Language of document : ECLI:EU:C:2022:426

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

2 juin 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Mesures relatives au droit des successions – Règlement (UE) no 650/2012 – Articles 13 et 28 – Validité de la déclaration concernant la renonciation à la succession – Héritier ayant sa résidence dans un État membre autre que celui de la juridiction compétente pour statuer sur la succession – Déclaration faite devant la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de cet héritier »

Dans l’affaire C‑617/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hanseatisches Oberlandesgericht in Bremen (tribunal régional supérieur de Brême, Allemagne), par décision du 11 novembre 2020, parvenue à la Cour le 20 novembre 2020, dans la procédure engagée par

T.N.,

N.N.

en présence de :

E.G.,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. I. Jarukaitis, M. Ilešič (rapporteur), D. Gratsias et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Greco, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, initialement par Mme S. Grünheid ainsi que par MM. W. Wils et M. Wilderspin, puis par Mme S. Grünheid et M. W. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 janvier 2022,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 13 et 28 du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (JO 2012, L 201, p. 107).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par T.N. et N.N. au sujet de la demande de délivrance d’un certificat collectif d’hérédité relatif à la succession de W.N., mari de E.G. et oncle de T.N. et N.N. (ci-après les « neveux du défunt »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 7, 32 et 67 du règlement no 650/2012 énoncent :

« (7)      Il y a lieu de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation de personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières. Dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession. Les droits des héritiers et légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers de la succession doivent être garantis de manière effective.

[...]

(32)      Afin de faciliter la vie des héritiers et légataires résidant habituellement dans un autre État membre que celui dans lequel la succession est ou sera réglée, le présent règlement devrait permettre à toute personne ayant le droit, en vertu de la loi applicable à la succession, de faire des déclarations relatives à l’acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire ou à la renonciation à ceux-ci, ou une déclaration visant à limiter sa responsabilité à l’égard des dettes de la succession, de faire ces déclarations sous la forme prévue par la loi de l’État membre de sa résidence habituelle devant les juridictions dudit État membre. Cette disposition ne devrait pas empêcher de faire de telles déclarations devant d’autres autorités de cet État membre qui sont compétentes pour recevoir les déclarations en vertu du droit national. Les personnes qui choisissent de se prévaloir de la possibilité de faire une déclaration dans l’État membre de leur résidence habituelle devraient informer elles-mêmes la juridiction ou l’autorité qui est ou sera chargée de la succession de l’existence de telles déclarations dans le délai éventuellement fixé par la loi applicable à la succession.

[...]

(67)      Afin de régler de manière rapide, aisée et efficace une succession ayant une incidence transfrontière au sein de l’Union, les héritiers, les légataires, les exécuteurs testamentaires ou les administrateurs de la succession devraient être à même de prouver facilement leur statut et/ou leurs droits et pouvoirs dans un autre État membre, par exemple dans un État membre où se trouvent des biens successoraux. [...] »

4        Le chapitre II de ce règlement, intitulé « Compétence », comprend notamment les articles 4 et 13 de celui-ci.

5        L’article 4 dudit règlement, intitulé « Compétence générale », prévoit :

« Sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

6        L’article 13 du même règlement, intitulé « Acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire, ou renonciation à ceux-ci », dispose :

« Outre la juridiction compétente pour statuer sur la succession au titre du présent règlement, les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession, peut faire une déclaration devant une juridiction concernant l’acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire ou la renonciation à ceux-ci, ou une déclaration visant à limiter la responsabilité de la personne concernée à l’égard des dettes de la succession, sont compétentes pour recevoir ce type de déclarations lorsque, en vertu de la loi de cet État membre, ces déclarations peuvent être faites devant une juridiction. »

7        Le chapitre III du règlement no 650/2012, intitulé « Loi applicable », comporte notamment les articles 21, 23 et 28 de celui-ci.

8        L’article 21 de ce règlement, intitulé « Règle générale », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

9        L’article 23 dudit règlement, intitulé « Portée de la loi applicable », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      La loi désignée en vertu de l’article 21 ou 22 régit l’ensemble d’une succession.

2.      Cette loi régit notamment :

[...]

e)      le transfert des biens, des droits et des obligations composant la succession aux héritiers et, selon le cas, aux légataires, y compris les conditions et les effets de l’acceptation de la succession ou du legs ou de la renonciation à ceux-ci ;

[...] »

10      L’article 28 du même règlement, intitulé « Validité quant à la forme de la déclaration concernant l’acceptation ou la renonciation », dispose :

« Une déclaration concernant l’acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire ou la renonciation à ceux-ci, ou une déclaration visant à limiter la responsabilité de la personne qui fait la déclaration est valable quant à la forme lorsqu’elle respecte les exigences :

a)      de la loi applicable à la succession en vertu de l’article 21 ou 22 ; ou

b)      de la loi de l’État dans lequel la personne qui fait la déclaration a sa résidence habituelle. »

 Le droit allemand

11      L’article 1942 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « BGB »), intitulé « Dévolution et répudiation de la succession », dispose :

« 1.      La succession se transmet aux héritiers appelés sous réserve de leur droit de la répudier (dévolution de la succession).

[...] »

12      Aux termes de l’article 1943 du BGB, intitulé « Acceptation et répudiation de la succession » :

« L’héritier ne peut plus répudier la succession lorsqu’il l’a acceptée ou lorsque le délai fixé pour la répudiation s’est écoulé ; à l’expiration de ce délai, la succession est considérée comme acceptée. »

13      L’article 1944 du BGB, intitulé « Délai de la répudiation », prévoit :

« 1.      La répudiation ne peut avoir lieu que dans un délai de six semaines.

2.      Ce délai commence à courir au moment où l’héritier a connaissance de la dévolution et du fondement de sa vocation successorale. [...]

3.      Le délai est étendu à six mois lorsque le défunt avait son dernier domicile à l’étranger ou lorsque l’héritier a sa résidence à l’étranger au moment où le délai commence à courir. »

14      L’article 1945 du BGB, intitulé « Forme de la répudiation », énonce :

« La répudiation se fait par déclaration au tribunal de la succession ; la déclaration doit être constatée par procès-verbal du tribunal de la succession ou certifiée officiellement.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      W.N., un ressortissant néerlandais, dont la dernière résidence habituelle était située en Allemagne, est décédé le 21 mai 2018 à Brême (Allemagne).

16      Le 21 janvier 2019, E.G., qui était l’épouse de W.N. et qui réside en Allemagne, a demandé, devant l’Amtsgericht Bremen (tribunal de district de Brême, Allemagne), la juridiction compétente pour statuer sur la succession de W.N., la délivrance d’un certificat d’hérédité, d’après lequel, par voie de succession ab intestat, elle aurait hérité des trois quarts de la succession de W.N., et les neveux du défunt, qui résident tous deux aux Pays-Bas, auraient hérité chacun d’un huitième de cette succession.

17      Par courrier du 19 juin 2019, cette juridiction a informé les neveux du défunt qu’une procédure de succession ab intestat était en cours et leur a demandé de lui communiquer certains documents aux fins du règlement de la succession.

18      Le 13 septembre 2019, les neveux du défunt ont fait une déclaration concernant la renonciation à la succession du défunt devant le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas), laquelle a été inscrite dans le registre des successions tenu par cette juridiction le 30 septembre 2019.

19      Par lettre du 22 novembre 2019, l’Amtsgericht Bremen (tribunal de district de Brême) a communiqué la demande du certificat d’hérédité aux neveux du défunt et les a invités à présenter leurs observations.

20      Par courrier du 13 décembre 2019, rédigé en langue néerlandaise, les neveux du défunt ont communiqué à l’Amtsgericht Bremen (tribunal de district de Brême) une copie des actes établis par le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye) à la suite de leurs déclarations concernant la renonciation à la succession du défunt. Par courrier du 3 janvier 2020, l’Amtsgericht Bremen (tribunal de district de Brême) a indiqué aux neveux du défunt que, à défaut de traduction en langue allemande, leur courrier, en ce compris les actes communiqués, n’avait pu être pris en compte.

21      Par courrier du 15 janvier 2020, rédigé en langue allemande, N.N. a informé l’Amtsgericht Bremen (tribunal de district de Brême) que son frère et lui avaient renoncé à la succession du défunt, que, conformément au droit de l’Union, la déclaration afférente à cette renonciation avait été enregistrée en langue néerlandaise par les autorités judiciaires compétentes et que, partant, aucune traduction en langue allemande des documents en cause n’était nécessaire. En réponse, cette juridiction a rappelé la nécessité de traduire les actes pertinents en cause ainsi que de respecter les délais impartis pour renoncer à la succession.

22      Par ordonnance du 27 février 2020, l’Amtsgericht Bremen (tribunal de district de Brême) a établi les faits nécessaires à la délivrance du certificat d’hérédité, conformément à la demande de E.G., et a jugé que les neveux du défunt étaient considérés comme ayant accepté la succession.

23      Ces derniers ont formé un recours contre cette ordonnance et ont demandé une prorogation de délai pour la production d’éléments de preuve supplémentaires. Le 30 juillet 2020, ils ont communiqué à l’Amtsgericht Bremen (tribunal de district de Brême) une copie couleur ainsi qu’une traduction en langue allemande des actes établis par le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye). L’Amtsgericht Bremen (tribunal de district de Brême) leur ayant opposé l’absence de communication des originaux de ces actes, ceux-ci lui ont été adressés le 17 août 2020.

24      Par ordonnance du 2 septembre 2020, l’Amtsgericht Bremen (tribunal de district de Brême) a rejeté le recours et a renvoyé l’affaire à la juridiction de renvoi, le Hanseatisches Oberlandesgericht in Bremen (tribunal régional supérieur de Brême, Allemagne), en constatant que, les neveux du défunt n’ayant pas renoncé à la succession du défunt dans le délai imparti, ils étaient considérés comme ayant accepté cette succession. Pour que la déclaration concernant la renonciation à la succession soit valable, il ne suffirait pas que la juridiction allemande compétente soit simplement informée de cette déclaration faite devant la juridiction néerlandaise en cause, ni qu’elle soit destinataire d’une copie des actes pertinents, mais il serait requis qu’elle dispose des actes originaux pertinents. Or, ceux-ci ne lui seraient parvenus qu’après l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 1944, paragraphe 3, du BGB.

25      La juridiction de renvoi se demande, dans le cas où l’héritier fait une déclaration concernant la renonciation à la succession devant la juridiction compétente de son lieu de résidence habituelle, conformément aux articles 13 et 28 du règlement no 650/2012, quelles sont les conditions requises pour que soit réputée établie en temps utile cette déclaration qui, en vertu de la loi applicable à la succession, doit être faite dans un certain délai devant la juridiction compétente pour statuer sur la succession.

26      La juridiction de renvoi relève, à cet égard, l’existence, en Allemagne, de divergences doctrinales et jurisprudentielles quant à la validité de la déclaration concernant la renonciation à la succession faite devant une juridiction d’un État membre autre que celle qui est en principe compétente pour statuer sur la succession. Selon un premier courant doctrinal et jurisprudentiel, lequel serait majoritaire, la validité d’une telle déclaration devant la juridiction compétente pour statuer sur la succession est acquise du simple fait qu’elle est faite devant la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de l’héritier.

27      Selon un second courant doctrinal et jurisprudentiel, la déclaration concernant la renonciation à la succession ne serait valable que si elle est transmise en bonne et due forme à la juridiction compétente pour statuer sur la succession ou, en tout état de cause, portée à la connaissance de cette dernière. À cet égard, il ressortirait du considérant 32 du règlement no 650/2012 que, pour le législateur de l’Union, une telle déclaration ne peut produire ses effets qu’après avoir été portée à la connaissance de cette juridiction. Pour autant, la juridiction de renvoi précise que l’article 13 du règlement no 650/2012, contrairement au droit allemand, ne prévoit pas d’obligation pour la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de l’héritier de porter la déclaration concernant la renonciation à la succession faite devant elle à la connaissance de la juridiction compétente pour statuer sur la succession.

28      La juridiction de renvoi indique que, dans l’affaire au principal, si le courant visé au point 26 du présent arrêt était suivi, la déclaration concernant la renonciation à la succession en cause serait considérée comme valable du jour où elle a été faite par les neveux du défunt devant le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye), soit le 13 septembre 2019. Dès lors, dans cette hypothèse, le délai de six mois prévu à l’article 1944, paragraphe 3, du BGB, pour renoncer à la succession, lequel commence à courir à compter de la date à laquelle l’héritier prend connaissance de la dévolution successorale, aurait été respecté par les neveux du défunt.

29      Selon l’autre courant exposé au point 27 du présent arrêt, la validité de la déclaration concernant la renonciation à la succession en cause pourrait dépendre de la date à laquelle la juridiction compétente pour statuer sur la succession a pris connaissance de cette déclaration. Se poserait toutefois la question des conditions de forme auxquelles est subordonnée la validité d’une telle déclaration, et notamment celle de savoir s’il suffit d’informer la juridiction compétente pour statuer sur la succession de l’existence d’une telle déclaration, de lui transmettre des copies des actes pertinents ou de lui communiquer des informations rédigées dans la langue de cette déclaration, ou s’il convient au contraire de transmettre à cette juridiction les originaux des actes relatifs à la renonciation établis par la juridiction d’un autre État membre ainsi qu’une traduction certifiée dans la langue de la juridiction compétente pour statuer sur la succession.

30      Dans ces conditions, le Hanseatisches Oberlandesgericht in Bremen (tribunal régional supérieur de Brême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La déclaration concernant la renonciation faite par un héritier devant la juridiction de sa résidence habituelle dans un État membre, dans le respect des exigences de forme applicables devant cette juridiction, remplace-t-elle la déclaration concernant la renonciation qui doit être faite devant la juridiction d’un autre État membre, compétente pour statuer sur la succession à cause de mort, de telle sorte que la validité de cette déclaration est réputée acquise à la date à laquelle elle a été faite (substitution) ?

2)      Dans le cas où la première question appellerait une réponse négative :

L’héritier renonçant qui, dans le respect des exigences de forme, fait une déclaration concernant la renonciation devant la juridiction de sa résidence habituelle doit-il, en outre, pour que celle–ci soit valable, en informer la juridiction compétente pour statuer sur la succession à cause de mort ?

3)      Dans le cas où la première question appellerait une réponse négative et la deuxième question une réponse affirmative :

a)      Doit-on s’adresser à la juridiction compétente pour statuer sur la succession à cause de mort dans la langue du for pour que la déclaration concernant la renonciation soit valable, notamment au regard du respect des délais impartis pour renoncer à la succession dans son ressort ?

b)      Faut-il que les originaux ainsi qu’une traduction des actes relatifs à la renonciation délivrés par la juridiction de la résidence habituelle de l’héritier renonçant soient remis à la juridiction compétente pour statuer sur la succession à cause de mort pour que la déclaration concernant la renonciation soit valable, notamment au regard du respect des délais impartis pour renoncer à la succession dans son ressort ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

31      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 26 octobre 2021, PL Holdings, C‑109/20, EU:C:2021:875, point 34 et jurisprudence citée).

32      Le présent renvoi préjudiciel porte sur les conditions requises pour qu’une déclaration concernant la renonciation à la succession, au sens des articles 13 et 28 du règlement no 650/2012, faite devant la juridiction de l’État de la résidence habituelle de l’héritier renonçant soit considérée comme valable. À cet égard, la juridiction de renvoi se pose notamment la question de savoir si et, le cas échéant, quand et comment une telle déclaration doit être portée à la connaissance de la juridiction compétente pour statuer sur la succession.

33      Il ressort de la décision de renvoi que les neveux du défunt ont déclaré, le 13 septembre 2019, renoncer à la succession du défunt devant une juridiction de l’État membre de leur résidence habituelle, à savoir le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas). Le 13 décembre 2019, ils ont informé la juridiction allemande compétente pour statuer sur la succession, par courrier rédigé en langue néerlandaise, de l’existence de cette déclaration, en joignant une copie des actes établis par la juridiction néerlandaise. Le 15 janvier 2020, ils ont à nouveau informé la juridiction allemande, mais par courrier rédigé en langue allemande, de l’existence de ladite déclaration. La traduction en langue allemande et les originaux des actes établis par la juridiction néerlandaise ne seraient, en revanche, parvenus à la juridiction allemande que le 17 août 2020, soit postérieurement à l’expiration du délai imparti prévu par le droit applicable à la succession.

34      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 13 et 28 du règlement no 650/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’une déclaration concernant la renonciation à la succession faite par un héritier devant une juridiction de l’État membre de sa résidence habituelle est considérée comme valable quant à la forme dès lors que les exigences de forme applicables devant cette juridiction ont été respectées, sans qu’il soit nécessaire, aux fins de cette validité, qu’elle remplisse les exigences de forme requises par la loi applicable à la succession.

 Sur le fond

35      Selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes, mais également du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause [arrêts du 1er mars 2018, Mahnkopf, C‑558/16, EU:C:2018:138, point 32, et du 9 septembre 2021, UM (Contrat translatif de propriété mortis causa), C‑277/20, EU:C:2021:708, point 29].

36      S’agissant, en premier lieu, des termes des dispositions en cause et de leur contexte, il importe de rappeler que l’article 13 du règlement no 650/2012 fait partie du chapitre II de ce règlement, qui régit l’ensemble des chefs de compétence juridictionnelle en matière de successions. Conformément à cette disposition, outre la juridiction compétente pour statuer sur la succession au titre dudit règlement, les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession, peut faire une déclaration concernant l’acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire ou la renonciation à ceux-ci, ou une déclaration visant à limiter la responsabilité de la personne concernée à l’égard des dettes de la succession, sont compétentes pour recevoir ces déclarations.

37      Cet article 13 prévoit ainsi un for alternatif de compétence juridictionnelle qui vise à permettre aux héritiers, qui n’ont pas leur résidence habituelle dans l’État membre dont les juridictions sont compétentes pour statuer sur la succession, conformément aux règles générales des articles 4 à 11 du règlement no 650/2012, de faire leurs déclarations concernant l’acceptation de la succession ou la renonciation à celle-ci devant une juridiction de l’État membre dans lequel ils ont leur résidence habituelle.

38      Ladite règle de compétence juridictionnelle est complétée par une règle de conflit de lois contenue à l’article 28 du règlement no 650/2012, qui fait partie du chapitre III de celui-ci régissant la loi applicable et qui régit spécifiquement la validité quant à la forme de telles déclarations. Conformément à cet article, elles sont valables quant à la forme lorsqu’elles respectent, selon son point a), les exigences de la loi applicable à la succession (lex successionis), ou, selon son point b), celles de la loi de l’État dans lequel la personne qui fait ladite déclaration a sa résidence habituelle.

39      Il peut être déduit des termes de l’article 28 du règlement no 650/2012 que cette disposition est conçue de manière à reconnaître la validité d’une déclaration concernant la renonciation à la succession soit lorsque les conditions établies par la loi successorale sont satisfaites quand celle-ci est applicable, soit lorsque les conditions prévues par la loi de l’État de la résidence habituelle de l’héritier renonçant sont remplies quand cette dernière est applicable.

40      À cet égard, il ressort d’une lecture combinée des articles 13 et 28 du règlement no 650/2012 – ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 58 de ses conclusions – qu’il existe une étroite corrélation entre ces deux dispositions, de sorte que la compétence des juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de l’héritier pour recevoir les déclarations concernant la renonciation à la succession est subordonnée à la condition que la loi successorale en vigueur dans cet État prévoie la possibilité de faire une telle déclaration devant une juridiction. Cette condition étant satisfaite, l’ensemble des actes à effectuer devant une juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de l’héritier souhaitant faire une telle déclaration est déterminé par la loi de cet État membre.

41      S’agissant, en second lieu, des objectifs poursuivis par le règlement no 650/2012, une telle lecture des articles 13 et 28 de ce règlement est confortée par le considérant 32 de celui-ci selon lequel le but de ces dispositions est de « faciliter la vie des héritiers et légataires résidant habituellement dans un autre État membre que celui dans lequel la succession est ou sera réglée ». À cette fin, selon ce même considérant, ledit règlement devrait permettre à toute personne ayant le droit, en vertu de la loi applicable à la succession, de faire certaines déclarations relatives à la succession, parmi lesquelles figure également la renonciation à celle-ci, sous la forme prévue par la loi de l’État membre de sa résidence habituelle, devant les juridictions dudit État membre. La Cour a déjà précisé, à cet égard, que l’article 13 du même règlement, lu à la lumière de son considérant 32, vise à simplifier les démarches des héritiers et des légataires en dérogeant aux règles de compétence énoncées à ses articles 4 à 11 (arrêt du 21 juin 2018, Oberle, C‑20/17, EU:C:2018:485, point 42).

42      Une telle interprétation est, par ailleurs, corroborée par l’objectif du règlement no 650/2012 visant, selon son considérant 7, à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation des personnes qui veulent faire valoir leurs droits issus d’une succession transfrontalière. En particulier, dans l’espace européen de justice, les droits des héritiers et des légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers de la succession doivent être garantis de manière effective (voir, en ce sens, arrêts du 1er mars 2018, Mahnkopf, C‑558/16, EU:C:2018:138, point 35, ainsi que du 1er juillet 2021, Vorarlberger Landes- und Hypotheken-Bank, C‑301/20, EU:C:2021:528, points 27 et 34).

43      Ainsi, pour ce qui est des déclarations concernant la renonciation à la succession faites devant la juridiction compétente en vertu de l’article 13 du règlement no 650/2012, l’article 28, sous b), de ce règlement garantit que cette faculté reconnue à l’héritier qui réside habituellement dans un État membre autre que celui de la juridiction compétente pour statuer sur une succession soit effective.

44      À cet égard, force est de constater que, eu égard à la portée limitée de la compétence de la juridiction visée à l’article 13 du règlement no 650/2012, toute autre interprétation visant à restreindre la validité quant à la forme d’une déclaration concernant la renonciation à la succession, notamment, en la soumettant aux exigences de forme de la loi applicable à la succession, aurait pour effet de priver les dispositions de l’article 13 et de l’article 28, sous b), de ce règlement de tout effet utile ainsi que de porter atteinte aux objectifs dudit règlement ainsi qu’au principe de sécurité juridique.

45      Par conséquent, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 64 de ses conclusions, le respect de l’objectif du règlement no 650/2012 consistant à permettre aux héritiers de faire des déclarations concernant la renonciation à la succession dans l’État membre de leur résidence habituelle, implique que ces héritiers n’aient pas à s’acquitter d’autres formalités devant les juridictions d’autres États membres que celles prévues par la loi de l’État membre où une telle déclaration est faite, pour que de telles déclarations soient considérées comme étant valables.

46      S’agissant de la question relative à la communication desdites déclarations à la juridiction compétente pour statuer sur la succession, il y a lieu d’observer qu’il ressort de la dernière phrase du considérant 32 du règlement no 650/2012 que « les personnes qui choisissent de se prévaloir de la possibilité de faire une déclaration dans l’État membre de leur résidence habituelle devraient informer elles-mêmes la juridiction ou l’autorité qui est ou sera chargée de la succession de l’existence de telles déclarations dans le délai éventuellement fixé par la loi applicable à la succession ».

47      Cette dernière phrase du considérant 32 du règlement no 650/2012 laisse entendre, de prime abord, que, selon le législateur de l’Union, il est nécessaire que la déclaration concernant la renonciation à la succession faite devant une juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de l’héritier renonçant soit portée à la connaissance de la juridiction compétente pour statuer sur la succession. Cependant, il y a lieu de constater que ni l’article 13 ni l’article 28 de ce règlement ne prévoient de mécanisme de transmission de telles déclarations par la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de l’héritier renonçant à la juridiction compétente pour statuer sur la succession. Ce considérant 32 présume néanmoins que les personnes ayant utilisé la faculté d’effectuer de telles déclarations dans l’État membre de leur résidence habituelle assumeront la charge de communiquer l’existence de ces déclarations aux autorités chargées de la succession.

48      Ainsi, en l’absence d’un système uniforme en droit de l’Union prévoyant la transmission des déclarations relatives à la succession à la juridiction compétente pour statuer sur la succession, le considérant 32, dernière phrase, du règlement no 650/2012 doit être compris en ce sens qu’il appartient à la personne ayant fait une déclaration concernant la renonciation à la succession d’accomplir les démarches nécessaires pour que la juridiction compétente pour statuer sur la succession prenne connaissance de l’existence d’une déclaration valable. Toutefois, en l’absence, dans le délai imparti par la loi applicable à la succession, d’accomplissement de ces démarches, la validité d’une telle déclaration ne saurait être remise en cause.

49      Dès lors, la déclaration concernant la renonciation à la succession faite par un héritier devant la juridiction de l’État membre de sa résidence habituelle, dans le respect des exigences de forme applicables devant cette juridiction, devrait produire des effets juridiques devant la juridiction compétente pour statuer sur la succession pour autant que cette dernière ait pris connaissance de l’existence de cette déclaration, sans qu’une telle déclaration soit soumise aux conditions additionnelles de forme requises par la loi applicable à la succession.

50      En l’occurrence, il ressort des éléments fournis par la juridiction de renvoi que les neveux du défunt ont fait une déclaration concernant la renonciation à la succession du défunt devant une juridiction néerlandaise dans le respect des exigences de forme applicables devant cette juridiction, et que l’Amtsgericht Bremen (tribunal de district de Brême) a pris connaissance de l’existence de cette déclaration avant de statuer sur la succession. Dès lors, il apparaît que cette dernière juridiction aurait dû prendre en considération ladite déclaration, indépendamment du respect des autres exigences ou des clarifications considérées nécessaires par cette juridiction allemande pour qu’une telle déclaration soit considérée comme valable. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 67 du règlement no 650/2012, les héritiers devraient être à même de prouver facilement leur statut et/ou leurs droits et pouvoirs afin de « régler de manière rapide, aisée et efficace une succession ayant une incidence transfrontière au sein de l’Union ».

51      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que les articles 13 et 28 du règlement no 650/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’une déclaration concernant la renonciation à la succession faite par un héritier devant une juridiction de l’État membre de sa résidence habituelle est considérée comme valable quant à la forme dès lors que les exigences de forme applicables devant cette juridiction ont été respectées, sans qu’il soit nécessaire, aux fins de cette validité, qu’elle remplisse les exigences de forme requises par la loi applicable à la succession.

 Sur les dépens

52      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

Les articles 13 et 28 du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, doivent être interprétés en ce sens qu’une déclaration concernant la renonciation à la succession faite par un héritier devant une juridiction de l’État membre de sa résidence habituelle est considérée comme valable quant à la forme dès lors que les exigences de forme applicables devant cette juridiction ont été respectées, sans qu’il soit nécessaire, aux fins de cette validité, qu’elle remplisse les exigences de forme requises par la loi applicable à la succession.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.