Protection possessoire et action en référé
Seules les actions en référé assurent l’exercice de la protection possessoire.
Cass. 3e civ., 24 sept. 2020, n° 19-16370
La troisième chambre civile de la Cour de cassation vient, dans un arrêt du 24 septembre 2020, préciser le régime de la protection possessoire1. À cette occasion, la Cour de cassation énonce clairement que la protection possessoire n’a pas disparu avec la loi n° 2015-117 du 16 février 2015 et qu’elle est assurée au moyen de l’action en référé. En l’espèce, les titulaires d’une servitude de passage avaient intenté, sur le fondement de la protection possessoire, une action justice en vue d’obtenir l’enlèvement d’une clôture et d’une barrière qui empêchaient l’exercice de leur droit de servitude. Les demandeurs avaient agi sur le fondement des actions possessoires, pourtant abrogées par la loi n° 2015-117 du 16 février 2015. La cour d’appel de Limoges avait accueilli leur demande en se fondant sur l’article 2278 du Code civil qui dispose que « la possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l’affecte ou la menace [et que] la protection possessoire est pareillement accordée au détenteur contre tout autre que celui de qui il tient ses droits ». La cour d’appel en avait déduit que « selon l’article 2278 du Code civil, la possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble[...]
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Cass. 3e civ., 24 sept. 2020, n° 19-16370 : Dalloz actualité, 23 oct. 2020, obs. Strickler Y.
L’article 9 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 a abrogé l’article 2279 du Code civil (« les actions possessoires sont ouvertes dans les conditions prévues par le Code de procédure civile à ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement »), mais il n’a pas expressément et directement abrogé les dispositions du Code de procédure civile qui en résultaient (CPC, art. 1264 à 1267) et qui étaient à valeur réglementaire. Toutefois, la circulaire du 19 février 2015 précisait que l’abrogation de l’article 2279 du Code civil emportait l’abrogation des articles 1264 à 1267 du Code de procédure civile : « L’abrogation de l’article 2279 du Code civil emporte implicitement et nécessairement l’abrogation des dispositions réglementaires de cet article, c’est-à-dire des articles 1264 à 1267 du Code de procédure civile. En effet, la volonté du législateur a été de supprimer les actions possessoires dont les articles 1264 à 1267 du Code de procédure civile se bornent à préciser les conditions d’exercice ». C’est ensuite par le décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 que les articles 1264 à 1267 du Code de procédure civile qui visaient les actions possessoires (complainte, dénonciation de nouvel œuvre et action en réintégration) ont été expressément abrogés.
Cass. ass. plén., 28 juin 1996, n° 94-15935 : JCP 1996, I 3972, obs. Périnet-Marquet H. ; D. 1996, p. 487, concl. Weber J.-F. et note Coulon J.-M. ; RTD civ. 1997, p. 216, obs. Normand J. ; RTD civ. 1997, p. 463, obs. Zenati F. ; RDI 1996, p. 536, obs. Bergel J.-L.
Cass. 3e civ., 24 févr. 1999, n° 96-18742 : RDI 1999, p. 193, obs. Bruschi M. – V. déjà, Cass. 3e civ., 8 févr. 1989, n° 87-16237 : RTD civ. 1989, p. 596, obs. Zénati F. – Cass. 3e civ., 20 mai 1992, n° 90-17458 : RTD civ. 1993, p. 137, obs. Zénati F ; RDI 1993, p. 347, obs. Bergel J.-L., qui décide que le juge des référés est incompétent pour statuer selon les règles propres au possessoire. Celui qui est troublé dans sa possession peut utiliser la voie du référé classique, mais alors, seules s’appliquent les règles du référé de droit commun, à l’exclusion de celles qui régissent les actions possessoires. Les deux voies judiciaires étaient tenues pour autonomes et sans hiérarchie entre elles (Strickler Y., Droit des biens, 2017, LGDJ, Cours, n° 392).
Le référé de droit commun constitue une technique autonome de protection de la possession : Cass. 3e civ., 15 mai 2008, n° 07-14759 : D. 2009, Pan., p. 2396, obs. Reboul-Maupin N.
L’attribution du contentieux possessoire au tribunal de grande instance a accru le recours au référé classique. Celui qui invoquait un trouble dans sa possession avait, en effet, tendance à se tourner encore plus naturellement vers l’action en référé classique, laquelle relevait de la compétence du tribunal de grande instance (le référé étant l’action de droit commun de l’urgence ou du trouble manifestement illicite). Par ailleurs, outre le fait que les actions possessoires devenaient de moins en moins fréquentes par le recours croissant au référé, elles se caractérisaient également par un régime excessivement et inutilement complexe. En ce sens, la séparation du possessoire et du pétitoire impliquait que le juge du possessoire ne s’intéresse pas au fond du droit, c’est-à-dire aux titres dont disposaient les parties. Mais en réalité, la distinction entre pétitoire et possessoire était souvent difficile à appliquer. Car, même dans le contentieux possessoire, il était fréquent que le juge examine les titres dont se prévalaient les parties afin de vérifier que les conditions de la protection possessoire étaient remplies. Le juge s’intéressait donc indirectement au fond du droit pour accorder ou non la protection possessoire. Le regroupement des actions possessoires et des actions pétitoires devant la même juridiction, à savoir le tribunal de grande instance, devait conduire inexorablement à la disparition de cette spécificité procédurale que constituaient les actions possessoires.
Ce double mouvement, la possibilité de recourir à l’action en référé de droit commun et l’attribution de la compétence des actions possessoires au tribunal de grande instance, devait conduire inéluctablement à la disparition des actions possessoires (Strickler Y., « La mort des actions possessoires », in Études offertes au doyen Philippe Simler, 2006, LexisNexis-Litec-Dalloz, p. 823).
Jacques L., in Propositions de l’Association Henri Capitant pour une réforme du droit des biens, Périnet-Marquet H. (dir.), 2009, LexisNexis, p. 68.
V. sur la question de l’exclusion des anciennes actions possessoires en matière mobilière (qui, d’ailleurs, n’était pas totale en Ancien droit) : Zénati F., obs. sous Cass. 3e civ., 6 févr. 1996, n° 94-10784 : RTD civ. 1996, p. 943.
Von Jhering R., Études complémentaires de l’esprit du droit romain, t. 2, Fondements des interdits possessoires, critique de la théorie de Savigny, de Meulenaere O. (trad.), 2e éd., 1882, Paris, A. Marescq, p. 42-51, spéc. p. 50. Jhering considère que « la protection de la possession, comme extériorité de la propriété, est un complément nécessaire de la protection de la propriété, une facilité de preuve en faveur du propriétaire, laquelle profite nécessairement aussi au non-propriétaire ». Jhering estime, dans le prolongement de cette analyse, que ce n’est donc pas pour elle-même que « [la possession] est protégée, c’est en considération de la propriété. Dans la possession, le propriétaire se défend contre les premières attaques tentées contre son droit. (...) C’est donc en vue de la propriété qu’a été introduite la protection de la possession. Mais il était impossible d’accorder cette protection au propriétaire sans que les non-propriétaires en profitassent en même temps… ».
Von Jhering R., Œuvres choisies, t. 2, VIII, Possession, Théorie simplifiée et mise à la portée de tout le monde, de Meulenaere O. (trad.), 1893, Paris, A. Marescq, p. 230-231, qui énonce que statistiquement l’extériorité de la propriété que constitue la possession et la propriété réelle coïncident dans l’infinie majorité des cas, de sorte que « la protection possessoire apparaît ainsi comme le complément indispensable de la propriété ».
Malaurie P. et Aynès L, Droit civil, Droits des biens, Julienne M. (collab.), 8e éd., 2019, LGDJ, n° 483. Le plerumque fit correspond à la situation la plus fréquente, à la situation habituelle. Or, dans la situation la plus fréquente, le possesseur est également le propriétaire. V. plus généralement sur le plerumque fit : Viney F., La personne raisonnable, Contribution à l’étude des standards normatifs et descriptifs, 2013, thèse, Paris 1, not. p. 28, p. 45-54 (spéc. p. 47 : « Le plerumque fit établit ce qui est le plus probable à partir de ce qui est le plus fréquent… ») et p. 517.
Dross W., Droit civil, Les choses, 2012, LGDJ, Lextenso, nos 253 et 253-1. Le droit français accorde la protection possessoire à tout possesseur, quel que soit son titre de détention ou de jouissance, y compris ceux dont la détention ou la jouissance de la chose résulte d’un droit réel sur la chose d’autrui ou d’un droit personnel de jouissance (usufruitier, titulaire d’un droit réel de jouissance spéciale ou d’un droit réel de servitude, locataire, fermier, emprunteur, dépositaire). En ce qui concerne les possesseurs qui détiennent la chose en raison d’un droit personnel relatif à cette chose, l’article 2278, alinéa 2, du Code civil dispose que « la protection possessoire est pareillement accordée au détenteur contre tout autre que celui de qui il tient ses droits ». La protection possessoire bénéficie à toute forme de possession, c’est-à-dire tant à la possession naturelle qu’à la possession civile (ainsi, ceux qu’on nomme les détenteurs, et qui sont des possesseurs, bénéficient de la protection possessoire).
Von Savigny F.-C., Traité de la possession en droit romain, Faivre d’Audelange C. (trad.), 1842, Paris, Joubert, p. 7 et s.
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