Réforme de l'offre au public de titres financiers : impact pour les sociétés qui ne peuvent pas offrir au public leurs titres financiers
L’ordonnance n° 2019-1067 du 21 octobre 2019 portant réforme de l’offre au public de titres financiers laisse à penser, ainsi que le suggérait Lavoisier, que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »… à quelques nuances près !
On le sait, le règlement Prospectus n° 2017/1129/UE du 4 juin 2017 (dit Prospectus 3) a bouleversé la notion d’offre au public de titres financiers.
Pourtant, la définition qu’il en donne est la même que celle que le droit français recevait, et identique aussi à celle que proposaient les trois directives Prospectus (2003, 2007, 2010), savoir que constitue une offre au public de titres financiers (ou de valeurs mobilières, peu importe pour l’instant) toute « communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou souscrire ces valeurs mobilières » (art. 2, d), du règlement européen).
Mais, et là est le « bouleversement », le règlement[...]
L'accès à l'intégralité de ce document est réservé aux abonnés
V., sur le sujet, le bel article de Pietrancosta A. et Marraud des Grottes A., « La notion de “placement privé” abolie par le règlement Prospectus du 14 juin 2017 ? », BJB janv. 2018, n° 117g7, p. 60.
Ce groupe de travail était composé des membres suivants : M. Alain Pietrancosta (Paris I), président, M. Renaud Bonnet (Jones Day), Mme Claire Boiget (Amafi), M. Pierre-Yves Chabert (Cleary Gottlieb Steen & Hamilton), Mme Nadège Debeney (Jones Day / HCJP), M. Gérard Gardella (HCJP), M. Hervé Le Nabasque (Paris I), Mme Delphine Marchand-Sauri (Allen & Overy), M. Alexis Marraud des Grottes (Orrick), Mme Marie-Aude Noury ; représentants de l’AMF : M. Olivier Boulon, Mme Stéphanie Cabossioras, Mme Pauline Chadenet, M. Florian Denis, M. Louis-Charles Hevin ; représentants de la direction générale du Trésor : M. Geoffroy Cailloux, M. Mayeul Talon.
Laquelle s’est ouverte du 17 avril au 17 mai 2019.
L’article 75, II, 3°, habilitait le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance « dans un délai de 12 mois suivant la date de promulgation de la loi », à l’effet de « moderniser le régime français des offres au public de titres financiers, notamment dans l’objectif d’assurer sa cohérence avec le règlement n° 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 concernant le prospectus ».
Publié tardivement au Journal officiel, le 21 novembre 2019 seulement !
Mais l’on comprend que le « relativement » peut réserver quelques surprises.
Sont concernés (notamment) les GIE et les associations.
C. mon. fin., art. L. 211-1, II : « Les titres financiers sont :
1. Les titres de capital émis par les sociétés par actions ;
2. Les titres de créance ;
3. Les parts ou actions d’organismes de placement collectif ».
C. com., art. L. 228-1, al. 2, qui dispose : « Les valeurs mobilières sont des titres financiers au sens de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier, qui confèrent des droits identiques par catégorie. »
L’article 4, § 1, pt 44, de la directive MIF du 15 mai 2014 définit de manière plus large (semble-t-il) la notion de valeurs mobilières, comme incluant toutes « les catégories de titres négociables sur le marché des capitaux, à l’exception (seulement) des instruments de paiement ». À ce titre, les valeurs mobilières, au sens du droit européen, excluent les parts sociales (lesquelles ne sont pas négociables sur un marché de capitaux), incluent les titres financiers (au sens du droit français), mais incluent également l’ensemble des « titres négociables », ne seraient-ils pas des titres financiers au sens de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier (comme, par exemple, des titres de capital, autre que des parts sociales, émis par des entités qui ne seraient pas des sociétés par actions, ou les « certificats représentatifs » de titres de capital émis par un émetteur étranger (directive MIF, art. 4, § 1, pts 44 et 45)).
Il est douteux, par exemple, qu’une augmentation de capital qui serait réservée à un investisseur dénommé (soit un « ancien » placement privé) puisse être qualifiée d’offre au public, s’accompagnerait-elle d’une « communication » qui lui serait adressée, puisque l’article 2, d), du règlement européen exige – tout de même – que la communication litigieuse soit adressée « à des personnes » (au pluriel). V., dans le même sens, Pietrancosta A. in Études Joly Sociétés, Offre au public de titres financiers et admission aux négociations sur un marché, n° EO025, 5 sept. 2019, p. 18.
V., en ce sens, et pour le placement de ses obligations par une SARL, y compris par voie d’une offre de financement participatif, Moulin J.-M. in Études Joly Bourse, Financement participatif, n° S_EF005, n° 088 ; Poracchia D., « Le financement participatif par offre de titres financiers », BJS déc. 2014, n° 112v6, p. 742 ; François B., « Les nouveaux modes de sollicitation des investisseurs », Rev. sociétés 2019, p. 630, § 25.
Il n’était pas acquis que les SARL puissent recourir, pour le placement de leurs obligations, à une offre de financement participatif ; mais la majorité des auteurs l’admettait, sur le fondement de l’idée que l’offre de financement participatif n’étant – hier – pas une offre au public de titres financiers, rien ne s’opposait à ce que les SARL y recourent (pour le placement, du moins, de leurs obligations) : v., en ce sens, Moulin J.-M. in Études Joly Bourse, Financement participatif, n° B_EF005, n° 088 ; Poracchia D., « Le financement participatif par offre de titres financiers », BJS déc. 2014, n° 112v6, p. 742 ; François B., « Les nouveaux modes de sollicitation des investisseurs », Rev. sociétés 2019, p. 630, § 25.
Le nouvel article L. 411-2 du Code monétaire et financier dissipe l’ambiguïté qui pouvait exister à la lecture de l’ancien : l’exigence qu’ils agissent « pour compte propre » n’intéresse (et n’a toujours intéressé) que les investisseurs formant « un cercle restreint d’investisseurs », non les investisseurs qualifiés.
C. mon. fin., art. D. 411-4, retouché à la marge (pour ce qui concerne les renvois) par le décret du 28 octobre 2019, qui dispose : « le seuil mentionné au 1° de l’article L. 411-2 est de 150 ».
Le Code monétaire et financier ne définit plus ce qu’il convient d’entendre par « investisseurs qualifiés », dont la liste n’est plus établie par décret : il renvoie, tant pour la définition que pour la liste, et pour harmoniser les règles d’identification de ces investisseurs à l’échelle de l’Union, à la définition qu’en donne le règlement européen (art. 2, pt e)). En conséquence, l’article 10, 1°, du décret du 28 octobre 2019 abroge l’article D. 411-1 du Code monétaire et financier.
V. infra, II, B.
Depuis la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite Sapin 2.
P. 9 de l’exposé des motifs.
D. n° 2019-1097, 28 oct. 2019, art. 5.
V., en ce sens, l’exposé des motifs de la consultation publique, p. 9, al. 4, et les dispenses de prospectus, telles qu’elles résultent de l’article 1er, § 4, du règlement européen.
V., en ce sens, l’exposé des motifs de la consultation publique, ainsi que le nouveau règlement général de l’AMF (réd. A., 7 nov. 2019), lequel n’évoque à aucun endroit, à première lecture du moins, l’opération que vise l’article L. 411-2, 3°).
Règl. (UE) n° 2017/1129 du PE et du Cons., 14 juin 2017, art. 21, § 2, a).
Le même dispositif bénéficie, en vertu du même article 1er, § 4, du règlement :
f) Aux offres de valeurs mobilières intervenant dans le cadre d’une offre publique d’échange « pour autant qu’un document contenant des informations décrivant la transaction et son incidence sur l’émetteur soit mis à la disposition du public conformément aux modalités prévues à l’article 21, paragraphe 2 » du règlement européen ;
h) À l’offre de paiement d’un dividende en actions de même catégorie que celles donnant droit à ces dividendes, pour autant qu’un document contenant des informations sur le nombre et la nature des actions ainsi que sur les raisons et les modalités de l’offre soit mis à la disposition des actionnaires ;
i) À l’offre de valeurs mobilières appelées à être attribuées aux administrateurs ou salariés anciens ou existants par leur employeur ou par une entreprise liée, pour autant qu’un document contenant des informations sur le nombre et la nature des valeurs mobilières ainsi que sur les raisons et les modalités de l’offre ou de l’attribution soit mis à leur disposition.
Pour ce qui concerne les fusions, le « nouveau » règlement général de l’AMF, tel que modifié par l’arrêté du 7 novembre 2019, ne dit mot du contenu que devra avoir ce document. Il se borne à renvoyer à une instruction de l’AMF (AMF, règl. gén., art. 212-4, nouv.), laquelle « précise[ra], le cas échéant, la nature des informations mentionnées à l’article 1er, paragraphes 4 et 5, du règlement [européen] (…) », lequel vise – notamment – les fusions. Toujours à propos des fusions, l’article 212-34 nouveau du règlement général de l’AMF impose, dans son champ d’application (l’une des sociétés participant à l’opération est « cotée »), de transmettre à l’AMF un document simplifié d’information (le document E), 45 jours au moins (désormais) avant la réalisation de l’opération. Son contenu devrait, lui aussi, être revisité par une instruction, annoncée par l’article 212-34 nouveau du règlement général.
Les SA et les SCA accèdent, bien entendu, à toutes les dispenses de prospectus qui accompagnent les opérations que la loi autorise les sociétés à réaliser alors pourtant que ces sociétés (ces dernières) ne peuvent pas offrir, en principe, leurs titres ou leurs parts au public.
Ce que confirme l’article D. 411-2 nouveau du Code monétaire et financier (réd. D. n° 2019-1097, 28 oct. 2019).
AMF, règl. gén., art. 211-3 nouv. réd. A., 7 nov. 2019.
C. mon. fin., art. L. 412-1, IV, al. 1er, dernière phrase. Ce même mécanisme s’applique aux opérations dites « de petite taille ».
AMF, règl. gén., art. 217-1, lequel est complété par un dernier alinéa, allant dans le sens indiqué au texte, dû à l’arrêté du 7 novembre 2019.
Puisque ces opérations « ne constituaient pas des offres au public », par ordre de l’ancien article L. 411-2 du Code monétaire et financier.
Ces offres, quoiqu’elles soient qualifiées aujourd’hui d’offres au public, sont expressément dispensées de prospectus par l’article 1er, § 4, pts c) et d), du règlement européen. Pour mémoire, elles constituent des offres pour lesquelles le « ticket d’entrée » est élevé, soit : une offre de valeurs mobilières dont la valeur nominale unitaire s’élève au moins à 100 000 € ou à la contre-valeur de ce montant en devises (ce que confirment le nouvel article D. 411-2-1, III, du Code monétaire et financier et le nouvel article 211-2, III, du règlement général de l’AMF) ; ou une offre de valeurs mobilières adressée à des investisseurs qui acquièrent ces valeurs pour un montant total d’au moins 100 000 € ou à la contre-valeur de ce montant en devises par investisseur et par offre distincte (ce que confirment aujourd’hui le nouvel article D. 411-2-1, II, du Code monétaire et financière et, ensemble, le nouvel article 211-2, II, du règlement général de l’AMF).
Les offres dites de « petite taille » (qui ne répondent pas, par construction, aux critères des « placements privés », des opérations wholesale ou des financements participatifs) sont des offres dont le montant total, en France et dans l’Union européenne, calculé sur une période 12 mois suivant la date de la première offre, est inférieur à 8 M€ (AMF, règl. gén., art. 211-2, I et IV, nouv. réd. A., 7 nov. 2019 et, désormais, C. mon. fin., art. D. 411-2-1, I nouv. réd. D. n° 2019-1097, 28 oct. 2019).
Sous l’empire du droit antérieur, elles étaient réputées ne pas constituer des offres au public mais étaient (néanmoins) réservées aux émetteurs habilités à offrir leurs titres au public (comme les offres wholesale, en principe). Elles constituent désormais des offres au public, tout en restant réservées en principe aux émetteurs habilités à les adresser. Le règlement européen (Prospectus 3) autorisait les États membres à dispenser ces offres de prospectus (art. 3, § 2), tout en interdisant qu’elles le soient si leur montant total était inférieur à 1 M€ (art. 1er, § 3). Sans distinguer entre ces seuils (de 8 ou 1 M€), le droit français a fait le choix de dispenser ces offres (inférieures à 8 M€) de prospectus, dès l’instant qu’elles portent sur des titres non cotés, tout ou les soumettant à un régime simplifié d’information supposant que soit établi un document d’information synthétique (DIS), lequel n’est pas soumis à la revue préalable de l’AMF, mais doit cependant satisfaire aux prescriptions posées par l’instruction AMF n° 2018-07 du 19 juillet 2018.
Elles sont aujourd’hui isolées, avec les opérations wholesale (et parce qu’elles constituent toutes deux des « offres définies par rapport à des seuils »), au texte de l’article L. 411-2-1 du Code monétaire et financier, ce qui facilite les renvois que font à cet article d’autres articles du Code de commerce ou du Code monétaire et financier (v., pour ex., à propos de la désignation du représentant de la masse des obligataires, C. com., art. L. 228-51).
Ce dispositif permissif profitait principalement, mais pas exclusivement, aux SAS que l’on qualifie de « Manco(s) » : le terme, bien connu de la pratique, fut utilisé dans les travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi PACTE, et est directement à l’origine de la « portion de phrase » signalée. Une « Manco » est une société, généralement constituée sous forme d’une SAS, et qui a pour objet de recueillir, à titre de véhicule d’investissement, les souscriptions émanées des « managers » (d’où son nom) d’une société ou d’un groupe.
Ce qu’il… n’a pas encore fait : le nouveau règlement général de l’AMF, tel que modifié par l’arrêté du 7 novembre 2019, ne dit mot en effet du contenu que devra avoir ce document. Il se borne à renvoyer à une future instruction de l’AMF (AMF, règl. gén., art. 212-4 nouv.), laquelle « précise[ra], le cas échéant, la nature des informations mentionnées à l’article 1er, paragraphes 4 et 5 du règlement européen (…) », lequel vise notamment, en son i), les offres sous étude, qui ne peuvent donc toujours pas être mises en œuvre à l’heure où ces lignes sont écrites, même si cela ne saurait tarder !
La version française a en effet traduit le terme directors par « administrateurs », alors qu’il renvoie plus sûrement, lorsqu’il n’est pas inclu dans l’expression Board of directors, à la notion de « dirigeants », ainsi que le faisait la loi PACTE : « Securities offered, allotted or to be allotted to existing or former directors or employees by their employer or by an affiliated undertaking provided that a document is made available containing information on the number and nature of the securities and the reasons for and details of the offer or allotment ».
Testez gratuitement Lextenso !
Plan
- 1Réforme de l’offre au public de titres financiers : impact pour les sociétés qui ne peuvent pas offrir au public leurs titres financiers
- 1.1I – L’interdiction reste la règle de principe
- 1.2II – L’autorisation donnée, par exception, de faire certaines offres au public