L'extension de la protection contre les clauses abusives
La Cour de justice de l’Union européenne considère que les dispositions de la directive concernant les clauses abusives ne s’opposent pas à une jurisprudence nationale qui interprète la législation de manière à ce que les règles protectrices des consommateurs qu’elle contient s’appliquent également à un contrat conclu par un sujet de droit, tel que le condominio en droit italien, avec un professionnel, alors même qu’un tel sujet de droit ne relève pas du champ d’application de ladite directive. Cette décision permet de prendre conscience de l’étendue de la protection contre les clauses abusives, qui est considérable.
CJUE, 2 avr. 2020, n° C-329/19
1. Contexte. Le domaine de la protection contre les clauses abusives ne cesse de gagner du terrain, comme en témoigne un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en date du 2 avril 20201. En l’espèce, le condominio Meda, situé à Milan, représenté par son syndic, a conclu avec Eurothermo un contrat de fourniture d’énergie thermique dont l’une des clauses prévoit que, en cas de retard de paiement, le débiteur doit payer des « intérêts de retard au taux de 9,25 % et cela à partir de l’échéance du délai de paiement du solde ». Par la suite, le 18 avril 2016, sur la base d’un procès-verbal de médiation du 14 novembre 2014, le fournisseur d’énergie a fait injonction au condominio de lui payer la somme de[...]
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CJUE, 2 avr. 2020, n° C-329/19, Condominio di Milano, via Meda : Europe 2020, n° 6, comm. 203, obs. Abenhaïm M.
CJCE, 22 nov. 2001, nos C-541/99 et C-542/99, Cape et Idealservice MN RE. Cet arrêt est d’ailleurs cité dans la présente décision (pt 25).
La CJUE précise qu’« en l’occurrence, la juridiction de renvoi indique qu’une copropriété immobilière est, dans l’ordre juridique italien, un sujet de droit qui n’est ni une personne physique ni une personne morale » (pt 26). Elle indique également qu’« en l’état actuel du développement du droit de l’Union, la notion de “propriété” n’est pas harmonisée au niveau de l’Union européenne et que des différences peuvent subsister entre les États membres » (pt 27) et qu’« en conséquence, et aussi longtemps que le législateur de l’Union n’est pas intervenu à cet égard, les États membres demeurent libres de réglementer le régime juridique de la copropriété dans leurs ordres nationaux respectifs, en la qualifiant ou non de “personne morale” » (pt 28).
La CJUE ajoute à juste titre que « cette conclusion n’est pas contredite par l’arrêt du 5 décembre 2019, EVN Bulgaria Toplofikatsia et Toplofikatsia Sofia (C-708/17 et C-725/17, EU:C:2019:1049, pt 59). En effet, si la Cour a jugé que les contrats de fourniture d’énergie thermique alimentant un immeuble détenu en copropriété, en cause dans l’affaire ayant conduit à cet arrêt, relevaient de la catégorie des contrats conclus entre un consommateur et un professionnel, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2011/83, il importe de relever que ces contrats avaient été conclus par les copropriétaires eux-mêmes et non, comme dans l’affaire en cause au principal, par la copropriété, représentée par le syndic » (pt 30). Sur cet arrêt, v. obs. Abenhaïm M., Europe 2020, n° 2, comm. 70.
La Cour cite également le douzième considérant de la directive, énonçant « qu’en l’état actuel des législations nationales, seule une harmonisation partielle est envisageable ; (…) qu’il importe de laisser la possibilité aux États membres, dans le respect du traité, d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur au moyen de dispositions nationales plus strictes que celles de la présente directive ».
La Cour cite l’arrêt du 7 août 2018 : CJUE, 7 août 2018, nos C-96/16 et C-94/17, Banco Santander et Escobedo Cortés, pt 69.
La Cour cite, par analogie, l’arrêt du 12 juillet 2012 : CJUE, 12 juill. 2012, n° C-602/10, SC Volksbank România, pt 40.
V. à ce sujet, Picod Y., « Le droit européen de la consommation : entre fascination et irritation », in Études en la mémoire de Philippe Neau-Leduc. Le juriste dans la cité, 2018, LGDJ, p. 797.
Ce considérant est d’ailleurs cité par la Cour (pt 34).
Cette définition est issue de la loi n° 2017-203 du 21 février 2017. Comp. la définition issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation : « Toute personne morale qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ». Pour une critique de cette dernière définition, v. Sauphanor-Brouillaud N. et Aubry H., « Recodification du droit de la consommation. À propos de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 » ; JCP G 2016, p. 392. V. égal. Loir R., « Les nouvelles définitions du professionnel, du consommateur et… non-professionnel », JCP E 2016, 1402 ; Loiseau G., « À la rencontre du non-professionnel », D. 2016, p. 1844 ; Paisant G., « Le “non-professionnel” en quête d’identité (de la Cour de cassation au nouveau Code de la consommation) », LPA 14 avr. 2016, p. 9.
V. égal. C. consom., art. R. 212-5 : « Les dispositions des articles R. 212-1 à R. 212-4 sont également applicables aux contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels. »
V. par ex. Cass. 3e civ., 7 nov. 2019, n° 18-23259 ; Cass. 3e civ., 17 oct. 2019, n° 18-18469 ; Cass. 3e civ., 4 févr. 2016, n° 14-29347. V. à ce sujet, Pellier J.-D., « Retour sur le domaine et la sanction des clauses abusives au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation », LPA 10 juin 2016, n° 114n1, p. 12.
Toutefois, à la différence de son homologue italien, le syndicat des copropriétaires jouit de la personnalité morale. L’article 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, prévoit en effet, en sa première phrase, que « la collectivité des copropriétaires est constituée en un syndicat qui a la personnalité civile ».
V. Cass. 1re civ., 29 mars 2017, n° 16-10007 ; Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 14-21873 ; Cass. 1re civ., 23 juin 2011, n° 10-30645, concernant l’application de l’ancien article L. 136-1 du Code de la consommation, devenu l’article L. 215-1 à la faveur de la réforme opérée par l’ordonnance du 14 mars 2016. V. égal. Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 14-20760, ayant précisé que « la représentation d’un syndicat de copropriétaires par un syndic professionnel ne lui fait pas perdre sa qualité de non-professionnel, en sorte qu’il peut bénéficier des dispositions de l’article L. 136-1 ». Comp. Cass. 1re civ., 4 juin 2014, n° 13-13779, excluant l’application de l’ancien article L. 421-6 (devenu l’article L. 621-8) à un syndicat de copropriétaires. Sur l’applicabilité du droit de la consommation au syndicat des copropriétaires, v. Sauphanor-Brouillaud N., Aubert de Vincelles C., Brunaux G. et Usunier L., Ghestin J. (dir.), Les contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., 2018, LGDJ, spéc. nos 808 et 809.
C. com., art. L. 442-1, I, 2°, rédac. ord. n° 2019-359, 24 avr. 2019 : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : (…) De soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. » V. à ce sujet, Hadj-Haïssa H., Contribution critique à l’étude du déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-1 du Code de commerce, thèse, Henry X. (dir.), 2019, Nancy. V. égal. Chaudouet S., Le déséquilibre significatif, thèse, Ferrier N. (dir.), 2018, Montpellier.
C. civ., art. 1171, rédac. L. n° 2018-287, 20 avr. 2018 : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. » V. à ce sujet, Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 340 et s. V. égal., sur la version antérieure à la loi du 20 avril 2018, Gaudemet S., « Quand la clause abusive fait son entrée dans le Code civil », Contrats, conc. consom. 2016, dossier 5, n° 5.
Dissaux N., « Clauses abusives : pour une extension du domaine de la lutte », Dr. & patr. mensuel 2014, p. 53 et s. V. égal. Péglion-Zika C.-L., La notion de clause abusive. Étude de droit de la consommation, t. 585, 2018, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, préf. Leveneur L., spéc. n° 9, évoquant des « extensions tentaculaires ».
V. en ce sens, Calais-Auloy J., Temple H. et Depincé M., Droit de la consommation, 10e éd., 2020, Dalloz, nos 12 et 13 ; Julien J., Droit de la consommation, 3e éd., 2019, LGDJ, Précis Domat, n° 23 ; Raymond G., Droit de la consommation, 5e éd., 2019, LexisNexis, n° 60.
V. en ce sens, Pellier J.-D., Droit de la consommation, 2e éd., 2019, Dalloz, Cours, n° 12 ; Picod Y. et N., Droit de la consommation, 5e éd., 2020, Sirey, nos 39 et s. Comp. Paisant G., Droit de la consommation, 2019, PUF, n° 27, affirmant que « cette prise en compte du non-professionnel apparaît à la fois anarchique et arbitraire », mais soulignant le « succès législatif de cette notion ». V. égal. Vogel L. et Vogel J., Traité de droit économique – Droit de la consommation, t. 3, 2017, Bruylant, n° 395, p. 832, s’interrogeant, en matière de clauses abusives, sur « le devenir de la notion de non-professionnel », dans la mesure où « celle-ci a vu le jour à une époque où les professionnels qui contractaient en dehors du cadre de leur activité professionnelle ne bénéficiaient d’aucune protection (…) » et affirmant que « la situation a changé depuis l’insertion dans le Code de commerce de l’interdiction de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif (art. L. 442-6, I, 2°) et l’introduction dans le Code civil de l’article 1171 qui répute non écrite toute clause qui crée un déséquilibre entre les droits et obligations des parties liées par un contrat d’adhésion ».
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