Délit de prise illégale d'intérêts : un législateur très intéressé
Sans attendre la future réforme de la loi Sapin 2 consacrée à la lutte contre la corruption, le législateur a décidé, à l’occasion de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, de procéder à une double modification du délit de prise illégale d’intérêts. La première modification, qui était attendue, a permis de clarifier la définition de l’infraction : la notion d’« intérêt quelconque » étant remplacée par l’expression « un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité » (C. pén., art. 432-12). La seconde modification, superflue, a consisté a créer un délit de prise illégale d’intérêts par un magistrat ou toute personne exerçant des fonctions juridictionnelles (C. pén., art. 432-12-1), comportement déjà réprimé par la jurisprudence sous l’article 432-12 du Code pénal.
Infraction ancienne, le délit de prise illégale d’intérêts se présente aujourd’hui comme « le dispositif privilégié de traitement des conflits d’intérêts en France »1. L’objectif de ce manquement au devoir de probité est de réprimer la partialité du fonctionnaire qui se trouve à « jouer à la fois les deux rôles incompatibles de [surveillant] et de [surveillé] »2. En raison de son caractère préventif, le délit de prise illégale d’intérêts[...]
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Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, rapp., 26 janv. 2011, pour une nouvelle déontologie de la vie publique, p. 30.
E. Garçon, Code pénal annoté, 2e éd., 1952, Recueil Sirey, Rousselet, Patin, Ancel, art. 175, n° 9.
Cass. crim., 21 juin 2000, n° 99-86871 : Bull. crim., n° 239.
P. Conte, « Le délit d’ingérence (et spécialement sa commission par un maire ou par un conseiller municipal) », Gaz. Pal. Rec. 1992, 1, doctr., p. 72.
Observatoire SMACL, rapp. annuel 2021. Le taux de mise en cause pénale des élus locaux est inférieur à 0,32 % et plus de 60 % des procédures engagées se soldent par une décision favorable aux élus poursuivis.
Y. Muller-Lagarde, « Le délit de prise illégale d’intérêts : de la sanction d’un devoir civique à la prévention d’un conflit d’intérêts », Arch. pol. crim. 2017, n° 39, p. 42.
G. Carcassonne, audition AN, le Groupe de travail sur la prévention des conflits d’intérêts, 9 déc. 2010.
Ce que faisait déjà l’ancien article 175 du Code pénal qui visait « quelque intérêt que ce soit ».
Prop. L. n° 4586, 19 oct. 2021, visant à renforcer la lutte contre la corruption : Lexbase Droit pénal nov. 2021, p. 42-46.
À noter qu’en parallèle, la loi du 21 février 2022 (relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale) est venue sécuriser partiellement la situation des élus locaux qui représentent une collectivité territoriale ou un groupement au sein d’organismes extérieurs. Désormais, ces derniers « ne sont pas considérés, du seul fait de cette désignation, comme ayant un intérêt, au sens de l’article L. 2131-11 du présent code, de l’article 432-12 du Code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur une affaire intéressant la personne morale concernée ou lorsque l’organe décisionnel de la personne morale concernée se prononce sur une affaire intéressant la collectivité territoriale ou le groupement représenté » (CGCT, art. L. 1111-6, I). Cette présomption de non-intérêt ne s’applique pas dans plusieurs situations où ces élus doivent se déporter sous peine de poursuites pour prise illégale d’intérêts. Ils ne peuvent pas participer aux décisions de la collectivité territoriale ou du groupement attribuant à la personne morale concernée un contrat de la commande publique, une garantie d’emprunt ou une aide, ni aux commissions d’appel d’offres ou à la commission pour les délégations de service public lorsque la personne morale concernée est candidate, ni aux délibérations portant sur leur désignation ou leur rémunération au sein de la personne morale concernée.
AN, proj. L. n° 4091, 14 avr. 2021.
Commission mixte paritaire, proj. L. n° 4604, 21 oct. 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire, art. 10 bis.
Selon le Conseil d’État, « l’exposé des motifs du projet de loi ne comporte pas de considérations sur son inspiration générale, autre que celle que traduit son titre, qui relierait les mesures les unes aux autres (…) » (CE, avis sur le projet de loi, 8 avr. 2021).
V. not. J.-M. Brigant, « Affaires, conflits d’intérêts, probité... Cachez cette prise illégale d’intérêts que je ne saurais voir », Dr. pén. 2012, étude 3.
Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, rapp., 26 janv. 2011, pour une nouvelle déontologie de la vie publique, p. 36.
F. Stasiak, « La réforme du délit de prise illégale d’intérêts par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 : confiance dans l’institution judiciaire ou défiance dans l’institution parlementaire ? », Dr. pén. 2022, étude 6, n° 14 : « D’ailleurs, si l’adjectif “quelconque” pose véritablement problème au regard de la légalité criminelle, il conviendrait d’éradiquer du Code pénal toute référence à celui-ci, en commençant par les avantages “quelconques” que peut solliciter ou agréer le corrompu [v. C. pén., art. 432-11, C. pén., art. 433-1, C. pén., art. 435-1, C. pén., art. 435-2, C. pén., art. 435-3, C. pén., art. 435-4, C. pén., art. 435-7, C. pén., art. 435-8, C. pén., art. 435-9, C. pén., art. 435-10, C. pén., art. 445-1, C. pén., art. 445-1-1, C. pén., art. 445-2 et C. pén., art. 445-2-1] et en élargissant, par exemple, aux biens “quelconques” qui peuvent être obtenus par l’escroc (C. pén., art. 313-1) ou détournés par l’auteur d’un abus de confiance (C. pén., art. 314-1). »
Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, rapp., 26 janv. 2011, pour une nouvelle déontologie de la vie publique, p. 36 ; v. également https://lext.so/2apA13.
HATVP, rapp. d’activité 2020, 3 juin 2021, p. 53.
CGFP, art. L. 123-1 (L. n° 83-634, 13 juill. 1983, art. 25 septies anc.) ; L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 2.
J.-F. Kerléo, « Réformes de la prise illégale d’intérêts : l’alignement du droit pénal sur le droit administratif », JCP A 2022, étude 2058.
Cass. crim., 17 déc. 2008, n° 08-82318 : Bull. crim., n° 258.
F. Stasiak, « La réforme du délit de prise illégale d’intérêts par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 : confiance dans l’institution judiciaire ou défiance dans l’institution parlementaire ? », Dr. pén. 2022, étude 6, n° 15.
Cass. crim., 20 déc. 2017, n° 17-81975 ; Cass. crim., 19 mars 2014, n° 14-90001.
Cass. crim., 19 mars 2008, n° 07-84288 ; Cass. crim., 22 oct. 2008, n° 08-82068.
Afin d’éviter des poursuites dilatoires, l’article 6-1 du Code de procédure pénale a été modifié et complété par l’alinéa suivant : « Le présent article est notamment applicable en cas de poursuites sur le fondement de l’article 432-12-1 du Code pénal. »
L. n° 2021-1729, 22 déc. 2021, art. 15.
M. Bonnecarrère et Mme Canayer, amendement n° COM-90, proj. L. n° 630, pour la confiance dans l’institution judiciaire (amendement inspiré de celui déposé le 12 mai 2021 devant l’Assemblée nationale par M. Savignat).
M. Bonnecarrère et Mme Canayer, amendement n° COM-90, proj. L. n° 630, pour la confiance dans l’institution judiciaire (amendement inspiré de celui déposé le 12 mai 2021 devant l’Assemblée nationale par M. Savignat).
A. Vitu, Traité de droit criminel, 1981, Cujas, p. 246, n° 292 : Il s’agit de « toute personne qui est titulaire d’un pouvoir de décision et de contrainte sur les individus et les choses, pouvoir qu’elle manifeste dans l’exercice de ses fonctions, permanentes ou temporaires, dont elle est investie par délégation de la puissance publique ».
Cass. crim., 30 janv. 2013, n° 11-89224 : « Doit être regardée comme chargée d’une mission de service public, (…) toute personne chargée, directement ou indirectement, d’accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l’intérêt général, peu important qu’elle ne disposât d’aucun pouvoir de décision au nom de la puissance publique » (pour une application à des parlementaires : Cass. crim., 27 juin 2018, n° 18-80069).
CA Lyon, 26 juill. 1910 : S. 1914, 2, p. 108 ; DP 1913, 3, p. 30 (juge du tribunal de commerce) – Cass. crim., 11 oct. 2006, n° 06-83434 (président d’un tribunal de grande instance).
W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, 2005, Dalloz, p. 308, n° 217.
Cass. crim., 14 juin 2000, n° 99-84054 : Bull. crim., n° 221.
L. Saban, « Magistrats et Élus : la guerre est déclarée… ? », JCP A 2021, 648.
F. Stasiak, « La réforme du délit de prise illégale d’intérêts par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 : confiance dans l’institution judiciaire ou défiance dans l’institution parlementaire ? », Dr. pén. 2022, étude 6, n° 1.
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