Du champ de l'organisation frauduleuse de l'insolvabilité : le délit doit-il rester cantonné aux seules créances extracontractuelles ?
Constitue le délit d’organisation frauduleuse de l’insolvabilité le fait, pour un avocat, de diminuer l’actif de son patrimoine pour se soustraire à l’exécution d’une décision civile l’ayant condamné à restituer à son client une somme correspondant à la perception d’honoraires indus, versés au mépris des règles relatives à l’aide juridictionnelle.
Cass. crim., 23 juin 2020, n° 19-81642
L’affaire. Un avocat fut désigné pour assister un justiciable dans le cadre d’un contentieux portant sur l’aggravation de son préjudice, né à la suite d’un accident de la circulation. Alors que son client avait été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale, une convention d’honoraire de résultat n’en était pas moins conclue aux termes de laquelle l’avocat se voyait attribuer un honoraire fixe de 4 000 € ainsi qu’un honoraire complémentaire correspondant à 12 % des sommes allouées à son client par la décision de justice qui devait intervenir à l’issue de la procédure diligentée. La juridiction civile devait toutefois déclarer non écrites les stipulations de ladite convention d’honoraires au motif qu’elle était « manifestement illicite », contraire aux dispositions de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique1 qui veut que l’avocat désigné ne puisse « demander des honoraires à son client » qu’« après que le bureau d’aide[...]
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Lorsque, du moins, la décision rendue au profit du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle – passée en force de chose jugée – a procuré à celui-ci des ressources telles que, si elles avaient existé au jour de la demande d’aide juridictionnelle, celle-ci ne lui aurait pas été accordée, même partiellement (L. n° 91-647, 10 juill. 1991, art. 36).
La solution est permise par l’article 314-7 du Code pénal qui précise – fort utilement – que l’organisation de l’insolvabilité est punissable lorsqu’elle est accomplie « même avant la décision judiciaire constatant [la] dette ». L’acte d’appauvrissement peut ainsi être sanctionné quel que soit le moment auquel il survient, après ou avant la décision de justice constatant la dette à laquelle le débiteur prétend échapper en organisant son insolvabilité. V. par ex., Cass. crim., 5 avr. 2005, n° 04-82475 : Bull. crim., n° 118 ; Dr. pén. 2005, comm. 104, obs. Robert J.-H. – Cass. crim., 17 févr. 2016, n° 14-86969 : Dr. pén. 2016, comm. 75, obs. Conte P.
V. par ex., Cass. crim., 19 janv. 2000, n° 99-83147.
V. par ex., en matière de copropriété, Cass. 3e civ., 10 juill. 2013, n° 12-14569. Sur l’ensemble de la question, v. Gaudemet S., La clause réputée non écrite, 2006, Economica, préf. Lequette Y.
V. not. Cass. crim., 9 juill. 1857 : DP 1857, 1, p. 379 – Cass. crim., 18 févr. 1937 : RSC 1937, p. 492, obs. Donnedieu de Vabres H. – Cass. crim., 12 mai 1964, n° 63-92580 : Bull. crim., n° 161 – Cass. crim., 28 mai 1970, n° 68-93364 : Bull. crim., n° 173 – Cass. crim., 10 mai 1990, n° 89-83004 ; Cass. crim., 15 déc. 2004, n° 03-86646.
Cass. crim., 25 juill. 1912 : S. 1914, I, p. 116, note Roux J.-A. – Cass. crim., 25 nov. 1927 : S. 1929, I, p. 153, note Roux J.-A. – Cass. crim., 26 févr. 1970 : Bull. crim., n° 79 – Cass. crim., 10 mai 2007, n° 06-88053 ; Cass. crim., 21 oct. 2009, n° 09-81007 ; Cass. crim., 26 sept. 2012, n° 11-86268.
Sur la question, Vasseur M., « Les effets en droit pénal des actes nuls ou illégaux d’après d’autres disciplines », RSC 1951, p. 1 ; Frenesy A.-M., Les effets en droit pénal des actes nuls ou illégaux, thèse, 1959, Paris ; Dadoun A., La nullité du contrat et le droit pénal, thèse, 2009, Cergy-Pontoise.
V., invoquant un tel argument, Cass. crim., 12 mai 1964, n° 63-92580.
V., plus largement sur la question, au-delà de la seule matière pénale, Gorgorza A., L’obligation de veiller à ses intérêts, thèse, 2006, Bordeaux.
C. civ., art. 1341-2. V. Sautonie-Laguionie L., La fraude paulienne, t. 500, 2008, LGDJ, Bibliothèque de droit privé.
Constant J., « La répression de l’insolvabilité frauduleuse en droit pénal belge », in Mélanges J. Graven, 1969, Université de Genève, p. 36.
Ainsi a-t-il pu être jugé, par exemple, que la seule mention, dans une ordonnance de non-conciliation, de l’« engagement » d’un époux à prendre en charge la totalité du remboursement des emprunts contractés par la communauté, ne pouvait être considérée comme constituant une convention judiciairement homologuée susceptible de donner prise à l’application du délit, Cass. crim., 7 sept. 1999, n° 98-83506 : Bull. crim., n° 178 ; Dr. pén. 2000, comm. 5, obs. Véron M. ; RTD civ. 2000, p. 95, obs. Hauser J.
Ollard R., La protection pénale du patrimoine, t. 98, 2010, Dalloz, NBT, nos 160 et s.
V. par ex., en Nouvelle-Zélande, Crimes Act, 1961, sect. 240 (http://www.legislation.govt.nz/act/public/1961/0043/latest/DLM330275.html) ; Code pénal canadien, sect. 380 (1) (http://laws-lois.justice.gc.ca/eng/acts/C-46/page-83.html#h-106).
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