Language of document : ECLI:EU:C:2022:357

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY M. COLLINS

présentées le 5 mai 2022 (1)

Affaire C646/20

Senatsverwaltung für Inneres und Sport, Standesamtsaufsicht

contre

TB

autres parties à la procédure :

Standesamt Mitte von Berlin,

RD

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Mesures relatives au droit de la famille – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Règlement (CE) no 2201/2003 – Matières matrimoniale et de responsabilité parentale – Actes authentiques et accords – Dissolution du mariage à la suite d’une déclaration auprès de l’état civil italien »






I.      Introduction

1.        Les mesures visant à faciliter la reconnaissance automatique des changements d’état civil au sein de l’Union européenne représentent un avantage incontestable pour les citoyens de l’Union qui exercent les droits de libre circulation que leur confèrent les traités. À mesure que le législateur de l’Union étend les domaines couverts par ces mesures, leur interprétation et leur mise en œuvre se confrontent à des aspects du droit régissant l’état civil des personnes dans les différents États membres. Il n’est donc pas étonnant que les points de vue divergent quant à ce qui relève du champ d’application d’une mesure et ce qui n’en relève pas. La présente affaire porte sur la reconnaissance automatique en Allemagne d’un divorce par consentement mutuel obtenu à l’issue d’une procédure extrajudiciaire de droit italien. Plus précisément, par la présente demande de décision préjudicielle, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) demande à la Cour si le règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (2), oblige les États membres à reconnaître, sans autres exigences, une décision de divorce prononcée par les autorités civiles d’un autre État membre en application d’une procédure extrajudiciaire fondée sur un accord entre les époux.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

2.        L’article 1er du règlement no 2201/2003 est intitulé « Champ d’application ». L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de ce règlement prévoit que ledit règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux.

3.        Aux fins du règlement no 2201/2003, l’article 2 définit les termes suivants dans ses points 1, 2 et 4 :

« 1)      [par] “juridiction”[, on entend] toutes les autorités compétentes des États membres dans les matières relevant du champ d’application du présent règlement en vertu de l’article 1er (3) ;

2)      [par] “juge”[, on entend] le juge ou le titulaire de compétences équivalentes à celles du juge dans les matières relevant du champ d’application du présent règlement (4) ;

[...]

4)      [par] “décision”[, on entend] toute décision de divorce, de séparation de corps ou d’annulation d’un mariage, ainsi que toute décision concernant la responsabilité parentale rendue par une juridiction d’un État membre, quelle que soit la dénomination de la décision, y compris les termes “arrêt”, “jugement” ou “ordonnance” » (5).

4.        En vertu de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. L’article 21, paragraphe 2, de ce règlement prévoit également qu’aucune procédure n’est requise pour la mise à jour des actes d’état civil d’un État membre sur la base d’une décision rendue dans un autre État membre en matière de divorce, de séparation de corps ou d’annulation du mariage, qui n’est plus susceptible de recours selon la loi de cet État membre.

5.        L’article 22, sous a), du règlement no 2201/2003 dispose qu’une décision rendue en matière de divorce, de séparation de corps ou d’annulation du mariage n’est pas reconnue si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis.

6.        Enfin, aux termes de l’article 46 du règlement no 2201/2003, sous l’intitulé « Actes authentiques et accords », les actes authentiques reçus et exécutoires dans un État membre ainsi que les accords entre parties exécutoires dans l’État membre d’origine sont reconnus et rendus exécutoires dans les mêmes conditions que des décisions.

B.      Le droit allemand

7.        L’article 97, paragraphe 1, deuxième phrase, du Gesetz über das Verfahren in Familiensachen und in den Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit (loi relative à la procédure en matière d’affaires familiales et de juridiction gracieuse), du 17 décembre 2008 (ci-après le « FamFG »), dispose :

« Les dispositions figurant dans des actes de l’Union ne sont pas affectées. »

8.        Aux termes de l’article 107, paragraphe 1, du FamFG :

« Les décisions rendues à l’étranger par lesquelles un mariage est annulé, invalidé, ou dissous ne sont reconnues que si l’administration de la justice du Land a constaté que les conditions de la reconnaissance sont réunies. Si un tribunal ou une autorité d’un État dont les deux époux étaient ressortissants à la date de décision a statué, la reconnaissance ne dépend pas d’une constatation de l’administration de la justice du Land. »

9.        L’article 3, paragraphe 1, du Personenstandsgesetz (loi sur l’état civil), du 19 février 2007 (ci-après le « PStG ») prévoit que, dans son domaine de compétence, le service de l’état civil tient un registre des mariages. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, du PStG, les inscriptions au registre sont complétées et rectifiées conformément aux dispositions de cette loi. Conformément à l’article 161, paragraphe 3, du PStG, il est fait mention, dans l’inscription relative au mariage, des actes subséquents relatifs à l’annulation du mariage ou au divorce.

C.      Le droit italien

10.      L’article 12 du decreto-legge n. 132 « Misure urgenti di degiurisdizionalizzazione ed altri interventi per la definizione dell’arretrato in materia di processo civile » (décret-loi portant des mesures urgentes de déjudiciarisation et autres interventions pour réduire le retard en matière de procès civil), du 12 septembre 2014 (ci-après le « décret-loi no 132/2014 ») (6), converti en loi par la Legge n. 162 (loi no 162), du 10 novembre 2014, dispose :

« 1.      Les époux peuvent conclure, devant le maire de la commune de résidence de l’un d’eux ou de la commune où le mariage est enregistré, agissant en qualité d’officier d’état civil en vertu de l’article 1er du décret no 396 du président de la République du 3 novembre 2000, éventuellement avec l’assistance d’un avocat, une convention de séparation de corps ou, dans les cas visés à l’article 3, paragraphe 2, sous b), premier alinéa, de la loi no 898 du 1er décembre 1970, une convention relative à la dissolution du mariage ou à la cessation des effets civils du mariage ou une convention modifiant les conditions de la séparation ou du divorce.

2.      Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas lorsque les époux ont des enfants mineurs ou des enfants majeurs incapables, lourdement handicapés au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la loi no 104 du 5 février 1992 ou économiquement dépendants.

3.      L’officier d’état civil reçoit personnellement de chacun des époux, éventuellement assistés par un avocat, une déclaration selon laquelle il ou elle souhaite se séparer, faire cesser les effets civils du mariage ou en obtenir la dissolution, selon les conditions convenues entre eux. Il en va de même pour toute modification des conditions de la séparation ou du divorce. La convention ne peut contenir aucune clause de transfert de patrimoine. L’acte contenant la convention est rédigé et signé immédiatement après réception des déclarations visées au présent paragraphe. Dans les cas visés au paragraphe 1, la convention remplace les décisions judiciaires qui concluent la procédure de séparation de corps, de cessation des effets civils du mariage, de dissolution du mariage et de modification des conditions de la séparation ou du divorce.

En cas de séparation de corps, de cessation des effets civils du mariage ou de dissolution du mariage par convention, l’officier d’état civil invite les époux, dès réception de leurs déclarations, à comparaître devant lui, au plus tôt 30 jours après la réception des déclarations, afin qu’ils confirment leur volonté, ainsi qu’aux fins de l’établissement des accords visés au paragraphe 5. À défaut de comparution, la convention n’est pas confirmée.

[...] »

11.      En vertu de l’article 43, paragraphe 1, et de l’article 71, paragraphe 2, du decreto del Presidente della Repubblica n. 445/2000 – Testo unico delle disposizioni legislative e regolamentari in materia di documentazione amministrativa (décret du président de la République no 445/2000 – Texte consolidé des lois et règlements relatifs aux actes administratifs), l’officier d’état civil est tenu de vérifier que les conditions légales applicables sont remplies.

12.      Conformément aux articles 7 et 95 du decreto del Presidente della Repubblica n. 396 – Regolamento per la revisione e la semplificazione dell’ordinamento dello stato civile, a norma dell’articolo 2, comma 12, della legge 15 maggio 1997, n. 127 (décret du président de la République no 396 – Règlement tendant à la révision et à la simplification de la loi relative à l’état civil, conformément à l’article 2, paragraphe 12, de la loi no 127, du 15 mai 1997), l’officier d’état civil refuse le divorce lorsque les conditions légales applicables ne sont pas remplies. Les époux peuvent contester ce refus devant les juridictions.

13.      Selon la Circolare n. 6/15 – Articoli 6 e 12 del decreto-legge 12 settembre 2014, n. 132 – Chiarimenti applicativi (circulaire no 6/15 – Articles 6 et 12 du décret-loi no 132), du 12 septembre 2014, l’article 12, paragraphe 3, troisième phrase, du décret-loi no 132/2014 doit s’interpréter en ce sens qu’il s’oppose à ce que les époux incluent des clauses de transfert de patrimoine dans ce type de procédure de divorce.

14.      Il ressort de ce qui précède que, dans le cadre de la procédure instituée par l’article 12 du décret-loi no 132/2014, chaque époux déclare personnellement sa volonté de divorcer devant l’officier d’état civil. Au moins 30 jours plus tard, l’officier d’état civil confirme cette convention après avoir vérifié que les conditions requises par la loi pour prononcer la dissolution du mariage sont réunies, à savoir que les époux n’ont pas d’enfants mineurs ni d’enfants majeurs incapables, lourdement handicapés ou économiquement dépendants et que la convention qui les lie ne contient aucune clause de transfert de patrimoine. Les effets juridiques du divorce prononcé par l’officier d’état civil sont identiques à ceux du divorce prononcé par une juridiction ou une autorité compétente.

III. Le litige au principal et la demande de décision préjudicielle

15.      TB possède les nationalités allemande et italienne. Elle s’est mariée avec RD, un ressortissant de nationalité italienne, à Berlin, le 20 septembre 2013. Le service de l’état civil de Berlin a inscrit ce mariage dans le registre des mariages.

16.      Le 30 mars 2017, devant le service de l’état civil de Parme (Italie), les époux ont déclaré leur volonté de se séparer. Ils ont indiqué ne pas avoir d’enfants mineurs ni d’enfants majeurs incapables, lourdement handicapés ou économiquement dépendants. Ils ont également indiqué n’avoir convenu aucune clause de transfert de patrimoine dans le cadre de leur séparation. Ils ont par la suite confirmé leurs déclarations respectives devant l’officier d’état civil.

17.      S’appuyant sur leurs déclarations du 30 mars 2017, les époux ont comparu devant l’officier d’état civil et ont déclaré leur volonté de divorcer le 15 février 2018. Ils ont, par la suite, confirmé leurs déclarations devant l’officier d’état civil qui a délivré, le 2 juillet 2018, un certificat de divorce produisant ses effets au 15 février 2018.

18.      TB a ensuite demandé au bureau de l’état civil de Berlin d’inscrire ce divorce dans le registre des mariages. Ne sachant pas si le divorce devait être inscrit dans le registre des mariages ou s’il devait être soumis à la procédure de reconnaissance prévue à l’article 107, paragraphe 1, du FamFG, le bureau de l’état civil de Berlin a saisi l’Amtsgericht Berlin (tribunal de district de Berlin, Allemagne). Le 1er juillet 2019, cette juridiction a jugé que l’inscription du divorce dans le registre des mariages était subordonnée à sa reconnaissance en application de la procédure prévue à l’article 107, paragraphe 1, du FamFG. La Senatsverwaltung für Justiz, Verbraucherschutz und Antidiskriminierung (ministère de la Justice, de la Protection des consommateurs et de la Lutte contre les discriminations de Berlin, Allemagne) a toutefois considéré que le divorce devait être reconnu automatiquement. Elle a dès lors refusé d’entamer la procédure visée à l’article 107, paragraphe 1, du FamFG (7).

19.      TB a interjeté appel de l’ordonnance du 1er juillet 2019 de l’Amtsgericht Berlin (tribunal de district de Berlin) devant le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin). La juridiction d’appel a fait droit à son recours et a enjoint au bureau de l’état civil de Berlin d’inscrire le divorce dans le registre d’état civil sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure. La Senatsverwaltung für Inneres und Sport (ministère de l’Intérieur et des Sports de Berlin, Allemagne), l’autorité compétente en matière de contrôle des bureaux de l’état civil, a formé un pourvoi contre la décision du Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice). Le ministère de la Justice, de la Protection des consommateurs et de la Lutte contre les discriminations de Berlin et le ministère de l’Intérieur et des Sports de Berlin semblent avoir des opinions divergentes sur la question.

20.      Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) estime que, afin de statuer sur ce recours, il doit déterminer si le divorce dont TB demande la reconnaissance est une décision au sens des articles 2 et 21 du règlement no 2201/2003, pour laquelle l’article 97 du FamFG ne requiert aucune procédure supplémentaire de reconnaissance en vue de son inscription dans le registre des mariages.

21.      Il ressort de l’ordonnance de renvoi que la doctrine allemande est partagée sur cette question. Certains auteurs considèrent que le règlement no 2201/2003 s’applique au divorce obtenu en Italie selon la procédure prévue à l’article 12 du décret-loi no 132/2014 et que l’officier d’état civil est un « juge » au sens de ce règlement. Ils rappellent que l’objectif dudit règlement est de faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions de divorce au sein de l’Union européenne et que les États membres tendent à recourir davantage à des procédures de divorce qui n’exigent pas l’intervention des autorités judiciaires (8). D’autres auteurs estiment qu’un divorce par consentement mutuel prononcé par un officier d’état civil, tel que celui faisant l’objet du présent renvoi préjudiciel, ne relève pas du champ d’application du règlement no 2201/2003.

22.      Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) penche en faveur du second point de vue. Il suggère qu’un divorce prononcé par un officier d’état civil conformément à l’article 12 du décret-loi no 132/2014 est un divorce privé qui ne relève pas du champ d’application du règlement no 2201/2003. À l’appui de cette thèse, la juridiction de renvoi fait valoir que seule une décision de divorce avec effet constitutif rendue par une autorité publique est de nature à protéger le « conjoint plus faible » contre les désavantages du divorce, puisque l’autorité décisionnaire peut refuser de prononcer le divorce. L’intervention purement formelle d’un officier d’état civil qui n’a pas le pouvoir de modifier les conditions du divorce ne saurait offrir cette protection. Une telle décision de divorce ne constitue dès lors pas une « décision » au sens du règlement no 2201/2003.

23.      Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer. Il a soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une dissolution du mariage sur le fondement de l’article 12 du [décret-loi no 132/2014] est-elle une décision de divorce au sens du [règlement no 2201/2003] ?

2)      En cas de réponse négative à la première question : une dissolution du mariage sur le fondement de l’article 12 du [décret‑loi no 132/2014] doit-elle être traitée en appliquant mutatis mutandis la disposition prévue pour les actes authentiques et les accords à l’article 46 du [règlement no 2201/2003] ? »

24.      Les gouvernements allemand, estonien, français et italien ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Lors de l’audience du 8 février 2022, les gouvernements allemand, français et polonais ainsi que la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par la Cour.

IV.    Analyse

A.      Sur la première question

25.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la dissolution d’un mariage obtenue au terme d’une procédure légale par laquelle chacun des époux déclare personnellement leur intention de divorcer devant un officier d’état civil qui, au moins 30 jours plus tard, confirme leur accord en leur présence après avoir vérifié que les conditions requises par la loi pour la dissolution du mariage sont réunies, à savoir que les époux n’ont pas d’enfants mineurs ou d’enfants majeurs incapables, lourdement handicapés ou économiquement dépendants et que leur convention ne contient aucune clause de transfert de patrimoine, est une décision de divorce au sens du règlement no 2201/2003.

26.      Le gouvernement allemand, soutenu lors de l’audience par le gouvernement polonais, estime que, eu égard au libellé, à l’économie et à la finalité du règlement no 2201/2003 ainsi qu’à l’intention du législateur de l’Union, cette question appelle une réponse négative.

27.      Le gouvernement allemand observe, en premier lieu, que la définition de la décision figurant à l’article 2, point 4, du règlement no 2201/2003 ne précise pas la nature ni l’ampleur de l’intervention de l’autorité publique lorsqu’elle prononce le divorce. Toutefois, l’emploi des termes « rendue par une juridiction » pour décrire la manière dont un divorce doit être prononcé suggère que l’intervention de l’autorité publique doit avoir ce que le gouvernement allemand décrit comme étant un effet constitutif, c’est-à-dire que l’intervention de l’autorité publique doit être la source de la nouvelle situation juridique. Cette condition n’est pas satisfaite lorsque le rôle dévolu à l’autorité publique dans le cadre de la procédure se limite à la reconnaissance et à l’enregistrement d’un divorce par consentement mutuel.

28.      En deuxième lieu, il ressort de l’économie du règlement no 2201/2003 que, pour que d’autres États membres reconnaissent une décision de divorce sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure en vertu de l’article 21, paragraphe 1, de ce règlement, cette décision doit trouver son origine dans un acte émanant d’une juridiction ou d’une autorité publique et ayant un effet constitutif. Si tel n’était pas le cas, le règlement no 2201/2003 obligerait les États membres à reconnaître automatiquement des conventions de divorce privé conclues dans d’autres États membres sans intervention d’une autorité publique.

29.      En ce qui concerne, en troisième lieu, la finalité du règlement no 2201/2003, le gouvernement allemand considère que la reconnaissance et la confiance mutuelles qui sous-tendent ce règlement exigent, pour qu’un autre État membre reconnaisse automatiquement un acte émanant d’une juridiction ou d’une autorité publique, que cet acte relève de l’exercice de prérogatives de puissance publique et qu’il ait un effet constitutif. Ces exigences ne sont pas satisfaites lorsqu’une autorité publique se contente de reconnaître et d’enregistrer une convention de divorce privé.

30.      En quatrième lieu, le législateur de l’Union ne souhaitait pas que le divorce prononcé par un officier d’état civil relève du champ d’application du règlement no 2201/2003 dès lors que, au moment de l’adoption de cette mesure, les législations des États membres ne prévoyaient pas de procédure de divorce extrajudiciaire. Cela trouve confirmation dans le fait que le règlement (UE) 2019/1111 du Conseil, du 25 juin 2019, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale ainsi qu’en matière d’enlèvement international d’enfants (9), prévoit expressément la reconnaissance automatique des procédures de divorce extrajudiciaires. Ces modifications auraient été superflues si le règlement no 2201/2003 avait déjà prévu la reconnaissance automatique des décisions de divorce rendues dans le cadre d’une telle procédure. Le règlement 2019/1111 n’est cependant pas applicable aux faits de la présente affaire ratione temporis.

31.      Le gouvernement italien, soutenu par le gouvernement estonien et la Commission, estime qu’il convient d’apporter une réponse affirmative à la première question, dès lors que le divorce dont la reconnaissance est demandée en Allemagne n’est pas un divorce privé. La Commission relève notamment que l’objectif principal du règlement no 2201/2003 est d’assurer la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires comme pierre angulaire de la création d’un véritable espace judiciaire européen. C’est pourquoi toutes les décisions rendues dans un État membre qui relèvent du champ d’application de ce règlement doivent être reconnues sur l’ensemble du territoire des États membres, sans requérir aucune procédure formelle de reconnaissance.

32.      La signification qu’il convient d’attribuer aux termes « juridiction », « juge » et « décision », aux fins du règlement no 2201/2003, définis à l’article 2 de ce règlement, est essentielle pour répondre à la première question.

33.      Conformément à une jurisprudence constante, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte des termes de celle-ci, du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (10).

34.      L’article 2, point 1, du règlement no 2201/2003 donne une définition de la « juridiction » qui inclut toutes les autorités des États membres compétentes dans les matières relevant du champ d’application de ce règlement. Au sens littéral, ces termes signifient que toute autorité à laquelle le droit d’un État membre confère des compétences en matière civile, y compris en matière de divorce, de séparation de corps ou d’annulation du mariage, est une « juridiction ».

35.      Cette interprétation trouve confirmation dans la définition du « juge », visée à l’article 2, point 2, du règlement no 2201/2003, qui inclut le fonctionnaire titulaire de compétences équivalentes à celles d’un juge dans les matières civiles relatives au divorce. Il s’ensuit que, si un État membre confère aux juges des compétences dans les matières relevant du champ d’application de ce règlement, à savoir les matières civiles relatives au divorce, à la séparation de corps ou à l’annulation du mariage, et s’il confère des compétences équivalentes à d’autres fonctionnaires publics, ces derniers relèvent de la notion de « juge » au sens de ce règlement.

36.      L’article 2, point 4, du règlement no 2201/2003, qui définit la « décision », complète le tableau ; en vertu de cette disposition, tout « arrêt », « jugement » ou « ordonnance » pris par une autorité à laquelle un État membre confère des compétences pour prononcer un divorce est une décision rendue dans cet État membre. En vertu de l’article 21, paragraphe 1, de ce règlement, de telles décisions « sont » reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure. Les décisions qui bénéficient d’une reconnaissance automatique dans l’ensemble de l’Union incluent dès lors un divorce prononcé par un fonctionnaire auquel un État membre a conféré des compétences dans les matières civiles relatives au divorce.

37.      Le champ d’application du règlement no 2201/2003, décrit en son article 1er, établit le cadre dans lequel il convient de lire son article 2. L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement précise que ledit règlement s’applique aux matières civiles relatives, notamment, au divorce. Dès lors que, à ces fins, la notion de « juridiction » est définie à l’article 2, point 1, de ce même règlement, il est clair que ces définitions s’appliquent dans le cadre de la reconnaissance des jugements, ordonnances ou décisions de divorce rendus dans des États membres autres que ceux dans lesquels leur reconnaissance est demandée.

38.      S’agissant des objectifs poursuivis par le règlement no 2201/2003, il ressort de ses considérants que ce règlement vise à assurer la coopération judiciaire dans les matières civiles relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage, et qu’il repose sur le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires comme pierre angulaire de la création d’un véritable espace judiciaire (11). Ainsi que la Cour l’a jugé, le règlement no 2201/2003 est fondé sur la confiance mutuelle, laquelle doit conduire à la reconnaissance mutuelle des décisions judicaires (12). La reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires est en outre nécessaire pour lever les obstacles au bon fonctionnement du marché intérieur (13), dans la mesure où le refus de reconnaître des décisions judiciaires en matière civile, y compris le divorce, est susceptible d’empêcher ou de dissuader les citoyens de l’Union d’exercer les droits de libre circulation que leur confère le droit de l’Union.

39.      En conséquence, l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 prévoit que les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure. Ce règlement met ainsi en place un système de reconnaissance automatique, par les États membres, d’une catégorie d’instruments qu’il définit. Par conséquent, même si la législation en matière de divorce n’est pas harmonisée entre les États membres, en vertu dudit règlement, un divorce prononcé dans un État membre qui relève des définitions de ce même règlement bénéficie d’une reconnaissance automatique dans l’ensemble des autres États membres, sous réserve d’un nombre limité d’exceptions.

40.      Puisque le présent renvoi préjudiciel semble offrir à la Cour l’occasion d’interpréter pour la première fois l’article 2 du règlement no 2201/2003 aux fins de l’application de son article 21, paragraphe 1, il peut s’avérer utile d’analyser l’arrêt Sahyouni (14). Cette affaire portait sur la reconnaissance en Allemagne d’un divorce obtenu sur déclaration d’intention unilatérale de l’époux devant une instance religieuse en Syrie (15). L’affaire soulevait des questions d’interprétation du règlement no 1259/2010, du 20 décembre 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (16), qui s’applique au divorce et à la séparation de corps en cas de conflit de lois (17). Dans cet arrêt, la Cour a mis en évidence le considérant 10 du règlement no 1259/2010, qui indique que le champ d’application matériel de ce règlement et les dispositions de celui-ci devraient être cohérents par rapport à ceux du règlement no 2201/2003 (18). Après avoir examiné l’article 1er, paragraphe 1, sous a), et l’article 2, point 4, du règlement no 2201/2003, la Cour a jugé qu’il ne serait pas cohérent de définir de manière différente le même terme de divorce employé dans ces deux règlements et, partant, de faire diverger leurs champs d’application respectifs (19). La notion de divorce visée par le règlement no 2201/2003 couvrant les divorces prononcés par une juridiction nationale ou par une autorité publique ou sous son contrôle, la Cour a jugé que le champ d’application du règlement no 1259/2010 était restreint de la même manière, de sorte que les divorces prononcés sans l’intervention d’une autorité étatique sortaient du champ d’application de ce dernier règlement (20).

41.      L’arrêt du 20 décembre 2017, Sahyouni (C‑372/16, EU:C:2017:988) précise que le système de reconnaissance automatique instauré par le règlement no 2201/2003 s’applique uniquement aux divorces prononcés soit par une juridiction nationale, soit par une autorité publique ou sous son contrôle. Il confirme ainsi la validité de la thèse selon laquelle, en vertu de ce règlement, un divorce prononcé par une autorité publique non investie d’un pouvoir judiciaire ou sous son contrôle peut être reconnu automatiquement dans un autre État membre. J’ajouterais que, selon moi, aucun argument n’a été avancé devant la Cour pour justifier qu’une distinction soit opérée entre une procédure de divorce menée devant une juridiction nationale et une procédure menée devant un agent public, tel qu’un officier d’état civil, lorsque le couple souhaite divorcer par consentement mutuel. Dans tous ces cas, il incombe à la personne menant la procédure de vérifier que chacun des époux consent valablement à la dissolution du mariage et que toutes les conditions légales permettant de rendre la décision de divorce sont satisfaites.

42.      Dans ce contexte, je relèverai que la procédure menée devant l’officier d’état civil en Italie, au titre de l’article 12 du décret-loi no 132/2014, est ouverte dans des situations où il est peu probable que l’officier d’état civil doive effectuer une mise en balance dès lors qu’il ne peut prononcer le divorce que s’il est établi qu’il n’y pas d’enfants mineurs ou d’enfants majeurs incapables, lourdement handicapés ou économiquement dépendants et que la convention entre les époux ne contient aucune clause de transfert de patrimoine. Dans ces conditions, le fait que l’officier d’état civil n’ait pas le pouvoir de modifier les termes de la convention entre les époux importe peu puisque, compte tenu du consentement mutuel de ces derniers, il doit prononcer le divorce dès lors que les conditions prévues par la loi sont remplies. Si la protection du « conjoint plus faible » peut constituer une préoccupation légitime, ainsi que le suggère la juridiction de renvoi, rien n’indique que la procédure instituée par l’article 12 du décret-loi no 132/2014 n’en tient pas compte eu égard aux circonstances limitées dans lesquelles elle peut être mise en œuvre, à l’exigence du consentement mutuel des époux et à l’obligation faite à l’officier d’état civil de vérifier les faits allégués par les époux.

43.      Le gouvernement allemand fait valoir que, même si le divorce prononcé par une autorité publique autre qu’une juridiction peut bénéficier d’une reconnaissance automatique au titre du règlement no 2201/2003, cette décision doit avoir ce qu’il décrit comme étant un effet constitutif. Selon ce gouvernement, le rôle de l’officier d’état civil dans la dissolution du mariage est purement passif et consiste simplement à enregistrer une convention de nature privée, que les époux ont conclue afin de divorcer. Un tel cas ne relèverait donc pas du champ d’application du règlement no 2201/2003, ainsi que l’a jugé la Cour dans les circonstances factuelles quelque peu différentes de l’arrêt Sahyouni (21).

44.      Compte tenu du libellé des articles 2 et 21 du règlement no 2201/2003, ainsi que de l’approche adoptée par la Cour à l’égard de la définition du divorce dans le cadre du règlement no 1259/2010, force est de conclure que le rôle joué par l’officier d’état civil dans la dissolution du mariage dans le cadre de la procédure instituée par l’article 12 du décret-loi no 132/2014 fait entrer les divorces obtenus dans ce cadre dans le champ d’application du règlement no 2201/2003.

45.      À cet égard, il peut être observé que l’article 21 du règlement no 2201/2003 ne conforte nullement l’idée selon laquelle, pour qu’une décision puisse bénéficier d’une reconnaissance automatique dans un autre État membre, elle doit présenter des caractéristiques supplémentaires par rapport aux exigences prévues par cet article. Dans la mesure où le gouvernement allemand s’appuie sur l’emploi du verbe « rendre » dans la définition de la « décision » visée à l’article 2, point 4, de ce règlement, l’une des significations de ce verbe, à savoir « déclarer », me semble pertinente. Déclarer l’existence d’un certain état de fait équivaut à en reconnaître l’existence. En outre, il n’est pas inhérent à la nature d’une déclaration que le déclarant doive toujours en créer l’objet. La reconnaissance par l’officier d’état civil de la volonté mutuelle des époux de dissoudre leur mariage, pour autant que certaines conditions prévues par la loi soient satisfaites, constitue manifestement une déclaration, et donc un prononcé, de la dissolution de ce mariage.

46.      En tout état de cause, pour qu’un officier d’état civil puisse dissoudre un mariage en vertu de l’article 12 du décret-loi no 132/2014, il doit s’assurer que les conditions légales sont satisfaites, sans quoi il doit refuser d’accorder la dissolution. Pour ce faire, l’officier d’état civil doit vérifier si les conditions légales de l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi sont réunies. Cet exercice implique, à mon sens, une décision de l’officier d’état civil relative à l’existence d’un ensemble d’exigences légales entraînant la dissolution du mariage, décision qui, par sa nature même, produit des effets constitutifs pour l’état civil des personnes concernées.

47.      Il s’ensuit qu’un divorce obtenu dans le cadre d’une procédure telle que celle décrite au point 14 des présentes conclusions n’est pas un divorce privé. Alors que la dissolution du mariage repose sur l’accord des parties, le mariage n’est dissous que si l’officier d’état civil s’est assuré que les conditions légales applicables sont respectées. S’il constate que tel n’est pas le cas, les époux demeurent légalement mariés, indépendamment de tout accord qu’ils auraient pu conclure entre eux. Le fait que l’officier d’état civil admette que les conditions applicables sont satisfaites et qu’il délivre un certificat de divorce l’attestant a donc un effet constitutif.

48.      Par ailleurs, il peut être observé que l’acte par lequel un officier d’état civil reconnaît la volonté d’un couple de s’unir par le mariage est considéré comme étant constitutif du mariage dans tous les États membres, y compris en Allemagne, à condition, ici aussi, que les conditions légalement requises soient remplies. En effet, les mariages sont presque toujours reconnus ou constitués par des agents publics exerçant le pouvoir exécutif de l’État, et non par des juges exerçant le pouvoir judiciaire. Si la reconnaissance formelle, par un agent public, du consentement des parties à s’unir par le mariage est constitutive d’un mariage aux yeux de la loi, je n’aperçois aucune raison logique pour que la reconnaissance formelle par ce même agent public du consentement des parties à la dissolution du mariage ne puisse pas, de la même manière, être constitutive d’un divorce.

49.      Au soutien de leur position, les gouvernements allemand et polonais ont cherché à établir des analogies, respectivement, avec les arrêts Mærsk Olie & Gas (22) et Solo Kleinmotoren (23), tous deux relatifs à l’interprétation de la convention de Bruxelles (24). Dans l’affaire Mærsk Olie & Gas (25), une action en dommages et intérêts intentée dans un État contractant avait le même objet qu’une ordonnance provisoire, rendue par une juridiction d’un autre État contractant et enjoignant au défendeur de mettre en place un fonds limitatif de responsabilité. La Cour a jugé que, au sens de la convention de Bruxelles, une « décision » doit émaner d’un organe juridictionnel appartenant à un État contractant et statuant de sa propre autorité sur des points litigieux entre les parties (26). L’affaire Solo Kleinmotoren (27) soulevait la question de savoir si une transaction judiciaire de nature commerciale conclue devant une juridiction d’un État contractant pouvait être considérée comme étant une « décision » susceptible de reconnaissance dans un autre État contractant. La Cour a jugé qu’une transaction n’est pas une « décision », même si elle est intervenue devant un juge et met fin à un litige, dès lors que de telles transactions revêtent un caractère contractuel (28).

50.      Dans la présente affaire, ni les faits ni le droit ne sont analogues à ceux qui ont été pris en considération dans les arrêts susmentionnés. S’agissant de l’arrêt Mærsk Olie & Gas (29), les actes susceptibles d’être reconnus au titre du règlement no 2201/2003 sont expressément définis plus largement que ceux susceptibles de l’être au titre de la convention de Bruxelles. En ce qui concerne l’arrêt Solo Kleinmotoren (30), un divorce par consentement mutuel ne saurait être assimilé à une transaction intervenant dans le cadre d’une procédure judiciaire. Dans ce dernier cas, le contrat conclu entre les parties met fin à la procédure judiciaire et le juge se contente de prendre acte de cet accord juridiquement contraignant pour mettre fin au litige dont il est saisi. En revanche, les époux qui souhaitent divorcer par consentement mutuel ont besoin qu’une autorité publique adopte un acte pour que ce divorce produise un effet juridiquement contraignant.

51.      Le gouvernement polonais a également entendu se prévaloir de l’arrêt WB (31), dans lequel la Cour a jugé que les notaires ne sont pas des « juridictions » au sens du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (32). Les dispositions à l’origine du renvoi préjudiciel dans l’affaire WB sont substantiellement différentes de celles dont l’interprétation est ici demandée à la Cour. Premièrement, l’article 3, paragraphe 1, sous g), et paragraphe 2, de ce règlement impose aux autorités compétentes d’offrir des garanties en ce qui concerne leur impartialité et le droit d’être entendu, et leurs décisions doivent pouvoir faire l’objet d’un recours ou d’un contrôle juridictionnel. Le règlement no 2201/2003 ne prévoit pas d’exigences similaires à celles du règlement no 650/2012, dont certaines seraient, en tout état de cause, difficilement transposables aux circonstances d’un divorce par consentement mutuel. Deuxièmement, l’affaire WB concernait la délivrance par un notaire d’un certificat d’hérédité, qui diffère, tant par sa nature que par ses effets, d’une décision de divorce prononcé par un officier d’état civil. Troisièmement, dans cet arrêt, la Cour a indiqué que les notaires exercent une profession libérale qui implique la prestation de plusieurs services distincts contre rémunération (33), alors que la présente affaire concerne des agents publics qui exercent des compétences équivalentes à celles d’un juge.

52.      Le gouvernement allemand fait également valoir que le règlement no 2201/2003 ne vise pas les procédures de divorce du type de celle instituée par l’article 12 du décret-loi no 132/2014 dans la mesure où, au moment de l’adoption du règlement no 2201/2003, les législations des États membres ne prévoyaient pas de procédure de divorce extrajudiciaire. Comme il a été démontré aux points 32 à 40 des présentes conclusions, rien dans le libellé, le contexte ou les objectifs poursuivis par ce règlement ne permet de conclure que le législateur de l’Union a entendu exclure de telles procédures du régime de reconnaissance automatique institué par ledit règlement : en fait, ces indicateurs vont tous dans le sens opposé.

53.      Dans le même ordre d’idées, le gouvernement allemand fait valoir que, dès lors que les modifications apportées au règlement no 2201/2003 par le règlement no 2019/1111 étaient nécessaires pour que les procédures de divorce extrajudiciaires relèvent du champ d’application du premier de ces règlements et que ces modifications s’appliquent à compter du 1er août 2022, elles sont inapplicables ratione temporis aux faits du litige au principal.

54.      Ces arguments appellent trois observations de ma part. Premièrement, le législateur parle à travers les textes qu’il adopte. S’il est manifeste que les termes qu’il emploie peuvent être interprétés d’une certaine manière, il incombe à l’autorité judiciaire de le faire. Deuxièmement, il n’est nullement inhabituel que le juge de l’Union soit amené à interpréter une législation dans le cadre de circonstances de fait ou de droit nées après l’adoption de celle-ci. Ainsi que l’a rappelé l’avocat général Wathelet, en s’appuyant sur les conclusions de plusieurs de ses prédécesseurs, le droit de l’Union doit être interprété à la lumière du contexte actuel. Le droit ne peut pas être isolé de la réalité sociale et ne saurait se dispenser de s’adapter à cette réalité le plus rapidement possible, dès lors qu’il risquerait sinon d’imposer des points de vue dépassés et d’assumer un rôle statique (34). Conformément à cette position, le droit de l’Union doit être interprété de manière dynamique, afin d’éviter qu’il ne se « fossilise ». Troisièmement, les dispositions du droit de l’Union ne sauraient être interprétées à la lumière de modifications contenues dans la législation ultérieure (35). Comme le gouvernement allemand lui-même le reconnaît, en l’espèce, le règlement no 2019/1111 n’est pas applicable ratione temporis. Il n’est donc pas possible d’en tirer des conséquences aux fins de l’interprétation du règlement no 2201/2003.

55.      Pour être complet, j’examinerai la portée de l’exception à la reconnaissance automatique des décisions de divorce obtenues dans d’autres États membres fondée sur l’ordre public et régie par le règlement no 2201/2003, que le gouvernement polonais a invoquée lors de l’audience. L’article 22 de ce règlement contient une liste exhaustive d’exceptions au principe de reconnaissance mutuelle énoncé à l’article 21 dudit règlement. Aux termes de l’article 22, sous a), de ce même règlement, une décision relative à un divorce n’est pas reconnue si sa reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis.

56.      La Cour a relevé que le règlement no 2201/2003 est fondé sur la conception selon laquelle la reconnaissance et l’exécution des décisions rendues dans les États membres doivent reposer sur le principe de la confiance mutuelle (36). En conséquence, les motifs de non‑reconnaissance des décisions devraient être aussi limités que possible (37). La non‑reconnaissance d’une décision sur le fondement de l’ordre public est donc d’interprétation stricte, dans la mesure où elle constitue un obstacle à la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux du règlement no 2201/2003 (38). Dès lors, l’ordre public est un motif de non‑reconnaissance d’une décision qui ne doit jouer que dans des cas exceptionnels (39).

57.      Si les États membres sont, en principe, libres de déterminer ce que recouvre l’ordre public, les limites de cette notion doivent être définies par référence à l’article 22, sous a), du règlement no 2201/2003 (40). La Cour peut donc contrôler les limites dans lesquelles les autorités d’un État membre peuvent avoir recours à ladite notion pour ne pas reconnaître une décision émanant d’une juridiction ou d’une autorité compétente d’un autre État membre (41). Il ne peut donc être envisagé de recourir à l’exception de l’ordre public que dans l’hypothèse où la reconnaissance d’une décision adoptée dans un autre État membre heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’État membre requis ou, en d’autres termes, constituerait une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État membre requis (42). La portée de l’exception liée à l’ordre public est également limitée par l’article 25 du règlement no 2201/2003, en vertu duquel la reconnaissance d’une décision ne peut pas être refusée au motif que la loi de l’État membre requis ne permet pas le divorce, la séparation de corps ou l’annulation du mariage sur la base de faits identiques.

58.      L’arrêt Coman e.a. (43) semble pertinent dans ce contexte. L’obligation, pour un État membre, de reconnaître un mariage entre personnes de même sexe conclu dans un autre État membre conformément au droit de celui-ci, aux seules fins de l’octroi d’un droit de séjour à un ressortissant d’un État tiers, ne porte pas atteinte à l’institution du mariage dans le premier État membre en lui imposant d’autoriser le mariage entre personnes de même sexe. L’obligation faite à un État membre de reconnaître de tels mariages légalement conclus dans un autre État membre existe pour permettre aux personnes d’exercer les droits qu’elles tirent du droit de l’Union (44). L’obligation pour un État membre de reconnaître de tels mariages ne saurait donc présenter une menace pour son ordre public, même si la loi de cet État membre interdit les mariages entre personnes de même sexe (45).

59.      Il apparaît donc qu’un État membre ne saurait invoquer l’exception relative à l’ordre public visée à l’article 22 du règlement no 2201/2003 pour justifier la non‑reconnaissance d’une décision de divorce obtenue dans un autre État membre au motif qu’il n’existe pas de procédure similaire ou identique pour adopter une telle décision dans l’ordre juridique de l’État membre requis.

60.      Enfin, il convient de souligner que ce qui précède n’implique aucune obligation pour les États membres de prévoir une procédure de divorce extrajudiciaire.

61.      Dès lors, je propose à la Cour de répondre à la première question de la juridiction de renvoi que la dissolution d’un mariage par une procédure légale dans laquelle chacun des époux déclare personnellement qu’il souhaite divorcer devant un officier d’état civil, lequel confirme leur accord en leur présence au moins 30 jours plus tard, après avoir vérifié que les conditions requises par la loi pour la dissolution du mariage sont remplies, à savoir que les époux n’ont pas d’enfants mineurs ou d’enfants majeurs incapables, lourdement handicapés ou économiquement dépendants et que la convention entre les époux ne contient aucune clause de transfert de patrimoine, est une décision de divorce au sens du règlement no 2201/2003.

B.      Sur la seconde question

62.      Dans l’hypothèse où la Cour répondrait par la négative à la première question, la juridiction de renvoi demande si la règle relative aux actes authentiques et aux accords figurant à l’article 46 du règlement no 2201/2003 peut s’appliquer à une décision de divorce adoptée selon la procédure décrite au point 14 des présentes conclusions.

63.      Le gouvernement allemand estime que cette question appelle une réponse négative dans la mesure où la convention de divorce entre les époux n’est pas un accord exécutoire en droit italien, comme l’exige l’article 46 du règlement no 2201/2003, de telle sorte qu’elle peut bénéficier du système de reconnaissance automatique mis en place par ce règlement.

64.      Le gouvernement français, qui a limité ses observations à la seconde question, suggère, soutenu par le gouvernement estonien, que la convention concernée est un acte authentique ou un accord entre les parties qui, pour autant qu’il soit doté de la force exécutoire en vertu du droit italien, devrait bénéficier d’une reconnaissance en tant que telle. Compte tenu de la réponse qu’elle propose d’apporter à la première question, la Commission estime qu’il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

65.      Comme le montre ma proposition de réponse à la première question, je suis d’avis qu’une décision de divorce prise selon la procédure décrite au point 14 des présentes conclusions constitue une décision de divorce au sens du règlement no 2201/2003. Dès lors, le divorce qui fait l’objet de la décision de renvoi ne constitue ni un acte authentique ni un accord entre les parties au sens de l’article 46 de ce règlement.

V.      Conclusion

66.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre en ces termes aux questions préjudicielles posées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) :

La dissolution d’un mariage par une procédure légale dans laquelle chacun des époux déclare personnellement qu’il souhaite divorcer devant un officier d’état civil, lequel confirme leur accord en leur présence au moins 30 jours plus tard, après avoir vérifié que les conditions requises par la loi pour la dissolution du mariage sont remplies, à savoir que les époux n’ont pas d’enfants mineurs ou d’enfants majeurs incapables, lourdement handicapés ou économiquement dépendants et que la convention entre les époux ne contient aucune clause de transfert de patrimoine, est une décision de divorce au sens du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000.


1      Langue originale : l’anglais.


2      JO 2003, L 338, p. 1.


3      Les versions linguistiques suivantes de l’article 2, point 1, du règlement no 2201/2003 contiennent une définition similaire du terme « juridiction » : les versions en langue espagnole, tchèque, danoise, allemande anglaise, italienne, néerlandaise, polonaise, portugaise, roumaine, slovaque et suédoise


4      Les versions linguistiques suivantes de l’article 2, point 2, du règlement no 2201/2003 contiennent une définition similaire du terme « juge » : les versions en langues espagnole, tchèque, danoise, allemande, anglaise, italienne, néerlandaise, polonaise, portugaise, roumaine, slovaque et suédoise.


5      Les versions linguistiques suivantes de l’article 2, point 4, du règlement no 2201/2003 contiennent une définition similaire du terme « décision » : les versions en langues espagnole, tchèque, danoise, allemande, anglaise, italienne, néerlandaise, polonaise, portugaise, roumaine, slovaque et suédoise.


6      GURI no 212, du 12 septembre 2014, p. 1.


7      TB a formé contre ce refus un recours distinct, qui est actuellement pendant devant le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin, Allemagne).


8      Voir Bogdzevič, K., Kaminskienė, N., et Vaigė, L., « Non-Judicial Divorces and the Brussels II bis Regulation : To Apply or Not Apply ? », International Comparative Jurisprudence, 2021, vol. 7, no 1, p. 31 à 39.


9      JO 2019, L 178, p. 1.


10      Arrêt du 24 mars 2021, MCP (C‑603/20 PPU, EU:C:2021:231, point 37 et jurisprudence citée).


11      Considérants 1 et 2 du règlement no 2201/2003.


12      Arrêt du 16 janvier 2019, Liberato (C‑386/17, EU:C:2019:24, points 41 et 44, et jurisprudence citée).


13      Considérant 1 du règlement no 2201/2003.


14      Arrêt du 20 décembre 2017 (C‑372/16, EU:C:2017:988).


15      Arrêt du 20 décembre 2017, Sahyouni (C‑372/16, EU:C:2017:988, points 17 à 21).


16      JO 2010, L 343, p. 10.


17      Article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1259/2010.


18      Arrêt du 20 décembre 2017, Sahyouni (C‑372/16, EU:C:2017:988, point 40).


19      Arrêt du 20 décembre 2017, Sahyouni (C‑372/16, EU:C:2017:988, points 41 et 42). Au point 43 de cet arrêt, la Cour a également relevé que ces deux règlements ont été adoptés dans le cadre de la coopération judiciaire en matière civile.


20      Arrêt du 20 décembre 2017, Sahyouni (C‑372/16, EU:C:2017:988, points 45 à 49).


21      Arrêt du 20 décembre 2017 (C‑372/16, EU:C:2017:988).


22      Arrêt du 14 octobre 2004 (C‑39/02, EU:C:2004:615).


23      Arrêt du 2 juin 1994 (C‑414/92, EU:C:1994:221).


24      Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1978, L 304, p. 1 ; ci-après la « convention de Bruxelles »).


25      Arrêt du 14 octobre 2004 (C‑39/02, EU:C:2004:615).


26      Arrêt du 14 octobre 2004, Mærsk Olie & Gas (C‑39/02, EU:C:2004:615, points 45 et 46).


27      Arrêt du 2 juin 1994 (C‑414/92, EU:C:1994:221).


28      Arrêt du 2 juin 1994, Solo Kleinmotoren (C‑414/92, EU:C:1994:221, point 18).


29      Arrêt du 14 octobre 2004 (C‑39/02, EU:C:2004:615).


30      Arrêt du 2 juin 1994 (C‑414/92, EU:C:1994:221).


31      Arrêt du 23 mai 2019 (C‑658/17, EU:C:2019:444).


32      JO 2012, L 201, p. 107.


33      Arrêt du 23 mai 2019, WB (C‑658/17, EU:C:2019:444, point 60).


34      Conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Coman e.a. (C‑673/16, EU:C:2018:2, point 53).


35      Voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2017, Aebtri (C‑224/16, EU:C:2017:880, points 18, 19 et 64).


36      Considérant 21 du règlement no 2201/2003.


37      Arrêt du 16 janvier 2019, Liberato (C‑386/17, EU:C:2019:24, point 46).


38      Arrêt du 16 janvier 2019, Liberato (C‑386/17, EU:C:2019:24, point 55).


39      Voir, par analogie, arrêt du 25 mai 2016, Meroni (C‑559/14, EU:C:2016:349, point 38).


40      Voir, par analogie, arrêt du 25 mai 2016, Meroni (C‑559/14, EU:C:2016:349, point 39).


41      Voir, par analogie, arrêt du 25 mai 2016, Meroni (C‑559/14, EU:C:2016:349, point 40).


42      Voir, par analogie, arrêts du 28 mars 2000, Krombach (C‑7/98, EU:C:2000:164, point 37) ; du 19 novembre 2015, P (C‑455/15 PPU, EU:C:2015:763, point 39), et du 25 mai 2016, Meroni (C‑559/14, EU:C:2016:349, point 42).


43      Arrêt du 5 juin 2018 (C‑673/16, EU:C:2018:385, point 44 et jurisprudence citée).


44      Arrêt du 5 juin 2018, Coman e.a. (C‑673/16, EU:C:2018:385, point 45).


45      Arrêt du 5 juin 2018, Coman e.a. (C‑673/16, EU:C:2018:385, point 46).