Le consensualisme comme source de contentieux dans la vente immobilière
1re commission « L’ingénierie notariale au service du projet immobilier »
Le contrat de vente d’immeuble est soumis au principe général du consensualisme. Cette application de la règle commune interpelle au regard des spécificités de ce contrat mais également des nombreuses interventions législatives ayant alourdi sa pratique quotidienne en la formalisant.
Ce principe apparaît également comme étant à l’origine d’un contentieux abondant. Rappeler celui-ci, c’est aussi inciter le notaire à développer son ingénierie pour le solutionner.
L’équipe du 118e congrès des notaires sera source de propositions sur ce point.
Le droit des contrats est souvent le siège de considérations opposées, aux effets contraires. Le contrat de vente, présenté comme le « contrat modèle » du Code civil1 qui, à ce titre, apparaît donc comme étant le plus soumis à la théorie générale des obligations2, n’échappe pas à cette règle. Il illustre parfaitement l’opposition pouvant exister entre le principe du consensualisme et les exceptions à celui-ci, empruntes de formalités, voire de solennités. Il a pu être relevé que certains principes du droit sont à l’instar des règles de grammaire : « Leur existence semble suspendue à la somme des exceptions qui les encadrent. »3 Il en va ainsi du principe du consensualisme, ce que son application au contrat de vente illustre parfaitement.
Par essence consensuel, le contrat de vente voit néanmoins s’appliquer de nombreuses prescriptions de nature[...]
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M.-E. Ancel, « La vente dans le Code civil : raisons et déraisons d’un modèle contractuel », in T. Revet (dir.), Code civil et modèles. Des modèles du Code au Code comme modèle, 2005, LGDJ, p. 285 et s.
P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 11e éd., 2020, LGDJ, Droit civil, p. 55, n° 54. Citant J. Carbonnier, « Sociologie de la vente », in Travaux et conférences de l’Université libre de Bruxelles, t. VIII, 1960, Bruxelles, Larcier, Faculté de droit ; repris dans J. Carbonnier, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., 2001, LGDJ, p. 191-4204 et dans J. Carbonnier, Écrits, 2008, PUF, p. 521.
V. Forray, Le consensualisme dans la théorie générale du contrat, t. 480, 2007, LGDJ, Thèses, Bibliothèque de droit privé.
Le doyen Carbonnier rappelait ainsi que « les droits sont comme s’ils n’existaient pas s’ils ne peuvent être prouvés » (J. Carbonnier, Droit civil. Introduction, 25e éd. refondue, PUF, Thémis, Droit privé, p. 308 et 309).
C. civ., art. 1359, al. 1er : « L’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique ». Principe énoncé auparavant par l’Ordonnance royale de Moulins de 1566.
1 500 €, par application de D. n° 80-533, 15 juill. 1980, pris pour l’application de l’article 1341 du Code civil, tel que mod. par D. n° 2016-1278, 29 sept. 2016.
À moins d’invoquer le bénéfice de l’exception à ce principe, prévue sous l’article 1360 du Code civil (« Les règles prévues à l’article précédent reçoivent exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure »). Devra dans ce cas être justifié d’un usage faisant qu’en matière de vente immobilière l’écrit n’est point retenu habituellement (ce qui paraît tout de même pour le moins hasardeux) ou une perte de l’écrit par la force majeure.
R. Libchaber, « Le rôle probatoire des lettres missives et le consensualisme dans la cession de parts sociales », Rev. sociétés 1992, p. 732, n° 17.
La définition communément retenue du pacte renvoyant à une convention revêtant une certaine solennité. V. not. G. Cornu (dir.), Vocabulaire Juridique. Association Henri Capitant, 14e éd., 2022, PUF, Dictionnaires Quadrige.
D. n° 55-22, 4 janv. 1955, portant réforme de la publicité foncière, art. 28.
J. Carbonnier, « Sociologie de la vente », in Travaux et conférences de l’Université libre de Bruxelles, t. VIII, 1960, Faculté de droit, Bruxelles, Larcier.
V. not. T. Delesalle et O. Herrnberger, « La vente d’immeuble. Sécurité et transparence », in 99e congrès des notaires de France, 2003, Deauville, p. 35, spéc. : « La liberté contractuelle et le consensualisme sont devenus des notions désuètes, attaquées de toutes parts au nom de la protection du consommateur, qui n’est autre que l’acquéreur ».
C. Gijsbers, « L’impact de la loi Elan sur les ventes immobilières », RDI 2019, p. 38.
Cass. civ., 31 mars 1936 : « La vente étant un contrat purement consensuel, sa validité est indépendante de l’instrument qui la constate ; qu’il suit de là que la transcription d’une vente est opposable aux tiers, alors même que l’acte qui la constate serait incomplet ou irrégulier, s’il n’est pas démontré (…) que la convention elle-même soit entachée de nullité ».
J. Mestre, « En matière de contrat, le principe reste le consensualisme », RTD civ. 1991, p. 315.
Cass. 3e civ., 27 nov. 1990, n° 89-14033 : Bull. civ. III, n° 255 ; RJDA 1991, I, n° 14.
V. not. J. Flour, « Quelques remarques sur l’évolution du formalisme », in Le droit privé français au milieu du XXe siècle, Études offertes à Georges Ripert, t. I, 1950, LGDJ, qui retient que le consensualisme est défini comme une « victoire des droits modernes sur le matérialisme des législations primitives ».
Ce qui est le cas, par exemple, d’un engagement de confidentialité. Bien que le contrat de vente ne soit pas formé, le non-respect de l’engagement de confidentialité résultant d’un engagement contractuel engage la responsabilité contractuelle de la partie défaillante.
Rien ne semble s’opposer à ce qu’une telle faculté soit contractuellement prévue entre les parties. Mais cela ne se rencontre guère en pratique.
Nous verrons plus loin que d’autres actions sont également envisageables, en ce qu’elles poursuivent d’autres objectifs : réparation, libération, voire incitation. V. nos développements infra II, B, « Les sanctions de l’inexécution du contrat ».
Ce qui reviendrait à demander l’exécution forcée en nature en raison du non-respect d’une obligation de faire (C. civ., art. 1217).
J. Lafond, JCl. Civil Code, Formulaire, fasc. 104, Avant-contrat – Promesse synallagmatique de vente – Difficultés d’exécution, nos 41 à 43.
Commission de réforme de la publicité foncière, rapp., p. 17 et 18.
« La publicité foncière (…) est une mission de service public ayant pour finalité de porter à la connaissance de tous, en les rendant opposables, les droits exercés individuellement sur les immeubles », rapp. au président de la République relatif à ord. n° 2010-638, 10 juin 2010, portant suppression du régime des conservateurs des hypothèques.
Pouvant se définir comme la « succession dans le temps de deux publicités relatives au même droit ou au même acte, et dont l’effet se produira à compter de la première publicité, alors que la publicité n’atteindra sa perfection que lors de la deuxièmes formalité ». M. Dagot, « Le temps et la publicité foncière », in Mélanges offerts à Pierre Hébraud, 1981, Université des sciences sociales de Toulouse, Paris, p. 221.
C. Grimaldi, Droit des biens, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 677.
Le système français de publicité foncière n’étant pas créateur ou constitutif de droit (à l’inverse du système allemand via l’inscription au livre foncier).
Prorogeables par la publication d’une ou plusieurs ordonnances successives rendues à cet effet par le président du tribunal saisi : D. n° 55-22, 4 janv. 1955, art. 37 in fine.
Elle n’ouvre que la possibilité de rétroagir à la date de la première publication si un droit de propriété sur le bien était reconnu ultérieurement.
Il s’agissait au cas particulier d’une assignation en exécution forcée d’une promesse unilatérale de vente mais le raisonnement nous semble transposable à notre situation.
Cass. 3e civ., 28 janv. 2021, n° 19-24962, D : DEF 6 mai 2021, n° DEF200s2, obs. M. Luchel.
M. Luchel, obs. ss Cass. 3e civ., 28 janv. 2021, n° 19-24962, DEF 6 mai 2021, n° DEF200s2.
Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des obligations, du régime général et de la preuve des obligations : JO, 11 févr. 2016. Ratifiée en application de L. n° 2018-287, 20 avr. 2018, art. 1er.
Telle qu’elle résultait de l’ancien article 1142 du Code civil.
C. civ., art. 1221 : « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».
C. civ., art. 1217 : « La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut : - refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ; - poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ; - obtenir une réduction du prix ; - provoquer la résolution du contrat ; - demander réparation des conséquences de l’inexécution. Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter ».
Nous ne développerons pas la sanction consistant à invoquer l’exception d’inexécution, qui peut néanmoins se retrouver en pratique. Ainsi d’un vendeur défaillant qui se voit opposer le refus de l’acquéreur de payer le prix et de l’acquéreur défaillant qui voit le vendeur ne pas libérer les lieux, dans l’attente du respect du contrat par l’acquéreur.
P. Simler, JCl. Not. Rép., V° « Contrats et obligations », fasc. 14, « Contrat, Inexécution du contrat, Exécution forcée en nature », nos 31 et s.
P. Simler, JCl. Not. Rép., V° « Contrats et obligations », fasc. 14, « Contrat, Inexécution du contrat, Exécution forcée en nature », nos 19 et s.
C. civ., art. 1224 : « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice ».
C. civ., art. 1106, al. 1er : « Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres ».
P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 11e éd., 2020, LGDJ, Droit civil, n° 62.
Nous renvoyons à nos développements supra sous II, A, « La constatation judiciaire de la vente ».
C. civ., art. 1226 : « Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l’inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l’inexécution ».
À la suite de la réforme opérée par ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, en lieu et place des anciens articles 1146 et suivants du Code civil.
C. civ., art. 1231-2 : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après ».
P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 11e éd., 2020, LGDJ, Droit civil, n° 601.
Sauf les hypothèses de dol ou de faute lourde, v. C. civ., art. 1231-3.
Sans tenir compte de la personnalité propre ou des compétences du débiteur de l’obligation non respectée mais en s’appuyant sur ce qu’une personne raisonnable ferait dans une même situation.
C. civ., art. 1582 : « La vente est une convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer. Elle peut être faite par acte authentique ou sous seing privé ».
Des mêmes auteurs, « Vers une solennisation de la vente d’immeuble ? », JCP N 2022, n° 1, étude 1006, p. 44. En ce sens également, R. Nerson, « La solennisation de la vente d’immeuble », in Études juridiques offertes à Léon Julliot de La Morandière, 1964, Dalloz ; D. 2018, p. 1603, obs. V. Pezzella.
Les sanctions de l’inexécution du contrat resteraient quant à elles applicables bien entendu.
R. Libchaber, « Le rôle probatoire des lettres missives et le consensualisme dans la cession de parts sociales », Rev. sociétés 1992, p. 732, n° 17.
C. Farenc, « L’acte authentique : une garantie suffisante en soi », LPA 15 oct. 2020, n° LPA156n2.
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