Quand la hiérarchie des normes n'arrive pas à s'imposer aux experts
L’infection nosocomiale, une notion médico-légale et non médicale qui doit être enfin comprise
L’indemnisation des victimes d’infection nosocomiale repose sur la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. En l’absence d’une définition législative ou réglementaire, il est revenu à la jurisprudence de définir les infections nosocomiales. Cette évolution permanente est source de difficultés chez les experts interrogés sur la nature nosocomiale d’une infection dans le cadre d’une expertise médicale. Les auteurs reviennent sur cette notion et discutent des dernières évolutions jurisprudentielles.
« In hortulo iuris nil spinosum », « Il n’y a pas de ronces dans le jardin du droit. »
Cette locution latine médiévale illustre la mobilisation par les juristes de cette époque, d’un droit assez hétérogène. Il s’agit d’un principe plaidant pour une compatibilité des différents acteurs et sources, aucun ne devant être perçu comme étranger ou nuisible (comme une ronce).
Cette métaphore d’un jardin harmonieux connaîtra un grand succès, certains auteurs du XIXe siècle allant même jusqu’à suggérer d’enlever les mauvaises herbes dans le jardin du droit, afin d’en retrouver les plantes cachées et abîmées par tant de ronces.
Également, la métaphore horticole conduira Jeremy Bentham à introduire l’idée d’une greffe juridique. Si à l’époque, l’image relève du lexique botanique, son double sens médical résonne[...]
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Santé publique France, Enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales et traitement anti-infectieux en établissements de santé, mai-juin 2017.
https://www.atih.sante.fr/chiffres-cles-de-l-hospitalisation.
B. Coignard, « Hôpitaux : un patient sur vingt touché par une infection nosocomiale », Le Parisien, 4 juin 2018.
Rapp. Sénat n° 421, 22 juin 2006, Prévenir les infections nosocomiales : une exigence de qualité des soins hospitaliers, synthèse, https://www.senat.fr/rap/r05-421/r05-42113.html.
Collectif, Le point de vue de l’assureur, Prévention du risque infectieux, 2013, Conseil médical SHAM.
Le Conseil d’État estime qu’il n’y a pas lieu de tenir compte du fait que la cause directe de cette infection a le caractère d’un accident médical non fautif ou en lien avec une pathologie préexistante : CE, 5e-6e ch. réunies, 1er févr. 2022, n° 440852.
On notera que cette notion de cause exclusive se retrouve dans le cadre de la loi Badinter (faute inexcusable, cause exclusive de l’accident) mais n’est pas exigée en matière d’infection nosocomiale !
B. Gachot. « Le risque médico-judiciaire des infections nosocomiales », Méd. et dr. 2019, n° 159, p. 137-141.
La flore saprophyte (contraire de pathogène), c’est-à-dire ne présentant pas de danger pour l’organisme, est constituée de bactéries qui vivent normalement dans l’organisme. On peut utiliser aussi le terme « germe endogène ».
Collectif, Le point de vue de l’assureur, Prévention du risque infectieux, 2013, Conseil médical SHAM.
Cass. 1re civ., 23 sept. 2020, n° 19-17217 : « Alors que, premièrement, les établissements de soins sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ; que, même provoquée par un germe endogène du patient, une infection ne procède pas d’une circonstance extérieure à l’activité de l’établissement si elle est consécutive aux soins qui y ont été dispensés ; qu’en jugeant que l’infection à staphylocoque doré apparue dans les suites d’une arthroplastie totale du genou réalisée à la clinique Belvédère le 20 novembre 2016 ne présentait pas un caractère nosocomial, après avoir pourtant retenu, sur la base du rapport d’expertise judiciaire, qu’elle résultait d’une contamination de la plaie opératoire de l’extérieur vers l’intérieur à partir d’un retard de cicatrisation permettant une contamination du site opératoire par des germes cutanés de voisinage sur cette zone du genou, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, à savoir que l’infection à staphylocoque doré présentée par M. S. n’était pas étrangère aux soins qui lui avaient été dispensés au sein de la clinique Belvédère le 20 novembre 2016, a violé l’article L. 1142-1, I, ensemble l’article R. 6111-6 du Code de la santé publique. »
Cass. 1re civ., 14 juin 2007, n° 06-10812 ; CE, 10 oct. 2011, n° 328500.
CE, 5e-6e ch. réunies, 1er févr. 2022, n° 440852 : « Il résulte des termes de l’arrêt attaqué que, pour juger que la péritonite dont M. B. a été victime le 6 mai 2009 ne revêtait pas le caractère d’une infection nosocomiale au sens des dispositions citées ci-dessus, la cour administrative s’est fondée sur ce que cette infection avait pour cause directe la rétractation de la colostomie réalisée le 1er mai précédent, accident médical non fautif qui est au nombre des complications susceptibles de survenir lorsqu’une colostomie est réalisée sur un patient souffrant de la pathologie dont M. B. était déjà atteint avant son admission à l’hôpital. En statuant ainsi, alors que cette infection devait être regardée, du seul fait qu’elle était survenue lors de la prise en charge de M. B. au sein de l’établissement hospitalier, sans qu’il ait été contesté devant le juge du fond qu’elle n’était ni présente ni en incubation au début de celle-ci et qu’il était constant qu’elle n’avait pas d’autre origine que cette prise en charge, comme présentant un caractère nosocomial, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection, à savoir la rétraction de la colostomie, avait le caractère d’un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante, la cour a commis une erreur de droit. »
P. Jourdain, « Infections nosocomiales : l’obligation de résultat et la preuve du lien de causalité », RTD civ. 2001, p. 596.
C. Lantero, « Une infection déclarée à l’hôpital n’est pas nécessairement une infection contractée à l’hôpital », AJDA 2013, p. 2171.
F. Defferrard, Une analyse de l’obligation de sécurité à l’épreuve de la cause étrangère, 1999, Dalloz, p. 364.
A. Guégan, « Les symptômes d’une crise avérée de l’expertise en réparation du dommage corporel : approche médico-légale », GPL 25 janv. 2022, n° GPL431c9.
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