La singularité préservée des privilèges immobiliers alsaciens-mosellans
Cass. 3e civ., 1er oct. 2020, no 18-16888, ECLI:FR:CCAS:2020:C300725, FS–PBRI (cassation) : https://lext.so/CC18-16888 ; Defrénois 15 oct. 2020, n° 164t3, p. 7
Véritable « joyau du droit local »1, le livre foncier est une horlogerie fine que l’intrusion d’un corps étranger pourrait facilement dérégler2. Forte de cette conviction, la Cour de cassation s’oppose ici opportunément à l’application du délai d’inscription de 2 mois laissé au vendeur à crédit pour inscrire son privilège (C. civ., art. 2379, al. 1er) qui, s’il peut avoir un sens dans le système du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, n’en a guère au regard des principes gouvernant l’inscription des sûretés en Alsace-Moselle3.
Il faut, pour le comprendre, souligner la différence capitale qui sépare, pour quelque temps encore (v. infra), le droit général et le droit local s’agissant du privilège de vendeur d’immeuble (et, plus largement, de tous les privilèges immobiliers spéciaux). Dans le premier cas, la sûreté, pour peu qu’elle soit inscrite dans les 2 mois de l’acte qui lui a donné naissance4, prendra rang à la date de cet acte, quand bien même un autre créancier du nouveau propriétaire de l’immeuble aurait inscrit une hypothèque du chef de ce dernier (C. civ., art. 2386, al. 1er)5. Pareille rétroactivité est au contraire impensable dans le[...]
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Weill A., « Préface », in Lotz F., Droit civil alsacien-lorrain, 1978, Paris, Librairies Techniques, p. VI. L’expression est reprise par Sander E., « La situation du droit local alsacien-mosellan au début du XXIe siècle », in Mélanges en l’honneur de Jean-Luc Vallens, 2017, Joly, p. 273 et s., spéc. p. 286.
Quel meilleur exemple que celui du privilège occulte du syndicat des copropriétaires (L. n° 94-624, 21 juill. 1994) qui, pour s’acclimater aux exigences du livre foncier, nécessita une modification de la loi du 1er juin 1924 par la loi du 6 avril 1998 ? V., sur cette question, Sander E., « Privilège du syndicat des copropriétaires et régime hypothécaire », JCP N 1999, 1525.
JCP N 2020, 838, obs. Séjean-Chazal C. ; D. 2020, p. 2276, note Pellier J.-D ; Sol. Not. 34/20, n° 5, obs. Vix O.
Ou dans les 4 mois du décès pour le privilège de séparation des patrimoines (C. civ., art. 2383).
C’est pourquoi d’ailleurs l’on peut parler de « privilège » : son classement ne dépend pas de l’ordre des inscriptions, mais est fixé par la loi, qui fait prendre rang à la sûreté à la date de naissance de la créance garantie.
L. 1er juin 1924, art. 52 : « L’inscription des privilèges et des hypothèques est sans effet rétroactif ».
V. déjà, à propos du privilège du copartageant, CA Colmar, 23 mars 2005, n° 12M41/05, cité par Hubé F., Comprendre le livre foncier d’Alsace-Moselle et le pratiquer, 2013, Larcier, spéc. n° 309.
« Droit commun » au sens territorial du terme : v. Balat N., Essai sur le droit commun, Grimaldi M. (préf.), 2016, LGDJ.
Cons. const., 5 août 2011, n° 2011-157 QPC, décidant qu’« à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, [les] dispositions particulières [aux départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle] ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi ».
Observons que le décret du 4 janvier 1955, d’où est issu l’article 2379 dans sa rédaction actuelle, dispose nettement qu’« il n’est pas dérogé aux dispositions du chapitre III de la loi du 1er juin 1924, régissant les droits sur les immeubles situés dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle » (D. n° 55-22, 4 janv. 1955, art. 52).
La créance privilégiée « dégénèrerait » alors… en créance chirographaire !
V. le titre éloquent du commentaire réalisé par Me Olivier Vix de cet arrêt : « Livre foncier : le privilège du vendeur s’assimile ab initio à une hypothèque légale ordinaire », Sol. Not. 34/20, n° 5 ; adde Hubé F., Comprendre le livre foncier d’Alsace-Moselle et le pratiquer, 2013, Larcier, spéc. p. 128 : « En droit local, le privilège du vendeur n’a jamais été qu’une hypothèque légale ».
Flour J., Cours de droit civil, Droit civil, Licence 3e année, 1961-1962, Les Cours de droit, spéc. p. 643.
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