Les conditions de la soumission de l'apport partiel d'actif au régime juridique des scissions
Un apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions entraîne une transmission universelle de patrimoine « pour la branche d’activité apportée » même si celle-ci n’est pas constitutive d’une branche complète d’activité au sens du droit fiscal.
1. Sur cette question, complexe et débattue, toutes les sensibilités se sont exprimées en doctrine, laquelle confond parfois la possibilité de soumettre un apport partiel d’actif au régime des scissions (« le droit d’option ») et l’effet de transmission universelle qui peut en résulter.
2. La question de la soumission de l’apport au régime des scissions. Selon certains, un apport ne pourrait être soumis au régime des scissions (et entraîner, par suite, une transmission « universelle » de patrimoine) que pour autant qu’il porte sur une branche d’activité, voire sur une branche complète et autonome d’activité1.
Cette opinion apparaît excessive. Elle ajoute au texte de l’article L. 236-22 du Code de commerce, lequel se contente d’énoncer qu’une société qui apporte « une partie de son actif » à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d’un commun accord de soumettre l’opération aux dispositions des articles L. 236-16 à L. 236-21, sans exiger que cet apport porte sur une branche d’activité et, encore moins, sur une branche complète et autonome[...]
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V. en ce sens, outre l’opinion assez ancienne de J. Hémard, F. Terré et P. Mabilat dans le Traité théorique et pratique des sociétés commerciales, celle de M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 2020, LexisNexis, n° 2147, qui vont jusqu’à écrire qu’il n’y a d’apport partiel d’actif que pour autant qu’il porte sur une branche complète et autonome d’activité.
COB, recomm., bull. n° 95, juill./août 1977, p. 3, laquelle invitait les sociétés « cotées » à soumettre leurs apports partiels d’actifs au régime des scissions « lorsqu’il[s] porte[nt] sur l’essentiel ou sur une partie très importante de l’activité et des biens de la société apporteuse ».
En ce sens, ANSA, CJ, avis n° 3230, 12 mars 2003, « Apport partiel d’actif soumis au régime des scissions : transmission limitée à l’actif ».
« Sauf fraude », car il peut être tentant de soumettre un apport d’actif au régime juridique des scissions « à seule fin » de pouvoir voter sur la question de l’approbation de la valeur de cet apport à l’occasion de la tenue de l’assemblée générale de la société bénéficiaire de l’apport. Ni le droit des fusions, ni celui des scissions ne retire son droit de vote sur ce point à la société apporteuse, si elle est associée de la société bénéficiaire de « l’apport » ; alors que, si l’opération s’effectue sous le régime de droit commun d’une augmentation de capital par apport en nature, l’article L. 225-147, alinéa 2, du Code de commerce le lui retire expressément (en renvoyant à C. com., art. L. 225-10).
V. clairement en ce sens, outre l’avis de l’ANSA (n° 3230, 12 mars 2003), J.-J. Daigre, note sous Cass. 2e civ., 12 juill. 2001, n° 98-10444 (Bull. civ. II, n° 137) : JCP E 2003, II 281 ; J. P. Le Gall, « Apport partiel d’actif et transmission universelle de patrimoine », in Prospectives du droit économique, Dialogues avec Michel Jeantin, 1999, Dalloz, p. 259 et s. ; ou S. Hagège et S. Kondserovsky, JCl. Commercial, fasc. 1604, v° Apport partiel d’actif et régime des scissions, n° 21.
Sous le bénéfice des exceptions prévues par le droit commun des fusions.
Puisque l’article L. 236-22 du Code de commerce y renvoie.
V. sur le mécanisme de la solidarité, lequel soulève quelques difficultés en cas d’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions : H. Le Nabasque, « La solidarité dans les opérations d’apport partiel d’actif soumises au régime des scissions », in Prospectives du droit économique, Dialogues avec Michel Jeantin, 1999, Dalloz, p. 271 et s.
V., en ce sens, M.-L. Coquelet, « La transmission universelle de patrimoine en cas d’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions », Actes prat. ing. sociétaire 2007, p. 18 ; et, mais de manière plus ambiguë, P. Le Cannu et B. Dondero, qui se rallient à cette opinion au n° 1663 de leur ouvrage (Droit des sociétés, 2019, Précis Domat), mais la tempèrent au n° 1664 en évoquant la notion de « branche d’activité », qu’ils opposent alors à celle de « branche complète et autonome d’activité » ; et, avec la même ambiguïté, Mémento Lefebvre Sociétés commerciales, 2022, n° 83620, qui usent indifféremment des deux expressions.
PE et Cons. CE, dir. n° 90/434/CEE, 23 juill. 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents (art. 2), remplacée par la directive n° 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents, ainsi qu’au transfert du siège statutaire d’une SE ou d’une SCE d’un État membre à un autre.
En ce sens, P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, 2019, Précis Domat, nos 1663 et 1664.
CJCE, 13 déc. 1991, n° C-164/90 : BJS févr. 1992, n° 61, p. 197, note P. Derouin. Cet arrêt est toutefois, et encore aujourd’hui, abusivement cité par certains auteurs, hostiles à l’idée qu’une participation puisse constituer une branche d’activité, parce que des titres ne sauraient, selon eux, constituer une « activité ». Au vrai, l’arrêt de la CJCE fut rendu sur le fondement de la directive européenne n° 69/335/CEE du 17 juillet 1969 « concernant les impôts directs frappant les rassemblements de capitaux », modifiée depuis lors. Or cette directive opposait (i) l’apport d’une branche complète d’activité composée d’actifs et/ou de passifs « industriels et commerciaux » (art. 7, § 1, sous b)) et (ii) les apports de titres (art. 7, § 1, sous b) bis). Aussi bien la CJCE s’est-elle contentée, dans cet arrêt du 13 décembre 1991, de faire valoir cette distinction pour refuser d’appliquer à l’apport d’une participation, aurait-il porté sur 100 % du capital de la société « apportée », le régime des apports d’actifs industriels et commerciaux (c’est-à-dire celui de l’article 7, § 1, sous b)).
Plus précisément, l’article 210 B du CGI « assimile » à une branche complète d’activité :
- les apports portant sur une participation de plus de 50 % du capital de la société dont les titres sont apportés ou, si un tel pourcentage du capital est déjà détenu par la société bénéficiaire, les apports venant renforcer cette détention, sous réserve que la société apporteuse ne reçoive pas une soulte supérieure à 10 % de la valeur nominale des parts ou des actions attribuées ou que la soulte n’excède pas la plus-value réalisée ;
- les apports de participation conférant à la société bénéficiaire des apports la détention directe de plus de 30 % des droits de vote de la société dont les titres sont apportés lorsqu’aucun autre associé ne détient, directement ou indirectement, une fraction des droits de vote supérieure ;
- les apports de participation conférant à la société bénéficiaire des apports, qui détient d’ores et déjà plus de 30 % des droits de vote de la société dont les titres sont apportés, la fraction des droits de vote la plus élevée dans la société (CGI, art. 210 B et CGI, art. 38, 7 bis, al. 4).
Cité par J. P. Le Gall, « Apport partiel d’actif et transmission universelle de patrimoine », in Prospectives du droit économique. Dialogues avec Michel Jeantin, 1999, Dalloz, p. 259 et s.
J. P. Le Gall, « Apport partiel d’actif et transmission universelle de patrimoine », in Prospectives du droit économique. Dialogues avec Michel Jeantin, 1999, Dalloz, p. 259 et s.
V. dans le même sens, not., S. Hagège et S. Kondserovsky, JCl. Commercial, fasc. 1604, v° Apport partiel d’actif et régime des scissions, n° 58.
V. not. P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, 2019, Précis Domat, à propos de l’apport d’un fonds de commerce sans les marques de fabrique (Cass. com., 13 mai 1980, n° 78-15666 : Bull. civ. IV, n° 200) ; l’apport du seul droit au bail (Cass. com., 30 oct. 1989, n° 87-19766 : Bull. civ. IV, n° 264 ; BJS déc. 1989, n° 351, p. 1005, note P. D.) ; l’apport d’une participation représentant 100 % du capital d’une filiale (CJCE, 13 déc. 1991, n° C-164/90 : BJS févr. 1992, n° 61, p. 197, note P. Derouin) ; ou, pour l’apport d’un ensemble de placements financiers et de participations, mais – toujours – pour les besoins de l’application de l’article 210 B du CGI, Rép. min. n° 29431 : JOAN, 18 mars 1996, p. 1487.
V. not., les arrêts cités à la note précédente.
L’attendu est classique est repris dans de nombreux arrêts, comme, pour exemple : Cass. com., 5 mars 1991, n° 88-19629 : Bull. civ. IV, n° 100 – ou Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-16339.
ANSA, CJ, avis n° 3230, 12 mars 2003, « Apport partiel d’actif soumis au régime des scissions : transfert limité à l’actif ».
V. en ce sens, J.-J. Daigre, « L’apport-scission doit-il juridiquement porter sur une branche d’activité ? », JCP E 2003, II 281.
V. en ce sens, J.-J. Daigre, JCP E 2003, II 281 ; H. Hovasse, Dr. sociétés 2004, comm. 219 et H. Hovasse, « Apport partiel d’actif soumis au régime des scissions et étendue de l’actif soumis », Dr. sociétés 2008, comm. 256 ; les auteurs du Lamy Sociétés commerciales, 2021, n° 2239 ; et, semble-t-il, l’ANSA, dont la position manque toutefois de clarté sur ce point : ANSA, CJ, avis n° 3230, 12 mars 2003.
Néanmoins, il ressort clairement du rapport n° 3787 fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale par M. Étienne Blanc que ce nouvel article L. 236-6-1 s’imposait pour permettre à toutes les sociétés, quelle que soit leur forme juridique, de soumettre « la transmission d’un ensemble d’éléments d’actif et de passif » (mais pas celle d’un actif isolé) au régime de la dévolution universelle de patrimoine, à l’effet d’alléger le formalisme applicable à l’opération. On y lit en effet (p. 92) que « l’absence actuelle de dispositions législatives expresses reconnaissant la possibilité d’apports partiels d’actifs entre sociétés de forme juridique différente crée une insécurité juridique. En effet, cet état du droit contraint les acteurs économiques à soumettre au régime des apports en nature ces apports partiels d’actifs pourtant fréquents entre sociétés appartenant à un groupe soumis à des impératifs de restructuration. Or le régime des apports en nature, conçu pour des apports isolés de biens, est plus complexe, moins protecteur des droits des actionnaires et des créanciers et peu adapté à la transmission d’un ensemble d’éléments d’actif et de passif » (mentionné en italique par nos soins).
Cass. com., 16 févr. 1988, n° 86-19645 : Bull. civ. IV, n° 69.
Toutes directives aujourd’hui consolidées dans la directive (UE) n° 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés.
Ce qui peut recouvrir, à la lettre, l’apport partiel d’actif.
Qui dispose que « la société absorbée cesse d’exister ».
De la même façon, l’article 25 de la directive n° 82/891/CEE sur les scissions internes dispose que « lorsque la législation d’un État membre permet une des opérations visées à l’article 1er sans que la société scindée cesse d’exister [soit de nouveau, l’apport partiel d’actif], les chapitres Ier, II et III sont applicables, à l’exception de l’article 17 paragraphe 1 point c) ».
V. sur ce point, la note 24 du présent article.
V. en ce sens, S. Hagège et S. Kondserovsky, JCl. Commercial, fasc. 1604, v° Apport partiel d’actif et régime des scissions, n° 58, qui écrivent que « l’apport doit porter sur une pluralité d’éléments présentant un minimum de lien entre eux : c’est la notion de “branche d’activité” ».
Sur ce point, v. supra, n° 6.
V., en ce sens, Mémento Lefebvre sociétés commerciales, 2022, n° 83620.
Cass. com., 13 mai 1980, n° 78-15666, statuant en matière de droits d’enregistrement.
Cass. 2e civ., 12 juill. 2001, n° 98-10444 : Bull. civ. II, n° 137.
Ce qui se discute tout autant que lorsque la Cour de cassation évoque la notion de « branche d’activité » : constat ? ou condition ?
V. supra, n° 2.
V. en ce sens, notamment, A. Charvériat et a., Mémento Sociétés commerciales, 2022, Francis Lefebvre, n° 83841.
V. pour exemple, P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, Précis Domas, 2019, n° 1663 et 1664.
Cette position-recommandation n° 2015-05 du 15 juin 2015 invite les sociétés cotées à consulter préalablement leur assemblée générale ordinaire avant que de céder (ou de promettre de céder), en une ou plusieurs fois, un ou plusieurs actifs représentant plus de la moitié des actifs sociaux. Ce seuil est atteint lorsque deux des cinq ratios suivants atteignent ou dépassent 50 % en moyenne sur les deux derniers exercices :
- chiffre d’affaires généré par les actifs cédés rapporté au chiffre d’affaires consolidé ;
- prix de cession des actifs cédés rapporté à la capitalisation boursière du groupe ;
- valeur nette des actifs cédés rapportée au total de bilan consolidé ;
- résultat coûtant avant impôts généré par les actifs cédés rapporté au résultat courant consolidé avant impôts ;
- effectifs salariés rattachés à l’activité cédée, rapportés aux effectifs mondiaux du groupe.
COB, bull. juill./août 1977, annexe 9.
CA Paris, 5-8, 4 févr. 2014, n° 12/16545 : BJS juill. 2014, n° BJS112c9, note B. Dondero.
En l’espèce, la Cour estimera cependant que le « protocole » n’avait pas été conclu intuitu personae au motif qu’il n’en ressortait pas qu’il aurait été fondé sur la personnalité « irréductible et décisive de la société cocontractante ».
Une participation peut donc bien constituer « par assimilation » une branche d’activité, en ce compris en droit des sociétés, même si la société qui la détient n’exploite pas elle-même cette « branche d’activité » (ce pourquoi l’arrêt fut critiqué, à tort selon nous, par l’un de ses annotateurs).
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- 1À propos des apports partiels d’actifs soumis au régime des scissions