La persistance du refus de l'intérêt négatif
La Cour de cassation met un terme aux incertitudes nées du jeu des taux d’intérêt devenant négatifs dans le prêt d’argent. Sans s’embarrasser de savoir si l’inversion des taux est ou non conjoncturelle, elle exclut que ce soit le fournisseur des deniers qui paie l’intérêt, à moins que les parties ne se soient situées en dehors du prêt. Toutes les fois qu’elles se placent dans le cadre du contrat de prêt, tel qu’il est réglementé par le Code civil, l’intérêt négatif ne peut produire d’effets. Partant, le versement demeure toujours à la charge de l’emprunteur qui rémunère le crédit accordé ; à son maximum, la variation des taux à la baisse ne peut conduire qu’à un intérêt égal à zéro.
Cass. 1re civ., 25 mars 2020, n° 18-23803
Depuis les premiers arrêts rendus en la matière par les juges du fond, la question des prêts débouchant sur un taux négatif a largement occupé la doctrine, désemparée par l’inversion d’une logique contractuelle bien établie. Au moment où la Cour de cassation prend position sur la question de façon solennelle, on a le sentiment que tout a déjà été dit1.
On connaît la situation de départ, qui est à peu près toujours la même dans ces affaires : des prêts consentis à des particuliers ont été indexés sur des instruments tels que le LIBOR ou l’EUROLIBOR, susceptibles d’évoluer de telle façon que l’intérêt stipulé devienne négatif. Ce qui aboutit à un[...]
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Pour un point de vue comparatiste, Kilgus N., « Prêt à taux d’intérêt négatif : regards franco-suisses », JCP G 2020, 883.
On est tout de même surpris par le fait que le prêt d’argent devrait relever du louage, au terme d’une analyse serrée. Alors que le prêt « est essentiellement gratuit » (C. civ., art. 1876), le louage ne l’est pas (C. civ., art. 1709). Dès lors, la gratuité ou la rémunération du service rendu devraient normalement jouer le rôle de pierre de touche pour la qualification. Or la ligne de partage ne vaut pas pour le prêt d’argent qui, en dépit de son appellation, est un contrat onéreux qui emporte une rémunération par le biais de l’intérêt — d’ailleurs communément dénommé « loyer de l’argent », comme pour accroître la confusion entre les figures.
Pour constater l’étrangeté de la situation, il faut prendre garde à la focale que l’on adopte pour l’examen du fonctionnement du contrat. Nombre de juges du fond ont ainsi fait la différence entre les intérêts mensuels, qui pouvaient devenir négatifs en vertu d’une exception conjoncturelle, et l’intérêt global rémunérant le contrat pour l’ensemble de sa durée, qui ne pouvait pas l’être. Cette distinction des périodes d’exercice n’est pas admise par la Cour de cassation, qui refuse le jeu de l’intérêt négatif même à titre exceptionnel.
Les positions des juges du fond sont évoquées avec soin par Lasserre-Capdeville J., note sous l’arrêt, D. 2020, p. 1501.
Cass. 1re civ., 13 mars 2007, n° 05-16627 : Bull. civ. I, n° 113, arrêt rendu caduc par la loi n° 2013-404, du 17 mai 2013.
Libchaber R., « Le travail du négatif en droit : la question de l’intérêt dans le prêt », note sous CA Colmar, 8 mars 2017, n° 16/00310 : RDC 2017, n° 114k6, p. 446.
Bureau D., « L’extension conventionnelle d’un statut impératif. Contribution du droit international privé à la théorie du contrat », in Mélanges en l'honneur de Philippe Malaurie, 2005, Defrénois, p. 125 ; Seube J.-B., « L’electio juris en droit interne ou la soumission volontaire par les parties à un droit protecteur », in Mélanges en l'honneur de Jean Calais-Auloy, 2004, Dalloz, p. 1007.
Lemaire S., « Le choix de la loi du contrat en droit interne », RRJ 2001, p. 1441.
Cass. ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11664 : Bull. ass. plén., n° 1 ; D. 2003, p. 333, note Becque-Ickowicz S. ; Defrénois 15 oct. 2002, n° 37607, p. 1234, obs. Libchaber R. ; RTD civ. 2003, p. 85, obs. Mestre J. et Fages B.
Récemment, v. Barbier H., « Variations sur l’extension conventionnelle d’un statut légal », RTD civ. 2020, p. 94, commentant Cass. 3e civ., 5 déc. 2019, n° 18-24152, PB, et Cass. 1re civ., 11 déc. 2019, n° 18-14191, D.
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