Les nouvelles formes de monnaie
La monnaie est traditionnellement présentée comme un attribut étatique qui ne saurait être créé ou aménagé par contrat. Cette présentation est mise à mal par les nouvelles formes de monnaies qui font la part belle aux volontés privées, en particulier les cryptomonnaies. Leur caractère proprement « monétaire » fait l’objet d’âpres discussions qui ne sont pas sans évoquer celles que suscita, en son temps, la monnaie électronique.
Bien que la monnaie irrigue la vie juridique dans son ensemble, celle des familles aussi bien que des financiers, elle ne constitue pas traditionnellement un objet d’étude à part entière en droit civil. La formule de M. Libchaber selon laquelle « la monnaie est partout dans les relations sociales, mais nulle part dans la pensée juridique »1 a sans doute perdu une partie de sa vérité en raison des nombreux travaux qui lui ont été consacrés ces dernières années, mais il n’en reste pas moins que le droit monétaire s’est construit en dehors du Code civil, et bien souvent au niveau européen. Le meilleur symbole de cette prise d’autonomie est probablement la création, par une ordonnance du 14 décembre 2000 (n° 2000-1223), du Code monétaire financier, dont le livre Ier est tout entier[...]
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Libchaber R., Recherches sur la monnaie en droit privé, thèse, 1992, LGDJ, préf. Mayer P., n° 1.
Le Code des instruments monétaires et des médailles (institué par le décret n° 52-751 du 26 juin 1952) contient seulement quelques dispositions relatives à la fabrication des instruments et à leur contrefaçon.
Carbonnier J., Droit civil, vol. II, Les biens, 2014, PUF, n° 671, p. 1527.
Libchaber R., Recherches sur la monnaie en droit privé, thèse, 1992, LGDJ, préf. Mayer P., nos 60 et s.
Hayek F. A., Pour une vraie concurrence des monnaies, 1976, trad. Vuillemey G., 2015, PUF, p. 29.
Sur cette idée, v. Le Gueut T., Le paiement de l’obligation monétaire en droit privé interne, thèse, 2016, LGDJ, préf. Synvet H., n° 219.
Roussille M., « Statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) : les questions soulevées par le projet Libra », Banque & Droit, n° 186, juill.-août 2019, p. 55 : « à chaque marché, sa monnaie ! ».
Pellet R., Droit financier public, t. I, « Monnaies, banques centrales, dettes publiques », 2018, PUF, n° 40.
Hayek A. F., Pour une vraie concurrence des monnaies, 1976, trad. Vuillemey G., 2015, PUF, p. 162, qui y voit « un partage du contrôle de la quantité en circulation entre la banque centrale et un grand nombre de banques commerciales ». Libchaber R., Recherches sur la monnaie en droit privé, thèse, 1992, LGDJ, préf. Mayer P., n° 75 : « Si l’État peut (…) freiner ou stimuler la création monétaire des banques, il ne peut ni l’interdire ni l’imposer. »
Carbonnier J., Droit civil, vol. II, Les biens, 2014, PUF, n° 685, p. 1555. Sur ce débat, v. Le Gueut T., Le paiement de l’obligation monétaire en droit privé interne, thèse, 2016, LGDJ, préf. Synvet H., nos 135 et s.
Sur cette notion, v. Storrer P., Droit de la monnaie électronique, 2014, Revue Banque Édition, n° 38.
Roussille M., « Statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) : les questions soulevées par le projet Libra », Banque & Droit, n° 186, juill.-août 2019, p. 58 ; Bourdeaux G., « Propos sur les “cryptomonnaies” », RD bancaire et fin. 2016, étude 39, n° 19 : « les monnaies virtuelles (...) ne sauraient être que des monnaies conventionnelles nées d’un usage généralisé ne disposant pas d’un cours légal ».
Blanluet G., « La monnaie électronique, valeur monétaire », RD bancaire et fin. 2001, n° 2, mars-avr. 2001, p. 130, n° 9, in fine.
Le Gueut T., Le paiement de l’obligation monétaire en droit privé interne, thèse, 2016, LGDJ, préf. Synvet H., n° 221. Rappr. ECB, « Electronic money institutions : current trends, regulatory issues and future prospects », Legal Working Paper Series, juill. 2008, p. 20 : « e-money is to be understood as no more than the result of an exchange (i.e. the conversion of token into e-money rather than the creation of money) ».
Blanluet G., « La monnaie électronique, créance sur l’émetteur », RD bancaire et fin. 2001, n° 2, mars-avr. 2001, p. 133, n° 3, qui se rabat sur la qualification sui generis d’« opération spécifique d’émission ».
Martin D. R., « Aspects de la monnaie électronique », D. 2013, p. 2117, n° 6, évoquant des « unités monétaires factices ouvrant droit, par remboursement, à du bel argent en forme fiduciaire ou scripturale » ; v. égal. Martin D. R., « De la (fausse) monnaie électronique », RD bancaire et fin. 2003, n° 1, janv. 2003, p. 65.
Hayek F. A., Pour une vraie concurrence des monnaies, 1976, trad. Vuillemey G., 2015, PUF, p. 40.
Libchaber R., Recherches sur la monnaie en droit privé, thèse, 1992, LGDJ, préf. Mayer P., n° 75.
Malassigné V., Les titres représentatifs, thèse, 2014, Dalloz, préf. Ghozi A., n° 850.
Malassigné V., Les titres représentatifs, thèse, 2014, Dalloz, préf. Ghozi A., n° 845.
V. le raisonnement de Le Gueut T., Le paiement de l’obligation monétaire en droit privé interne, thèse, 2016, LGDJ, préf. Synvet H., n° 221.
Blanluet G., « La monnaie électronique, valeur monétaire », RD bancaire et fin., n° 2, mars-avr. 2001, p. 130, n° 3. L’auteur y voit un « modèle réduit » de la monnaie fiduciaire (n° 4).
Storrer P., Droit de la monnaie électronique, 2014, Revue Banque Éditions, nos 58 et s.
V. pourtant en ce sens Martin D. R., « Aspects de la monnaie électronique », D. 2013, p. 2117, nos 9 et s. ; Grua F. et Cayrol N., JCl. Civil Code, App. art. 1235 à 1270, fasc. 12, Monnaie, Substituts de la monnaie, 2015, n° 66.
Bonneau T., « The concept of legal tender in France », in The Euro as Legal Tender A Comparative Approach to a Uniform Concept, De Gruyter, 2020, p. 79, spéc. p. 81 : « legal tender is not connected to all monetary supports but only to some of them. Only coins and bank notes are covered by the concept. »
Cass. crim., 26 avr. 2006, n° 06-80263 : Bull. crim., n° 114 ; Dr. pén. 2006, comm. 111, obs. Robert J.-H. (stationnement public). V. égal. Lemaitre E., « Un établissement public peut-il interdire le règlement en espèces ? », ADJA 2019, p. 710 (restaurant universitaire).
Meurant C., « L’Eusko n’est pas monnaie courante pour payer les dépenses publiques », JCP A 2018, 2238.
Sur cette idée, v. Libchaber R., Recherches sur la monnaie en droit privé, thèse, 1992, LGDJ, préf. Mayer P., n° 150.
Blanluet G., « La monnaie électronique, valeur monétaire », art. préc., n° 9 : « L’utilisation du porte-monnaie électronique ne procède pas d’un comportement inhabituel ou anormal. (…) On peut au contraire supposer que, dans leur esprit tout au moins, il ne doit exister aucune différence de nature entre une transmission d’unité électronique et un paiement traditionnel en espèces ».
Pour une présentation plus détaillée, v. Julienne M., « Les crypto-monnaies : régulation et usages », RD bancaire et fin., n° 6, nov.-déc. 2018, étude 19, p. 18.
V. parmi une abondante littérature : Roussille M., « Le Bitcoin : objet juridique non identifié », Banque & Droit 2015, n° 159, p. 77 (opposée à la qualification de monnaie) ; Mathey N., « La nature juridique des monnaies alternatives à l’épreuve du paiement », RD bancaire et fin., nov.-déc., 2016, étude 41 (plus ouvert à la qualification de monnaie).
Sur ces notions, v. les développements magistraux de Libchaber R., Recherches sur la monnaie en droit privé, thèse, 1992, LGDJ, préf. Mayer P.
CJUE, 22 oct. 2015, n° C-264/14, Skatteverket c/ David Hedqvist : Banque & Droit 2015, p. 55, obs. Storrer P. ; RDC 2017, n° 113v4, p. 54, obs. Huet J. (cet auteur évoquant « une sorte de monnaie contractuelle »).
V. cependant en ce sens Bonneau T., « Analyse critique de la contribution de la CJUE à l’ascension juridique du Bitcoin », in Mélanges Blanche Sousi, 2016, Revue Banque Édition, p. 295, n° 20.
Par ex. Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19873, confirmant l’annulation d’un prêt devant donner lieu à « huit échéances de la contre-valeur en francs suisses de la somme de 3 642,19 € » ; v. égal. Cass. 3e civ., 18 oct. 2005, n° 04-13930 (bail imposant le paiement d’une indemnité en dollars) : « s’agissant d’un contrat de droit interne, la monnaie de paiement devait être nécessairement le franc ou l’euro et non une monnaie étrangère ».
T. com. Nanterre, 26 févr. 2020 : JCP E 2020, 1201, note Julienne M.
Grua F., « Le dépôt d’argent en banque », D. 1998, p. 259, n° 8 et s.
La plus importante est le USD Tether (USDT), dont la capitalisation dépasse les 15 milliards de dollars.
PE et Cons. CE, dir. n° 2009/110/CE, 16 sept. 2009, cons. 7 et 8 : « La définition devrait être assez générale pour ne pas nuire à l’innovation technologique et pour englober (…) les produits qui pourraient être développés à l’avenir. »
Julienne M., « Les actifs numériques, entre droit et technologie », BJB janv. 2020, n° 118v4, p. 64, nos 13 et 14.
Proposition de règlement sur les marchés de crypto-actifs, 24 sept. 2020, COM (2020) 593 final, art. 43.
Carbonnier J., « La monnaie en quête de son droit », in Flexible droit, 10e éd., 2014, LGDJ, p. 404, spéc. p. 405 : « Ce n’est pas tant dans les instruments monétaires que dans l’unité monétaire idéale qu’il faut chercher le point sensible. C’est en agissant sur l’unité idéale qu’un État (...) affirme, pour l’essentiel, sa souveraineté monétaire. »
Löber K ., « Central bank considerations around digital currencies », RD bancaire et fin., n° 4, juill. 2019, dossier 40 ; Ch. Pfister, « Monnaies digitales : du mythe aux projets innovants », Bull. Banque de France, 230/1, juill.-août 2020.
Le Gueut T., Le paiement de l’obligation monétaire en droit privé interne, thèse, 2016, LGDJ, préf. Synvet H., n° 96, note 26, p. 62.
Carbonnier J., « La monnaie en quête de son droit », in Flexible droit, 10e éd., 2014, LGDJ, p. 404, spéc. p. 410.
Laine M., « La monnaie privée », RTD com. 2004, p. 227, n° 45.
Keynes J. M., A tract on monetary reform, 1924, Londres, Macmillam and Co., p. 172 : « In truth, the gold standard is already a barbarci relic » ; et p. 164 : « Perhaps superstition comes in too ; for gold still enjoys the prestige of its smell and color ».
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Plan
- 1Conventions et droits réels : la liberté contractuelle sans limites ?
- 1.1Création et aménagement des droits réels : question(s) de principe(s) ?
- 1.2La liberté dans la création et l’aménagement de droits réels en matière immobilière
- 1.3Conventions et droits réels : la liberté contractuelle sans limites ? – La question à l’égard des droits sociaux
- 1.4Les nouvelles formes de monnaie
- 1.5Incidence de la liberté contractuelle sur l’existence et la portée des droits de propriété intellectuelle ?
- 1.5.1I – La liberté contractuelle et l’existence des droits de propriété intellectuelle
- 1.5.2II – La liberté contractuelle et la portée des droits de propriété intellectuelle
- 1.6Conventions et droits réels : la liberté contractuelle sans limites ? – Propos conclusifs