties en droit commun là où, dans les régimes spéciaux évoqués précédemment (salarié, agent commercial), la jurisprudence juge fermement que la notion de faute grave est d’ordre public, ne peut donc être définie par le contrat et se trouve contrôlée par la Cour de cassation (v., par ex., pour la faute grave du salarié, Cass. soc., 17 déc. 1987 : Cahiers prud’hommaux 1988, n° 5, p. 88, et pour la faute grave de l’agent commercial, Cass. com., 28 mai 2002, n° 00-16857).
Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 96-21485 : Les grands arrêts de la Cour de cassation, t. 2, n° 180 et les réf. citées.
La difficulté semble avoir disparu à présent que l’article 1226 nouveau a généralisé la faculté de résolution unilatérale à toute « inexécution suffisamment grave » (arg. art. 1224, encore que l’alinéa ultime de l’article 1226 qui évoque non pas l’« inexécution suffisamment grave » mais « la gravité de l’inexécution » pourrait faire renaître le débat…).
À dire vrai, il nous semble que cette indemnité est nécessairement déclenchée par l’usage de la faculté de résiliation unilatérale des contrats à durée indéterminée (qui relève à présent de l’article 1211) alors qu’elle ne trouve pas à s’appliquer sur le terrain de la résolution pour inexécution (on ne conçoit pas bien qu’un créancier obtienne la résolution pour inexécution contre son débiteur tout en devant lui verser une indemnité). D’où, une nouvelle fois, l’intérêt stratégique qu’il a à se placer sur le terrain de la résolution pour inexécution plutôt que sur celui du terrain de la liberté de résiliation. L’intérêt est encore renforcé par la réforme du droit des contrats qui introduit la résolution par notification à l’article 1226.
V. le Tourneau P., Droit de la responsabilité et des contrats, régimes d’indemnisation, 2018/2019, Dalloz Action, n° 3121.161, p. 1211 : « Il semble même qu’elle ne puisse se distinguer réellement ».
V. en responsabilité civile et en s’appuyant sur les fonctions de cette responsabilité, Sichel L., La gravité de la faute en droit de la responsabilité civile, thèse préc.
À dire vrai, on peut se demander si cette figure n’était pas déjà présente en creux dans l’article 1147 ancien lorsqu’il énonçait que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part » (nous soulignons).
Pour plus de détails, v. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 547.
Par exemple, en réfléchissant, sinon à l’exclusion, du moins à la limitation du pouvoir modérateur du juge en matière de clause pénale lorsque le débiteur s’est rendu coupable d’une faute grave.
Contra l’article, significatif de cette tendance, de Tallon D., « Pourquoi parler de faute contractuelle ? », in Écrits en l’honneur de G. Cornu, préc.
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