La date du changement : la loi ou la volonté ?
En assurance « emprunteurs », le changement d’assureur pose de redoutables problèmes de date. En la matière, les lois récentes révèlent leurs lacunes. Et la volonté ne peut pas tout, eu égard à la place occupée par l’ordre public. La théorie, et notamment la distinction du droit de résiliation et de l’acte de résiliation, fournit certaines pistes. La pratique a ses propres contraintes. Pour elle, la meilleure date est celle qui est le plus facilement accessible aux acteurs du changement.
1. Déterminer quand intervient le changement d’assurance « emprunteurs » et qui, de la loi ou de la volonté, joue en la matière un rôle décisif impose d’emblée de revenir aux fondamentaux. À cet égard, il faut rappeler que le changement en question s’effectue en deux étapes : la résiliation de l’ancien contrat d’assurance et la souscription d’un nouveau contrat auprès d’un autre assureur 1. On a affaire, pour reprendre une terminologie déjà utilisée 2, à un « changement dans la discontinuité » (pour l’opposer au « changement dans la continuité », comme en matière de transfert de portefeuille, où le même contrat se poursuit, seule changeant la personne de l’assureur). Dans ces[...]
L'accès à l'intégralité de ce document est réservé aux abonnés
Même s’il y a un certain lien entre ces deux étapes puisque, si le nouveau contrat n’est pas accepté par le prêteur, l’ancien contrat n’est pas résilié : C. assur., art. L. 113-12-2. Ce lien existe, au moins pour la résiliation lors de la première année du contrat de prêt, dès la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, dite loi Hamon.
Mayaux L., « Le changement d’assureur en assurances de personnes », RGDA janv. 2017, n° 114c5, p. 12, spéc. n° 3.
Concrètement la date où cette résiliation a été notifiée à l’assureur.
C. assur., art. L. 113-12-2, al. 1 er , réd. L. n° 2014-344, 17 mars 2014, préc. : « En cas d'acceptation par le prêteur, la résiliation du contrat d'assurance prend effet 10 jours après la réception par l'assureur de la décision du prêteur ou à la date de prise d'effet du contrat accepté en substitution par le prêteur si celle-ci est postérieure. »
L’idéal, dans la pratique, étant qu’elle soit « calée » sur une échéance de remboursement du prêt, pour éviter toute discussion sur le montant du capital restant dû au moment du changement d’assureur, qui conditionne la tarification.
Sur lesquels v. infra, n° 8.
V. Mayaux L., « Les effets du changement : le changement dans la continuité ? », RGDA avr. 2018, n° 115p0.
Anciennement C. civ., art. 1134, al. 2.
Au moins si l’on estime, ce qui paraît logique, que les contraintes de délais posées par C. assur., art. L. 113-12-2 s’appliquent au seul droit de résiliation unilatéral qu’il édicte.
Ce qu’a parfaitement compris le Conseil constitutionnel dans sa décision du 12 janvier 2018, qui en déduit que l’atteinte à la liberté contractuelle apportée par les dispositions transitoires de la loi du 21 février 2017 (art. 10, V) n’est pas disproportionnée par rapport à l’objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur. V. Cons. const., 12 janv. 2018, n° 2017-685 QPC : RGDA mars 2018, n° 115k9, p. 151, note Mayaux L.
Leduc F., Traité du contrat d’assurance terrestre, Groutel H. (dir.), 2008, Litec, n° 916.
Ou de 15 jours au minimum pour la résiliation infra-annuelle lors de la première année du prêt : C. assur., art. L. 113-12-2. V. infra, n° 7.
Les raisons sont à la fois psychologiques (tenant au fait que l’emprunteur est accaparé par d’autres préoccupations, comme celle de faire des travaux dans l’immeuble après son acquisition), et financières (le poids de l’emprunt, qui inclut l’assurance, ne se faisant sentir qu’au fil du temps).
Qui fait pourtant foi de la date de la réponse : C. consom., art. L. 313-34, al. 2.
C. assur., art. L. 113-12-2 nouv., réd. Ord. n° 2017-1433, 4 oct. 2017, relative à la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier.
C. assur., art. L. 113-12-2, al. 1 er.
Sur cette notion de droit de substitution, v. Mayaux L., « L’application de l’article L. 113-12 du Code des assurances aux assurances « emprunteurs » : et si les juges avaient raison de s’en mêler ? », RGDA janv. 2016, n° 112x8, p. 7, spéc. n° 2.
C. consom., art. L. 313-31, al. 1 er. Le refus suppose qu’il n’y ait pas équivalence des niveaux de garantie au regard des critères du comité consultatif du secteur financier (CCSF), figurant dans son avis du 13 janvier 2015 : www.ccsfin.fr.
C. consom., art. L. 313-31, al. 3.
Recomm. ACPR, 2017-R-01, 26 juin 2017, art. 4.3.4.1.
C. consom., art. L. 313-34, al. 2.
C. assur., art. L. 113-12-2, al. 1 er.
C. assur., art. L. 113-12-2, al. 1 er.
Supra, n° 3.
Recomm. préc., art. 4.3.4.1.
V. Pimbert A., « Les sources du changement : l’empilement des textes, la résistance de la jurisprudence », RGDA avr. 2018, n° 115p8.
Alipoé P.-P., « À la recherche de la date d’échéance », Trib. assur., 5 déc. 2017.
Puigelier C., Vocabulaire juridique, 2 e éd., 2017, Bruylant, V° Échéance. Comp. le Vocabulaire Cornu, Association Capitant, 11 e éd., 2016, PUF, V° Échéance, qui vise seulement l’hypothèse du terme de l’obligation, mais est trop restrictif sur ce point. Au demeurant, le Code des assurances emploie parfois le terme « échéance » pour désigner l’échéance du contrat et pas de l’obligation. V., par ex. C. assur., art. L. 113-5 et C. assur., art. R. 132-4, il est vrai pour l’assurance-vie et donc dans un contexte particulier où le sinistre dénoue le contrat ; rappr. Leduc F., op. cit., n° 923, p. 603, note 74.
Rapprocher, pour la résolution pour inexécution, C. civ., art. 1229 nouv. : « la résolution met fin au contrat ».
Pour l’opposer aux contrats d’une durée d’un an, reconductibles d’année en année. V. Bigot J., « Ubu et l’assurance emprunteurs, les juges s’emmêlent », JCP G 2015, 1058, spéc. 1-B-2°.
Comme semble le penser notre collègue Jean Bigot, ibid.
Cela résulterait de l’article 30 de l’ordonnance n° 2017-1433 du 4 octobre 2017, précitée, dont le texte est issu. Mais cet article prévoit plus des adaptations des contrats anciens aux dispositions issues de l’ordonnance qu’une application générale de celle-ci à ces contrats. Cette application résulte plus nettement du rapport au président de la République relatif à cette ordonnance (JO, 5 oct. 2017).
C. assur., art. L. 113-12, al. 2 nouv., réd. Ord. n° 2017-1433, 4 oct. 2017 : « deux mois avant la date d’échéance de ce contrat » ; v. aussi, al. 4. Sur la question, v. Bigot R., « L’assurance, le droit et le digital : un mauvais remake du bon, la brute et le truand ? », RGDA janv. 2018, n° 115h0, p. 8.
C. assur., art. L. 113-12, al. 1 er nouv.
Celle de la première prime intervient au moment de la souscription, date où cette prime est payée.
Comme dans le cas d’un contrat à échéance principale au 1 er janvier, mais conclu et prenant effet en cours d’année.
Rapprocher Bigot J., Traité de droit des assurances, t. 3, Le contrat d’assurance, 2 e éd., 2014, LGDJ, n° 1071, p. 507 : « À notre avis, cette expression [figurant à C. assur., art. L. 113-12] désigne l’échéance annuelle du contrat, depuis sa date anniversaire, et non l’échéance de prime qui ne coïncide pas nécessairement avec la précédente ». Sans être d’accord avec cet auteur sur la manière dont il entend l’échéance annuelle (qu’il fixe à la date anniversaire du contrat : pour la discussion, v. infra, n os 16 et s.), nous approuvons la distinction faite par lui avec l’échéance de prime.
Au moins pour l’assurance proposée par l’établissement de crédit. Pour celles proposées par des assureurs externes, les modalités peuvent être différentes dès lors que le paiement des cotisations est décorrélé du paiement des échéances du prêt.
V. déjà Mayaux L., note sous Cass. 1 re civ., 24 mai 2017, n os 15-27127 et 15-27839, FS-PBI : RGDA juill. 2017, n° 114t7, p. 436.
Cass. 1 re civ., 24 mai 2017, n os 15-27127 et 15-27839, préc. – Cass. 1 re civ., 4 oct. 2017, n os 16-19742 et 16-21475 : RGDA nov. 2017, n° 115a1, p. 567, note Mayaux L. ; adde postérieurement à ce colloque, Cass. 1 re civ., 31 janv. 2018, n° 16-20562 ; Cass. 1 re civ., 14 févr. 2018, n° 16-24251.
C. assur., art. L. 113-12 anc., réd. L. n° 72-647, 11 juill. 1972.
L. 13 juill. 1930, art. 5, al. 1 er. La solution de la résiliation décennale remonte à un décret du 8 mars 1922, art. 55.
Puisque, dans la mesure où celle-ci tend à garantir le remboursement d’un prêt, elle ne produit effet, au plus tôt, que du jour où ce prêt a été conclu et donc du jour de la signature de l’offre de prêt par l’emprunteur.
Bigot J., traité préc., n° 1071, p. 507.
Tafanelli O., Le temps et le contrat d’assurance, Martin G.-J. (dir)., thèse, 2002, Nice, n° 234.
Leduc F., traité préc., n° 923, p. 603, note 74.
Celle-ci a ultérieurement été admise pour certaines assurances et à certaines conditions. V. C. assur., art. L. 113-15-2 et, pour les assurances « emprunteurs », C. assur., art. L. 113-12-2 ; sur cette dernière hypothèse, v. supra, n os 6 et s.
V., pour l’assurance « emprunteurs », Mayaux L., « Les effets du changement : le changement dans la continuité ? », RGDA avr. 2018, n° 115p0.
Comme c’est aussi le cas à la conclusion du contrat où l’on peut distinguer la date où les parties ont contracté (autrement dit, celle de l’acte de conclusion) et celle où le contrat produit ses effets (autrement dit, celle des effets de la conclusion), mais où il n’y a pas de troisième date. Par parallélisme, ce qui est vrai pour la conclusion du contrat doit l’être aussi pour sa résiliation.
Infra, n° 24.
V., pour une application, juge de paix Nancy, 16 juin 1937 : RGAT 1937, p. 731, note A. B.
Laquelle, de son côté, est lacunaire puisque son article 5 prévoit seulement la possibilité pour l’assuré et l’assureur de se retirer du contrat « au moins six mois à l’avance ».
Picard M. et Besson A., Traité général des assurances terrestres, t. 1, 1938, LGDJ, n° 287, p. 586.
Le 5° de l’article L. 310-1 visait « les entreprises d’assurances de toute nature », autres que celles couvrant les risques vie-capitalisation, rente viagère, nuptialité, mortalité. Le fait qu’il ait disparu aujourd’hui pour se fondre avec le 3° n’empêche pas l’article A. 113-1 de demeurer de droit positif et de s’appliquer aux assurances-« emprunteurs » dès lors qu’elles ne sont pas regardées comme des assurances sur la vie.
Ce texte aurait pu, à notre sens, être utilisé pour justifier, avant la loi du 21 février 2017, la résiliation annuelle des contrats d’assurance « emprunteurs » (au moins ceux d’une durée supérieure à 3 ans) dès lors que la mention relative à la durée n’y figurait pas.
Rappr. Alipoé P.-P., art. préc.
Pour l’assurance alternative, qui est décorrélée du prêt, les documents contractuels sont nécessairement remis par l’assureur à l’assuré.
Dans l’hypothèse où il y a déjà eu un premier changement d’assureur, le changement suivant ne pourra avoir lieu qu’à la date anniversaire de la prise d’effet du deuxième contrat, laquelle ne coïncide pas nécessairement avec l’échéance annuelle du premier contrat. Il peut y avoir quelques jours de décalage ; v. infra, n° 24.
Qui peut se rencontrer quand un délai de carence a été stipulé pour une garantie (souvent PTIA, voire invalidité). Toutefois, le fait que les effets d’une seule garantie soient retardés ne devrait pas remettre en cause la date de prise d’effet du contrat dans son ensemble. V. Mayaux L., « Les effets du changement : le changement dans la continuité ? », art. préc., n° 6.
Encore qu’on puisse soutenir, depuis la réforme du droit des contrats par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le contrat de prêt n’est formé qu’au jour où l’acceptation de l’emprunteur est parvenue au prêteur (sur le fondement de C. civ., art. 1121).
Depuis Cass. 1 re civ., 28 mars 2000, n° 97-21422 : Bull. civ. I, n° 105 ; JCP G 2000, II 10296 ; JCP E 2000, 898, concl. Sainte-Rose J. et 1383, note Leveneur L. ; D. 2000, p. 482, note Piedelièvre S.
Supra, n° 7.
Étant entendu qu’en raison de la différence dans la durée des préavis (15 jours minimum pour la résiliation infra-annuelle et 2 mois minimum pour la résiliation périodique), la résiliation périodique ne devient intéressante que l’année d’après.
Qui a été publiée au JO du 22 février 2017.
De surcroît, cette date constitue une condition de résiliation au sens de l’article R. 112-1, qui en impose la mention dans la police.
V., persistant dans la mise à l’écart de l’article L. 113-12 du Code des assurances, alors même que la loi du 21 février 2017 avait déjà été validée par le Conseil constitutionnel, Cass 1 re civ., 31 janv. 2018 et 14 févr. 2018, préc.
Picard M. et Besson A., traité préc., n° 285, p. 582.
Supra, n° 17.
Groutel H., « La réforme du Code des assurances », Resp. civ. et assur. 1990, chron. 3, n° 35.
V. notamment, estimant que « l’assureur est tenu de rappeler dans le contrat d’assurance, sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 du Code des assurances, les causes d’interruption prévues à l’article L. 114-2 du même code », Cass. 2 e civ., 3 sept. 2009, n° 08-13094 : Bull. civ. II, n° 201 ; RGDA 2009, p. 1155, note Kullmann J. ; Resp. civ. et assur. 2009, comm. 311, note Groutel H. Et, étendant cette sanction au cas du non-rappel des causes d’interruption du Code civil, Cass. 2 e civ., 18 avr. 2013, n° 12-19519 : RGDA 2013, p. 884, note Kullmann J. ; Resp. civ. et assur. 2013, comm. 324, note Groutel H. ; Cass. 1 re civ., 29 juin 2016, n° 15-19751, PB.
Si on le faisait, cela conduirait à trois dates : une pour l’acte de résiliation, une pour la disparition du contrat, et une pour la cessation de ses effets. Or, il y a une date de trop. v. supra, n° 17.
Eu égard à la durée minimale du préavis prévu à l’article L. 113-12, qui est de 2 mois. Or ce délai est a priori largement suffisant pour que la procédure de changement d’assurance soit terminée avant son expiration.
Voire pour beaucoup moins d’une année. À la lettre, l’article L. 113-12-2 ne s’oppose pas, en effet, à une résiliation intervenant en début d’année d’assurance, qui serait effective bien avant l’expiration de celle-ci.
À savoir, en principe, la date anniversaire de la signature de l’offre de prêt ; v. supra, n° 17.
Elle ne peut totalement coïncider avec cette date car le deuxième assureur a intérêt à « caler » la date de prise d’effet de son contrat sur une échéance mensuelle du prêt, ce qui évite toute contestation sur le montant du capital restant dû à cette date : v. supra, n° 3.
Encore qu’on puisse aussi estimer que la stipulation d’un préavis d’une certaine durée évite à l’assuré de se retrouver à découvert de garantie en lui donnant le temps nécessaire pour trouver un autre assureur. Mais ce risque ne se retrouve pas a priori en assurance « emprunteurs » puisque, en toute hypothèse, la loi repousse la prise d’effet de la résiliation au jour où le nouveau contrat produit ses effets : C. assur., art. L. 113-12-2, al. 1 er ; v. supra, n° 8.
Picard M. et Besson A., op. cit., n° 98, p. 178 : « Cette restriction à la liberté contractuelle [que constituent les dispositions impératives de la loi] présente un caractère très particulier ; elle ne s’impose pas également aux deux parties. Elle n’est impérative qu’à l’égard de l’assureur ». Ces auteurs font référence à une lettre du ministre du Travail du 30 novembre 1928 figurant dans le rapport de Justin Godard au Sénat, selon laquelle les dispositions légales « constituent au profit de l’assuré un minimum de garantie auquel il ne peut renoncer par convention particulière, mais la loi n’empêche pas l’assureur de lui consentir des conditions plus libérales ».
Cass. 2 e civ., 9 déc. 2010, n° 09-71998 : RGDA 2011, p. 495, note Pélissier A.
Sur l’existence de deux catégories d’ordre public en droit des assurances, v. Pélissier A., note préc. Cet auteur propose, sur le modèle de l’ordre public du droit du travail, de distinguer, dans le Code des assurances, deux sortes de règles : « celles que l’on peut qualifier d’absolues ou d’intangibles parce qu’elles ne supportent aucune contrariété » et celles « ne fixant qu’un statut minimum de protection auxquelles il devient possible de déroger à condition d’offrir un statut plus protecteur ».
Encore qu’on puisse soutenir qu’une résiliation infra-annuelle est moins déstabilisante qu’une résiliation périodique dès lors que, pour cette dernière, l’assuré est poussé à agir du fait de la contrainte des délais. Au contraire, en cas de résiliation infra-annuelle, l’assuré peut se dire qu’il a toujours le temps pour résilier, ce qui le conduit… à ne jamais le faire ! L’avenir dira quelle opinion est la bonne.
Pour les nouveaux contrats, le rappel du droit de résiliation (et de la date d’échéance qui en permet l’exercice) est imposé par l’article L. 113-12 du Code des assurances. Les assureurs n’ont, sur ce point, pas de choix.
Testez gratuitement Lextenso !
Plan
- 1Le changement d’assureur en assurance « emprunteurs »
- 1.1Les sources du changement : l’empilement des textes, la résistance de la jurisprudence
- 1.2La date du changement : la loi ou la volonté ?
- 1.3Les effets du changement : le changement dans la continuité ?