Contrat international et contrôle d'office du respect par l'arbitre des mesures de sanctions internationales et européennes visant certains secteurs économiques d'un État étranger
Les mesures internationales, européennes ou étrangères de sanction contre un État sont susceptibles, en tant que lois de police réellement internationales, lois de police du for ou étrangères, d’affecter la licéité du contrat international soumis à l’arbitrage international.
CA, 3 juin 2020, n° 19/07261
Lorsqu’un contrat international intéresse l’économie d’un État qui vient à faire l’objet de sanctions de sources multiples (internationales, européennes et étrangères), l’arbitre international saisi d’un litige contractuel est-il tenu d’assurer le respect de ces mesures de sanctions, bien que l’illicéité du contrat n’ait pas été sollicitée par les parties ? La cour d’appel de Paris l’affirme de manière ferme, tout en détaillant le raisonnement qui justifie la mise en œuvre par le juge du contrôle de la sentence de ces mesures de sanction, raisonnement susceptible d’affecter celui des tribunaux arbitraux saisis de questions similaires. La cour invoque à cette occasion l’existence de lois de police réellement internationales, non sans susciter la contestation.
Au cas d’espèce, une société française (TCM FR) exploitant une activité en matière gazière a conclu en 2002 un contrat avec une société iranienne ayant pour objet le stockage de gaz en Iran, puis un avenant en 2004. Le contrat avait prévu un paiement par le jeu d’une lettre de crédit libellée en dollars[...]
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Cass. 1re civ., 6 juill. 2005, n° 01-15912, Golshani : Revue de l’arbitrage 2005 , p. 993, note Pinsolle P. ; Rev. crit. DIP 2006, p. 602, note Muir Watt H. ; Gaz. Pal. 25 févr. 2006, n° g0517, p. 18, obs. Train F.-X. ; JDI 2006, p. 608, note Behar Touchais M. ; JCP G 2005, I. 179, § 6, obs. Ortscheidt J. ; D. 2006, p. 1424, note Agostini E. ; D. 2006, p. 3050, obs. Clay T. ; RDC 2006, p. 1279, obs. Fauvarque-Cosson B. ; RTD com. 2006, p. 309, obs. Loquin É.
La possibilité pour un juge de relever d’office un moyen d’ordre public alors même qu’une partie ne serait pas recevable à le faire en raison de la contrariété à sa position antérieure (v., s’agissant de la Cour de cassation, Boré J. et Boré L., La cassation en matière civile, 2015-2016, Dalloz action, nos 81.42 et 82.291 et s.) vaut à plus forte raison lorsque l’ordre public international, protection de l’ordre juridique français, est en cause.
V. en ce sens, déjà, CA Paris, 8 avr. 2010, n° 08/21144 : CAPJIA 2010, p. 523, obs. Mourre A. et Pedone P. – CA Paris, 27 févr. 2018, n° 16/01358 : JCP E 2019, n° 4, p. 30, obs. Ortscheidt J.
S’il estime utile de relever d’office l’applicabilité de sanctions internationales, européennes ou étrangères, l’arbitre devra veiller, conformément aux solutions admises pour le relevé d’office durant l’instance arbitrale, à respecter le principe de la contradiction (v. Ortscheidt J. et Seraglini C., Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 812 ; Racine J.-B., Droit de l’arbitrage, 2016, PUF, n° 599, et les arrêts cités – CA Paris, 8 avr. 2010, n° 08/21144 : CAPJIA 2010, p. 523, obs. Mourre A. et Pedone P. – CA Paris, 27 févr. 2018, n° 16/01358 : JCP E 2019, n° 4, p. 30, obs. Ortscheidt J.).
V. Garaud J.-Y., « L’office de l’arbitre en arbitrage commercial : caractérisation de l’illicéité et mise en œuvre des sanctions », Revue de l’arbitrage 2019, p. 173 ; Mayer P., « L’office de l’arbitre en arbitrage commercial », Revue de l’arbitrage 2019, p. 105 (en matière pénale).
Sans même évoquer la critique du recours à la notion de loi de polices s’agissant des mesures de sanction économique étatiques. Sur cette critique, v. Mayer P., « L’arbitre et les sanctions économiques », in Mélanges en l’honneur du professeur Laurent Aynès, 2019, LGDJ, p. 371, spéc. p. 373.
Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 13-25846 : D. 2015, p. 2031, obs. Bollée S. ; D. 2015, p. 2241, obs. Cassia P. ; AJDA 2016, p. 671, note Lombard F. ; JCP G 2015, 1164, note Brabant T. A. et Desplats M. ; JDI 2016, comm. 8, note Vareilles-Sommières (de) P. ; Revue de l’arbitrage 2015, p. 1131, note Laazouzi M.
V. CA Paris, 16 janv. 2018, n° 15/21703 : Revue de l’arbitrage 2018, p. 401, note Lemaire S.
Mayer P., « L’arbitre et les sanctions économiques », in Mélanges en l’honneur du professeur Laurent Aynès, 2019, LGDJ, spéc. p. 372.
Sur la prise en compte, par le tribunal arbitral puis le juge français du contrôle de la sentence, des sanctions prises par le Conseil de sécurité des Nations unies par le biais de leur mise en œuvre au sein de la Communauté économique européenne, v. Cass. 1re civ., 15 janv. 2020, n° 18-18088 : Rev. crit. DIP 2020, p. 526, note d’Avout L.
Sur l’extraterritorialité v. par ex. Audit M., Bollée S. et Callé P., Droit du commerce international et des investissements étrangers, 3e éd., 2019, LGDJ, p. 96 et s.
Sur le rapport de l’arbitrage international et de l’extraterritorialité des lois, v. par ex. Audit M., « L’arbitrage international et l’extraterritorialité des lois », Revue de l’arbitrage 2015, p. 1001.
Comp., insistant sur le caractère perturbateur de la sanction unilatérale – indépendamment de son domaine d’application spatial – par rapport au droit normalement applicable et sur la conséquence que devrait en tirer l’arbitre international : Mayer P., « L’arbitre et les sanctions économiques », in Mélanges en l’honneur du professeur Laurent Aynès, 2019, LGDJ, spéc. p. 375.
Le département d’État des États-Unis a en effet annoncé unilatéralement avoir remis, de manière tout aussi unilatérale, en vigueur les sanctions internationales adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies contre l’Iran, en se prévalant du processus de rétablissement automatique (snapback) prévu par la résolution 2231(2015) adoptée le 20 juillet 2015, malgré leur retrait du Plan d’action global commun conclu avec l’Iran (https://www.state.gov/the-return-of-un-sanctions-on-the-islamic-republic-of-iran/). Le 20 septembre 2020, une déclaration commune de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni indique que la notification émise par les États-Unis d’Amérique est « sans effet de droit » et que « toute décision ou action qui serait prise sur le fondement de cette procédure ou de son issue sont sans effet de droit » (v. https://lext.so/i-HWhV+).
Pour une synthèse récente et une analyse prospective, v. Seraglini C., « Le contrôle par le juge de l’absence de contrariété de la sentence à l’ordre public international : le passé, le présent, le futur », Revue de l’arbitrage 2020, p. 347.
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Plan
- 1Contrat international et contrôle d’office du respect par l’arbitre des mesures de sanctions internationales et européennes visant certains secteurs économiques d’un État étranger
- 1.1I – L’office du juge de l’annulation de la sentence face à l’absence de demande de nullité du contrat fondée sur la violation des sanctions internationales
- 1.2II – La teneur de la conception française de l’ordre public international
- 1.3III – La mise en œuvre des lois de police françaises et réellement internationales