Le droit européen de l'insolvabilité : passé, présent et avenir
Le droit européen de l’insolvabilité s’est construit avec retard. Les freins et réticences le concernant étant maintenant en grande partie levés, la Commission européenne accélère le pas. Pour avancer, elle va devoir, avec l’ensemble des acteurs, rechercher un consensus autour d’un modèle européen du traitement des entreprises en difficulté que ce soit sur le fond ou quant au rôle et à la place des tribunaux et des professionnels.
L’encre à peine sèche de la directive de 20191, et alors que plusieurs pays ont demandé un délai supplémentaire pour la transposer, la Commission européenne accélère le pas en envisageant une nouvelle directive, plus ambitieuse encore, pour harmoniser les droits nationaux de l’insolvabilité2. Cette brusque accélération doit nous faire mesurer le chemin parcouru depuis les années 1990, au cours desquelles le droit européen des entreprises en difficulté apparaissait comme un « îlot de résistance »3 au sein du droit européen des affaires et l’harmonisation des droits nationaux, comme une « tâche utopique »4.
Cette situation soulève de nombreuses questions abordées à l’occasion de ce colloque franco-allemand, voulu symboliquement à Bruxelles, par le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ) et le Verband Insolvenzverwalter une Sachwalter Deutschlands (VID). Elles sont au nombre de sept que nous reprendrons[...]
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PE et Cons. UE, dir. n° 2019/1023, 20 juin 2019, sur la restructuration et l’insolvabilité : JOUE L 172, 26 juin 2019.
Comm. UE, 25 nov. 2021, Union des marchés des capitaux : des résultats, un an après le plan d’action (COM/2021/720 final) : « La Commission proposera d’ici au 3e trimestre 2022 une initiative visant à harmoniser certains aspects précis du cadre relatif à l’insolvabilité des entreprises et de ses procédures. Sous réserve d’une analyse d’impact, la Commission proposera une directive. Le champ d’application exact de ladite proposition de directive fera l’objet de plus amples discussions avec les États membres et le Parlement européen. La proposition de directive pourrait être complétée par une recommandation de la Commission ».
« Un îlot de résistance à l’internationalisation : le droit international des procédures collectives », ainsi s’exprimait le professeur Jacques Béguin en 1994 dans un article en l’honneur du doyen Yvon Loussouarn (in Mélanges en l’honneur de Yvon Loussouarn. L’internationalisation du droit, 1994, Dalloz, p. 32).
L. Idot en 1991 : « L’harmonisation des législations internes relatives aux procédures collectives demeure toujours une tâche utopique, et les autorités communautaires n’ont nullement l’intention de s’engager dans cette voie », JCl. Procédures collectives, fasc. 871, Droit communautaire en gestation, spéc. n° 22.
Comm. UE, 24 sept. 2020 (COM(2020) 590 final), Une union des marchés de capitaux au service des personnes et des entreprises – nouveau plan d’action.
Comm. UE, 24 sept. 2020 (COM(2020) 590 final), Une union des marchés de capitaux au service des personnes et des entreprises – nouveau plan d’action : « La divergence marquée entre les régimes d’insolvabilité nationaux constitue un obstacle structurel de longue date aux investissements transfrontières. Du fait de régimes nationaux divergents et parfois inefficaces, il est difficile pour les investisseurs transfrontières d’anticiper la durée et le résultat des procédures de recouvrement de valeurs en cas de faillite, ce qui complique l’estimation adéquate des risques, en particulier pour les instruments de dette. L’harmonisation de certains aspects précis des règles nationales en matière d’insolvabilité ou leur convergence pourrait renforcer la sécurité juridique. En outre, un suivi régulier de l’efficacité des régimes nationaux d’insolvabilité permettrait aux États membres de comparer leurs régimes d’insolvabilité à ceux d’autres États membres et encouragerait ceux dont les régimes sont peu performants à les réformer. Les résultats du suivi pourraient également alimenter le processus du Semestre européen ».
P. Didier, « La problématique de la faillite internationale », RDAI 1989, n° 3, p. 203.
Dès 1980, dans le rapport introduisant le nouveau projet de convention relative à la faillite, il était relevé qu’un rapprochement des législations nationales fondé sur l’article 100 CE (devenu article 114 TFUE) pourrait être une solution à la divergence des solutions en matière de procédures collectives mais que « l’entreprise aurait été exagérément ambitieuse en raison même de la disparité des législations nationales » (spéc. p. 48). Parmi les auteurs ayant mentionné cet obstacle, v. not. G. Ponceblanc, « L’harmonisation des procédures collectives en Europe : espérances utopiques », Gaz. Pal. 1990, n° 2, p. 588.
JOCE L 161, 30 juin 2000. Ce règlement prend la place d’une convention qui aurait pu aboutir dans les années 1960, en même temps que la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 relative à la compétence judiciaire et à l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Les travaux du groupe chargé de préparer un texte sur les « faillites, concordats et autres procédures analogues » ont cependant traîné en longueur et n’ont finalement pas abouti. D’autres tentatives s’en sont suivies, certaines approchant du but, mais sans jamais parvenir à un texte sur la faillite européenne définitif et applicable. L. Danièle, « Les problèmes internationaux de la faillite et malheurs du projet de la Convention communautaire », CDE 1987, p. 512 ; P. Claroti, « Bilan de l’uniformisation des procédures collectives de droit européen, in La Banque et l’entreprise en difficulté », Banque 1989, p. 78 ; L. Idot, « Perspectives communautaires du droit des faillites », Gaz. Pal. 1991, n° 2, doct. 282 ; L. Idot et C. Saint-Alary-Houin, Procédures collectives, Droit communautaire en gestation, JCl. Europe Traité, fasc. 871 ; J. Lemontey, Actualité du droit international de la faillite, Travaux du comité français de DIP, 1986-1987, p. 85 ; G. Pouceblanc, « L’harmonisation des procédures collectives en Europe : espérances utopiques », Gaz. Pal. 1990, n° 2, doct. 588. Sur l’historique du droit communautaire des procédures collectives, v. également C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, 3e éd., 1999, Montchrestien, Paris, spéc. nos 1148 et s.
JOUE L 141, 5 juin 2015.
JOCE L 110, 20 avr. 2001, p. 28. La proposition de la Commission date de 1987 (JOCE C 71, 19 mars 1987).
JOCE L 125, 5 mai 2001, p. 15. Ce texte avait été proposé par la Commission 16 ans plus tôt, en 1985 (JOCE C 356, 31 déc. 1985).
V., à ce sujet, le document de travail de la Commission européenne présentant le programme BEST et l’état d’avancement des projets de la Commission, y compris ceux en matière de procédures collectives : document SEC (2002) 1212, 7 nov. 2002.
PE, résolution, 15 nov. 2011, contenant des recommandations à la Commission sur les procédures d’insolvabilité dans le cadre du droit européen des sociétés (2011/2006(INI)).
Comm. UE, 12 déc. 2012, COM (2012) 742 final.
Comm. UE, recomm. N° 2014/135/UE : JOCE L 74/65, 14 mars 2014.
JOUE L 172, 26 juin 2019.
Comm. UE, communication, 24 sept. 2020 (COM(2020) 590 final), action n° 11 : « Afin de rendre plus prévisibles les résultats des procédures d’insolvabilité, la Commission prendra une initiative législative ou non législative pour une harmonisation minimale ou une convergence renforcée dans des domaines ciblés du droit de l’insolvabilité hors secteur bancaire. De plus, en collaboration avec l’Autorité bancaire européenne, la Commission étudiera les possibilités d’améliorer la communication des données afin de permettre une évaluation régulière de l’efficacité des régimes nationaux de recouvrement de prêts ».
V., récemment : PE et Cons. UE, règl. n° 2021/2260, 15 déc. 2021, portant modification du règlement (UE) 2015/848 relatif aux procédures d’insolvabilité afin de remplacer ses annexes A et B.
L. Idot en 1991 : « L’harmonisation des législations internes relatives aux procédures collectives demeure toujours une tâche utopique, et les autorités communautaires n’ont nullement l’intention de s’engager dans cette voie », JCl. Procédures collectives, fasc. 871, Droit communautaire en gestation, spéc. n° 22.
Ord. n° 2021-1192, 15 sept. 2021 ; D. d’application n° 2021-1193, 24 sept. 2021. M. Menjucq, Rev. proc. coll. 2021, n° 5, repère 5 : « C’est le service minimum en matière de transposition ».
V. la loi de transposition adoptée le 17 décembre 2020 intitulée « loi visant à développer le droit de la restructuration et de l’insolvabilité » (Gesetz für Fortenwicklung des Sanierungs une Insolvenzrecht).
Comm. UE, communication, 24 sept. 2020 (COM(2020) 590 final).
Comm. UE, communication, 25 nov. 2021, Union des marchés des capitaux : des résultats, un an après le plan d’action (COM/2021/720 final).
PE, résolution, 15 nov. 2011, contenant des recommandations à la Commission sur les procédures d’insolvabilité dans le cadre du droit européen des sociétés (2011/2006(INI)).
PE et Cons. UE, règl. n° 2015/848, 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité.
PE et Cons. UE, dir. n° 2019/1023, 20 juin 2019, sur la restructuration et l’insolvabilité.
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Plan
- 1Vers une nouvelle directive sur l'insolvabilité ? – Bruxelles, le 25 mars 2022
- 1.1Avant-propos
- 1.2Transposition de la directive n° 2019/1023 : une première évaluation
- 1.3Quelles sont les zones de convergence possibles en matière de restructuration dans l’Europe de demain ?
- 1.3.1I – « Insolvency III »
- 1.3.2II – Le « Code européen des affaires »
- 1.3.3III – Perspectives d’harmonisation
- 1.3.3.1A – Une définition commune de l’insolvabilité
- 1.3.3.2B – Un régime spécifique pour les très petites entreprises
- 1.3.3.3C – Le recouvrement des actifs
- 1.3.3.4D – Les actions en nullité
- 1.3.3.5E – Le traitement du passif
- 1.3.3.6F – La cession des entreprises dans le cadre d’une procédure préalable dite prepack liquidation
- 1.3.4IV – Divergences et résistances à l’harmonisation
- 1.4Vers une nouvelle directive sur l’insolvabilité : quelle convergence au sujet des statuts des professionnels de l’insolvabilité peut être atteinte dans l’Union européenne ?
- 1.4.1I – Les avancées du droit européen de l’insolvabilité sur le statut de ses praticiens
- 1.4.1.1A – Le règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité transfrontalières et le statut des praticiens de l’insolvabilité
- 1.4.1.2B – La directive (UE) n° 2019/1023 du 20 juin 2019 sur la restructuration et l’insolvabilité et le statut des praticiens de la restructuration, de l’insolvabilité et de la remise de dettes
- 1.4.2II – Les contours du futur statut européen des praticiens de l’insolvabilité
- 1.4.1I – Les avancées du droit européen de l’insolvabilité sur le statut de ses praticiens
- 1.5La convergence des statuts des professionnels au sein de l’Union européenne : l’exemple français
- 1.6Le statut des administrateurs et mandataires judiciaires selon le droit professionnel en Allemagne
- 1.7Le droit européen de l’insolvabilité : passé, présent et avenir
- 1.7.1I – Pourquoi l’Europe doit-elle s’occuper de ce sujet ?
- 1.7.2II – Pourquoi le droit européen de l’insolvabilité a-t-il pris autant de retard ?
- 1.7.3III – Comment l’Union européenne rattrape-t-elle son retard ?
- 1.7.3.1A – Un règlement pour coordonner la loi applicable : l’émergence d’un droit international privé du traitement des difficultés des entreprises en Europe
- 1.7.3.2B – L’harmonisation des droits nationaux : de la soft law à la directive de 2019
- 1.7.3.3C – Pourquoi ce choix d’une articulation entre règlement et directive ?
- 1.7.4IV – Harmonisation : quelles leçons tirer de la première directive ?
- 1.7.5V – Quel modèle choisir pour aller plus loin dans l’harmonisation ?
- 1.7.6VI – Comment aller plus loin dans l’harmonisation au fond dans le cadre d’une prochaine directive ?
- 1.7.7VII – La question du statut des professionnels : sujet annexe ou central ?