Incidence de la liberté contractuelle sur l'existence et la portée des droits de propriété intellectuelle ?
La question de l’incidence éventuelle de la liberté contractuelle sur l’existence des ou de droits de propriété intellectuelle ou sur l’étendue de la protection qu’ils confèrent est, bien qu’importante, rarement abordée telle quelle en doctrine. En raison du caractère d’ordre public des règles souvent applicables, ce n’est cependant qu’à la marge qu’une telle influence peut s’observer – si l’on parle bien de droits de propriété intellectuelle au sens précis des termes.
1. La place de la liberté contractuelle en droit de la propriété intellectuelle est une question vaste et relativement classique lorsqu’elle est envisagée sous l’angle des contrats d’exploitation – cessions et licences –, plus ou moins réglementés selon les branches de la matière, qui constituent un mode normal et évidemment répandu d’exercice des droits de propriété intellectuelle. La question, beaucoup plus atypique, abordée ici est celle de l’incidence de cette liberté sur l’existence même de cette variété de droits réels que constituent les droits de propriété intellectuelle ainsi que sur la portée de la protection privative qui leur est attachée.
Si la question est moins classique, et peut même surprendre de prime abord,[...]
L'accès à l'intégralité de ce document est réservé aux abonnés
Au sujet de ces dispositions, la Cour de justice (CJUE, 16 nov. 2016, n° C-301/15, Soulier et Doke) relève que les droits qu’elles garantissent « sont de nature préventive, en ce sens que tout acte de reproduction ou de communication au public d’une œuvre par un tiers requiert le consentement préalable de l’auteur » (pt 33) et souligne avec insistance le droit d’« interdire » dont dispose celui-ci (not. pts 38 à 40). Par cet arrêt, la Cour juge incompatible avec ces dispositions un mécanisme du droit français ne permettant pas à l’auteur d’exercer son droit d’interdire.
V. égal. Pollaud-Dulian F., La propriété industrielle, 2011, Economica, n° 12 ; Raynard J., « Propriétés intellectuelles : un pluriel bien singulier », in Mélanges offerts à Jean-Jacques Burst, 1997, Litec, p. 527, spéc. n° 24 ; Passa J., Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, 2e éd., 2009, n° 11.
V. Sur ce point, Passa J., « Secret des affaires et propriété intellectuelle », in La protection des secrets d’affaires, Colloque Paris 2016, 2018, LexisNexis, CEIPI, p. 36 et s.
Lucas A., obs. sous Propr. intell. 2002, p. 48 et s., spéc. p. 49, n° 3.
En ce sens, Caron C., Droit d’auteur et droits voisins, 5e éd., 2017, Lextenso, n° 97.
Il est cependant arrivé à la Cour de cassation de juger le contraire : Cass. 1re civ., 27 nov. 2001, n° 99-20996 : Propr. intell. 2002, p. 48, n° 3, obs. crit. Lucas A. (la cour d’appel n’avait pas « à se prononcer sur l’originalité d’un apport personnel conventionnellement tenu pour constant par les parties »). Il est toutefois possible que l’analyse ait consisté davantage à opposer au défendeur sa mauvaise foi ou une prétendue obligation de ne pas se contredire, qu’à attacher des effets à une qualification contractuelle (en ce sens, A. Lucas, obs. préc.).
Cass. 1re civ., 16 nov. 2004, n° 02-17683 : Bull. civ. I, n° 275.
CA Lyon, 12 sept. 2019, n° 16/06896 : PIBD 2019, n° 1127, III, 522.
CJUE, 15 janv. 2015, n° C-30/14 : RDC 2015, n° 111v5, p. 348, note Passa J.
Rappr. CJUE, 7 juill. 2016, n° C-567/14, Genentech : Propr. industr. 2016, p. 8, chron. Passa J.
Pour une protection antérieure par le contrat, Cass. 1re civ., 15 mars 1977, n° 75-10884 : Bull. civ. I, n° 135 ; sur la question, Daverat X., « Histoire des droits voisins », JCl. Propriété littéraire et artistique, fasc. 1405.
Manara C., Le droit des noms de domaine, 2012, Litec, IRPI, n° 254 : « Le nom de domaine ne peut être qualifié de propriété – ce d’autant moins que seule la loi peut ériger de nouvelles propriétés » ; Passa J., Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, 2e éd., 2009, LGDJ, n° 478 et s. et 500 ; Sardain F., « Noms de domaine », JCl. Communication, fasc. 2000, n° 95 – CA Douai, 5 oct. 2011 : Comm. com. électr. 2012, comm. 15, obs. Chagny M. : « le nom de domaine n’est pas couvert par un droit privatif et ne bénéficie donc pas d’une protection juridique spécifique » – Cass. com., 2 févr. 2016, n° 14-20486 ; Cass. com., 6 déc. 2016, n° 15-18470 ; TGI Paris, 9 mars 2018, n° 17/02002 : « Quand bien même le nom de domaine ne serait pas un titre de propriété puisqu’il ne constitue qu’une simple dénomination permettant d’accéder à une ressource sur internet dépendant d’organismes qui centralisent l’attribution et la gestion des noms de domaine ».
Passa J., Traité de droit de la propriété industrielle, t. 2, 2013, LGDJ, nos 206 et s.
Cass. com., 12 mars 1985, n° 84-17163 : Bull. civ. IV, n° 95 ; D. 1985, p. 471, note Ghestin J. ; Ann. propr. ind. 1985, p. 3, note Mathély P. ; JCP G 1985, II, 20400, concl. Montanier M. et note Bonet G. ; Gaz. Pal. 1985, p. 246, note Le Tallec G. ; Rev. soc. 1985, p. 607, note Parléani G. ; et sur cet arrêt, Passa J., Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, 2e éd., 2009, LGDJ, n° 477.
Cass. com., 27 févr. 1990, n° 88-19194, Mazenod : Bull. civ. IV, n° 58 ; JCP G 1990, II 21545, note Pollaud-Dulian F. Il était déjà dit, du reste, par la Cour de cassation dans le chapeau de l’arrêt Bordas que le principe de l’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité du nom patronymique « ne s’oppose pas à la conclusion d’un accord portant sur l’utilisation de ce nom comme dénomination sociale ou nom commercial ». V. égal. Pollaud-Dulian F., « L’utilisation du nom patronymique comme nom commercial », JCP G 1992, I 3618.
En ce sens, Cass. com., 27 févr. 1990, n° 88-19194, Mazenod – et déjà l’arrêt Negresco : Cass. 1re civ., 6 juill. 1965, n° 64-10202 : Bull. civ. I, n° 453 ; D. 1965, p. 701, note Lindon R. ; RTD com. 1965, p. 841, obs. Chavanne A.
Cass. com., 6 mai 2003, n° 00-18192, Ducasse : Bull. civ. IV, n° 69 ; D. 2003, p. 2228, note Loiseau G. ; PIBD 2003, n° 768, III, 366 ; Rev. soc. 2003, p. 548, note Parléani G. – Cass. com., 29 janv. 2008, n° 05-20195, Martinez : PIBD 2008, n° 871, III, 221 – Cass. com., 24 juin 2008, n° 07-10756, André Beau : Bull. civ. IV, n° 129 ; PIBD 2008, n° 880, III, 499.
Not. Cass. com., 27 févr. 1990, n° 88-19194, Mazenod : Bull. civ. IV, n° 58 ; JCP G 1990, II 21545, note Pollaud-Dulian F. – Cass. com., 29 janv. 2008, n° 05-20195, Martinez.
Où l’on voit que, née d’un contrat, la « propriété incorporelle » produit tout de même un effet à l’égard des tiers que sont d’autres personnes physiques, qui se prévaudraient du droit extrapatrimonial sur leur nom de famille.
V. égal. Parléani G., note sous l’arrêt Bordas : « Mais cette propriété n’a ici pour seule source que la convention des parties, et n’est en définitive qu’un droit d’usage » (n° 16) ou « cette “propriété” n’est qu’un droit d’usage, modelé par une convention ».
Sur ce point, Viandier A., « Les conflits entre cédant et cessionnaire relatifs au nom », RJ com. 1995, p. 1.
V. Passa J., « La protection de la dénomination sociale et du nom commercial par l’action en concurrence déloyale », in Mélanges en l’honneur d’Yves Serra, 2006, Dalloz, p. 289.
V. Passa J., « La protection de la dénomination sociale et du nom commercial par l’action en concurrence déloyale », in Mélanges en l’honneur d’Yves Serra, 2006, Dalloz, p. 289.
Cass. 3e civ., 31 oct. 2012, n° 11-16304 : D. 2012, p. 2596, obs. Tadros A. ; D. 2013, p. 53, note d’Avout L. et Mallet-Bricout B. ; RTD civ. 2013, p. 141, obs. Dross W.
D. 2012, p. 2596, obs. Tadros A. ; D. 2013, p. 53, note d’Avout L. et Mallet-Bricout B.
Sur le débat relatif au caractère réel du droit transmis, v. not. Boisson A., La licence de droit d’auteur, 2013, LexisNexis, FNDE.
Lucas A. et a., Traité de la propriété littéraire, artistique et industrielle, 5e éd., 2017, Litec, n° 727 ; Siiriainen F., « Des “démembrements” du droit d’auteur : de la théorie à la théorie par le détour de la pratique », RIDE 2014, p. 387 et s.
Siiriainen F., « Des “démembrements” du droit d’auteur : de la théorie à la théorie par le détour de la pratique », RIDE 2014, p. 387 et s.
Siiriainen F., « Des “démembrements” du droit d’auteur : de la théorie à la théorie par le détour de la pratique », RIDE 2014, p. 393.
V., sur ce point, les développements substantiels de Siiriainen F., « Des “démembrements” du droit d’auteur : de la théorie à la théorie par le détour de la pratique », RIDE 2014, p. 387 et s.
Par ex., Cass. crim., 4 déc. 2018, n° 17-87186, où la qualification pénale de contrefaçon de marque est déduite de l’expiration du contrat, sans vérification précise que l’activité poursuivie postérieurement satisfaisait les critères légaux.
V. nos obs. RDC 2015, n° 112b8, p. 570 ; RDC 2017, n° 114g2, p. 315 ; Gautier P.-Y, « Des transactions en propriété intellectuelle (accords de coexistence de marques) », in Liber amicorum Georges Bonet, 2010, Litec, IRPI, p. 239.
Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-24979 : Bull. civ. IV, n° 27 ; RDC 2015, n° 112b8, p. 570, obs. Passa J. ; sur renvoi, CA Paris, 27 mai 2016 : RDC 2017, n° 114g2, p. 315, obs. Passa J.
Gautier P.-Y., Propriété littéraire et artistique, 11e éd., 2019, Paris, PUF, n° 197.
Gautier P.-Y., Propriété littéraire et artistique, 11e éd., 2019, Paris, PUF, n° 198.
Cass. 1re civ., 2 avr. 2009, n° 08-10194 ; v. égal. Cass. 1re civ., 28 janv. 2003, n° 00-20014 : Bull. civ. I, n° 28.
Pour plus détails sur cette question, v. Passa J., « Caractère impératif ou supplétif des exceptions au droit d’auteur ? », in L’effectivité des exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins : les usages, la loi, la régulation, colloque HADOPI 2013, 2013, RLDI, n° 94, supplément, p. 13, et les réf. doctrinales.
PE et Cons. UE, dir. n° 2009/24, art. 8, al. 2, ainsi que art. 5, § 2, qui prévoit qu’« une personne ayant le droit d’utiliser le programme d’ordinateur ne peut être empêchée par contrat d’en faire une copie de sauvegarde dans la mesure où celle-ci est nécessaire pour cette utilisation » ; dans les mêmes termes, v. PE et Cons. UE, dir. n° 96/9, sur la protection juridique des bases de données, art. 15.
CPI, art. L. 122-6-1, dernier alinéa ; PE et Cons. UE, dir. n° 2009/24, art. 8, al. 2.
Dieng M., Exceptions au droit d’auteur et mesures techniques de protection, thèse, 2012, Université Paris II, n° 190 ; Passa J., « Caractère impératif ou supplétif des exceptions au droit d’auteur ? », préc.
V., par ex., CJUE, 1er déc. 2011, n° C-145/10, Eva-Maria Painer, pt 135.
PE et Cons. UE, dir. n° 2001/29, art. 6, § 4 ; et CPI, art. L. 331-5.
Testez gratuitement Lextenso !
Plan
- 1Conventions et droits réels : la liberté contractuelle sans limites ?
- 1.1Création et aménagement des droits réels : question(s) de principe(s) ?
- 1.2La liberté dans la création et l’aménagement de droits réels en matière immobilière
- 1.3Conventions et droits réels : la liberté contractuelle sans limites ? – La question à l’égard des droits sociaux
- 1.4Les nouvelles formes de monnaie
- 1.5Incidence de la liberté contractuelle sur l’existence et la portée des droits de propriété intellectuelle ?
- 1.5.1I – La liberté contractuelle et l’existence des droits de propriété intellectuelle
- 1.5.2II – La liberté contractuelle et la portée des droits de propriété intellectuelle
- 1.6Conventions et droits réels : la liberté contractuelle sans limites ? – Propos conclusifs