L'erreur substantielle sur la rentabilité, vice du consentement et… instrument de transfert du risque entrepreneurial
La Cour de cassation confirme sans surprise que l’erreur sur la rentabilité porte sur la substance même du contrat de franchise pour lequel l’espérance de gain est déterminante. Mais plutôt que l’erreur du franchisé, c’est l’attitude du franchiseur qui justifie cette solution. Aussi peut-on s’interroger sur la réalité de cette erreur qui, en pratique, permet opportunément au franchisé d’échapper au risque entrepreneurial qu’il avait accepté.
Cass. com., 10 juin 2020, n° 18-21536
Les espoirs contractuels déçus suscitent souvent en retour des espoirs judiciaires. Mais appartient-il au droit de remédier à l’aléa des affaires ? Cette question récurrente se pose lorsque le contrat n’a pas permis d’atteindre le résultat lucratif qui en avait justifié la conclusion. Plusieurs voies s’offrent alors au plaideur1. Celle de la cause avait pu être empruntée dans l’emblématique arrêt Point club video2 mais la confusion des notions dont procédait cette solution l’avait condamnée3 bien avant que la cause ne soit elle-même supprimée. Aussi les vices du consentement constituent-ils désormais le moyen privilégié pour contester la validité d’un contrat n’offrant pas la rentabilité attendue.
Le présent arrêt de la Cour de cassation du 10 juin 2020 réaffirme l’inclination des juges à retenir l’annulation d’un contrat de franchise pour erreur sur sa rentabilité. Les faits sont ceux de l’hypothèse[...]
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Sur leur unification, v. Dross W., « La déception contractuelle, proposition d’un droit commun », RTD civ. 2018, p. 787.
Cass. 1re civ., 3 juill. 1996, n° 94-14800 : Bull. civ. I, n° 286 ; D. 1997, p. 500, note Reigné P. ; RTD civ. 1996, p. 901, obs. Mestre J.
V. not. Cass. com., 18 mars 2014, n° 12-29453 : RDC 2014, n° 110r9, p. 345, obs. Laithier Y.-M. – Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-11420 : RTD civ. 2009, p. 719, obs. Fages B. ; RDC 2009, p. 1345, obs. Mazeaud D. – Cass. com., 27 mars 2007, n° 06-10452 : JCP G 2007, II 10119, note Serinet Y.-M.
Sous réserve d’une cassation partielle au visa de l’article 455 du Code de procédure civile pour défaut de réponse à conclusions.
Cet arrêt relevant du droit antérieur à la réforme de 2016, sa terminologie, qui est celle de l’ancien article 1110 du Code civil (« erreur sur la substance »), sera ici utilisée par préférence à celle du nouvel article 1133 (« erreur sur les qualités essentielles de la prestation »).
Cass. 3e civ., 31 mars 2005, n° 03-20096 : Bull. civ. III, n° 81 ; Dr. & patr. mensuel 2005, n° 141, p. 94 ; RDC 2005, p. 1025, obs. Stoffel-Munck P. ; JCP G 2005, I 194, obs. Serinet Y.-M. – Dans le même sens : Cass. com., 1er déc. 1992, n° 90-21804 : Bull. civ. IV, n° 390.
V. par ex. Cass. 1re civ., 13 févr. 2001, n° 98-15092 : Bull. civ. I, n° 31 ; JCP G 2001, I 330, obs. Rochfeld J. ; RTD civ. 2001, p. 352, obs. Mestre J. et Fages B. – V. désormais C. civ., art. 1135, al. 2.
V. not. CA Versailles, 7 janv. 1987 : JCP G 1988, II 21121, note Ghestin J.
Cass. soc., 4 mai 1956 : Bull. civ. V, n° 411 ; D. 1957, p. 313, note Malaurie P.
Cass. 3e civ., 1er avr. 1992, n° 90-14899 : Contrats, conc. consom. 1992, comm. 148, obs. Leveneur L.
Cass. 3e civ., 28 janv. 2009, n° 07-20729 : JCP G 2009, I 138, obs. Serinet Y.-M.
Cass. com., 1er oct. 1991, n° 89-13967 : Bull. civ. IV, n° 277 ; JCP G 1992, II 21860, note Viandier A. ; RTD civ. 1992, p. 80, obs. Mestre J. – Cass. com., 7 févr. 1995, n° 93-14257 : BJS mai 1995, n° 138, p. 407, note Couret A. ; RTD civ. 1995, p. 878, obs. Mestre J.
Cass. 3e civ., 24 avr. 2003, n° 01-17458 : Bull. civ. III, n° 82 ; RDC 2003, p. 42, obs Mazeaud D. – Cass. com., 11 avr. 2012, n° 11-15429 : Bull. civ. IV, n° 77 ; RDC 2012, p. 1175, obs. Laithier Y.-M. ; Dr. & patr. mensuel 2013, n° 221, p. 77, obs. Stoffel-Munck P ; comp., au regard de la « caractéristique essentielle » de C. consom., art. L. 111-1, Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 18-26761.
Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-20956 : D. 2011, p. 3052, note Dissaux N. ; JCP G 2012, 135, note Ghestin J. ; RDC 2012, p. 64, obs. Génicon T.
Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-19047 : D. 2012, p. 2079, note Dissaux N. ; JCP G 2012, 1151, obs. Serinet Y.-M. ; RTD civ. 2012, p. 724, obs. Fages B.
V. par ex. Cass. com., 17 mars 2015, n° 13-24853.
C. com., art. L. 330-3 et C. com., art. R. 330-1 (obligation qui, d’ailleurs, ne concerne pas exclusivement le contrat de franchise).
Stoffel-Munck P., obs. sous Cass. 3e civ., 31 mars 2005, n° 03-20096 : Dr. & patr. mensuel 2005, n° 141, p. 94.
Par exemple, voir l’article L. 132-5-2 du Code des assurances pour le contrat d’assurance vie ou de capitalisation ; l’article L. 541-8-1 du Code monétaire et financier pour les contrats proposés par les conseillers en investissement financiers ; adde l’ancien article L. 141-1 du Code de commerce pour la cession de fonds de commerce.
V., par ex., pour la catégorie des contrats d’intérêt commun : Lequette S., « Le champ contractuel. Réflexions à partir de la rentabilité économique », RDC 2016, n° 112v5, p. 135.
La première chambre civile, dans une affaire similaire, a pourtant montré qu’elle pouvait être compréhensive quant à la preuve de « la volonté délibérée de tromper », v. Cass. 1re civ., 3 nov. 2016, n° 15-24886 : JCP E 2017, 1019, note Le Gach-Pech S. ; D. 2017, p. 881, obs. Ferrier D.
Ghestin J., Loiseau G. et Serinet Y.-M., La formation du contrat, t. 1, Le contrat. Le consentement, 4e éd., 2013, LGDJ, n° 1194 : les auteurs critiquent très justement le parti pris « de raisonner par référence au comportement du contractant (est-il à l’origine de l’erreur ? l’a-t-il connue ? a-t-il commis la même erreur ?), alors que le but de ce vice du consentement est de permettre à celui qui s’est trompé de sortir du contrat et non d’analyser le comportement de son cocontractant, même si celui-ci peut avoir une certaine influence sur l’admission de la sanction ».
Ghestin J., Loiseau G. et Serinet Y.-M., La formation du contrat, t. 1, Le contrat. Le consentement, 4e éd., 2013, LGDJ, n° 1111.
Cass. 1re civ., 26 oct. 1983, n° 82-13560 : Bull. civ. I, n° 249 ; Defrénois 1984, p. 1013, obs. Aubert J.-L. ; RTD civ. 1985, 160, obs. Mestre J.
Si la réalité de référence initiale pour apprécier l’erreur peut être établie par des données postérieures à la conclusion du contrat (Cass. 1re civ., 13 déc. 1983, n° 82-12237 : Bull. civ. I, n° 293 ; D. 1984, p. 340, note Aubert J.-L. ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, 13e éd., 2015, Dalloz, p. 38 et s., n° 148, note Terré F., Lequette Y. et Chénedé F.), le seul constat des mauvais résultats d’exploitation ne prouve pas que toute rentabilité était exclue dès l’origine. Ce serait induire arbitrairement l’existence d’une telle cause d’un effet qui peut en avoir de multiples.
Cass. 1re civ., 24 mars 1987, n° 85-15736 : Bull. civ. I, n° 105 ; D. 1987, p. 489, note Aubert J.-L. ; RTD civ. 1987, p. 743, obs. Mestre J. – V. désormais C. civ., art. 1133, al. 3.
Inversement, v. l’exclusion de l’erreur si l’impossibilité de toute rentabilité a été acceptée : Cass. com., 2 mai 2007, n° 05-21295.
Cass. com., 7 févr. 1995, n° 93-14257 : D. 1996, p. 50, note Blasselle R. ; RTD civ. 1995, p. 878, obs. Mestre J. – Cass. com., 1er oct. 1991, n° 89-13967 : Bull. civ. IV, n° 277 ; JCP G 1992, II 21860, note Viandier A. ; Defrénois mai 1992, p. 578, obs. Le Cannu P.
Carbonnier J., Droit civil. Les obligations, 22e éd., 2000, PUF, p. 100, n° 41.
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