ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

7 avril 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 650/2012 – Article 10 – Compétences subsidiaires en matière de successions – Résidence habituelle du défunt au moment de son décès située dans un État non lié par le règlement (UE) no 650/2012 – Défunt ayant la nationalité d’un État membre et possédant des biens dans cet État membre – Obligation pour la juridiction dudit État membre saisie d’examiner d’office les critères de ses compétences subsidiaires – Désignation d’un mandataire successoral »

Dans l’affaire C‑645/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 18 novembre 2020, parvenue à la Cour le 1er décembre 2020, dans la procédure

V A,

Z A

contre

TP,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. I. Jarukaitis, M. Ilešič (rapporteur), D. Gratsias et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour TP, par Me F. Rocheteau, avocat,

pour le gouvernement français, par Mmes A. Daniel et A.-L. Desjonquères, en qualité d’agents,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, initialement par MM. I. Herranz Elizalde et S. Jiménez García, puis par M. I. Herranz Elizalde, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, initialement par Mme C. Valero et M. M. Wilderspin, puis par Mme C. Valero, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 décembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (JO 2012, L 201, p. 107, et rectificatifs JO 2012, L 344, p. 3 ; JO 2013, L 60, p. 140, et JO 2019, L 243, p. 9).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant V A et Z A (ci-après les « requérants au principal »), des enfants de XA, à TP, l’épouse de ce dernier, au sujet d’une demande tendant à la désignation d’un mandataire successoral pour administrer l’ensemble de la succession de XA.

Le cadre juridique

3

Les considérants 7, 27, 30, 43 et 82 du règlement no 650/2012 énoncent :

« (7)

Il y a lieu de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation de personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières. Dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession. Les droits des héritiers et légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers de la succession doivent être garantis de manière effective.

[...]

(27)

Les dispositions du présent règlement sont conçues pour assurer que l’autorité chargée de la succession en vienne, dans la plupart des cas, à appliquer son droit national. Le présent règlement prévoit dès lors une série de mécanismes qui entreraient en action dans les cas où le défunt avait choisi pour régir sa succession le droit d’un État membre dont il était un ressortissant.

[...]

(30)

Afin de veiller à ce que les juridictions de tous les États membres puissent s’appuyer sur les mêmes motifs pour exercer leur compétence à l’égard de la succession de personnes n’ayant pas leur résidence habituelle sur le territoire d’un État membre au moment du décès, le présent règlement devrait dresser la liste exhaustive, dans l’ordre hiérarchique, des motifs pour lesquels cette compétence subsidiaire peut s’exercer.

[...]

(43)

Les règles de compétence établies par le présent règlement peuvent, dans certains cas, conduire à une situation où la juridiction compétente pour statuer sur la succession n’appliquera pas sa propre loi. Lorsqu’une telle situation survient dans un État membre dont la loi prévoit la nomination obligatoire d’un administrateur de la succession, le présent règlement devrait autoriser les juridictions de cet État membre, lorsqu’elles sont saisies, à nommer un ou plusieurs administrateurs en vertu de leur propre loi. [...] Afin d’assurer une bonne coordination entre la loi applicable à la succession et la loi de l’État membre de la juridiction de nomination, il convient que cette juridiction nomme la ou les personnes habilitées à administrer la succession en vertu de la loi applicable à la succession, comme, par exemple, l’exécuteur du testament du défunt ou les héritiers eux-mêmes ou, si la loi applicable à la succession le requiert, un tiers administrateur. [...]

[...]

(82)

Conformément aux articles 1er et 2 du protocole no 21 sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé au traité [UE] et au traité [FUE], ces États membres ne participent pas à l’adoption du présent règlement et ne sont pas liés par celui-ci ni soumis à son application. Cela s’entend toutefois sans préjudice de la possibilité, pour le Royaume-Uni et l’Irlande, de notifier leur intention d’accepter le présent règlement après son adoption conformément à l’article 4 dudit protocole. »

4

Le chapitre II de ce règlement, relatif à la « Compétence », comporte notamment les articles 4 à 6, 10 et 15 de celui-ci.

5

L’article 4 dudit règlement, intitulé « Compétence générale », prévoit :

« Sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

6

L’article 5 du même règlement, intitulé « Accord d’élection de for », dispose, à son paragraphe 1 :

« Lorsque la loi choisie par le défunt pour régir sa succession en vertu de l’article 22 est la loi d’un État membre, les parties concernées peuvent convenir que la ou les juridictions de cet État membre ont compétence exclusive pour statuer sur toute question concernant la succession. »

7

L’article 6 du règlement no 650/2012, intitulé « Déclinatoire de compétence en cas de choix de loi », énonce :

« Lorsque la loi choisie par le défunt pour régir sa succession en vertu de l’article 22 est la loi d’un État membre, la juridiction saisie en vertu de l’article 4 ou 10 :

a)

peut, à la demande de l’une des parties à la procédure, décliner sa compétence si elle considère que les juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie sont mieux placées pour statuer sur la succession compte tenu des circonstances pratiques de celle-ci, telles que la résidence habituelle des parties et la localisation des biens ; ou

b)

décline sa compétence si les parties à la procédure sont convenues, conformément à l’article 5, de conférer la compétence à la ou aux juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie. »

8

L’article 10 de ce règlement, intitulé « Compétences subsidiaires », dispose :

« 1.   Lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où :

a)

le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès; ou, à défaut,

b)

le défunt avait sa résidence habituelle antérieure dans cet État membre, pour autant que, au moment de la saisine de la juridiction, il ne se soit pas écoulé plus de cinq ans depuis le changement de cette résidence habituelle.

2.   Lorsque aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu du paragraphe 1, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur ces biens. »

9

L’article 15 dudit règlement, intitulé « Vérification de la compétence », prévoit :

« La juridiction d’un État membre saisie d’une affaire de succession pour laquelle elle n’est pas compétente en vertu du présent règlement se déclare d’office incompétente. »

10

Figurant au chapitre III du même règlement, intitulé « Loi applicable », l’article 21 de ce dernier, lui-même intitulé « Règle générale », dispose :

« 1.   Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

2.   Lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État. »

11

L’article 22 du règlement no 650/2012, intitulé « Choix de loi », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès.

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

12

XA, de nationalité française, est décédé le 3 septembre 2015, en France. Depuis l’année 1981, il résidait au Royaume-Uni où il s’est marié avec TP en 1996. Atteint d’une maladie, il était revenu en France pour vivre auprès de l’un de ses enfants à compter du mois d’août 2012, dans un appartement acquis deux mois plus tôt par l’intermédiaire d’une société civile immobilière dont il était associé.

13

XA a laissé une épouse, TP, ressortissante du Royaume-Uni, ainsi que trois enfants issus d’une première union, YA et les requérants au principal. YA étant décédé entretemps, les requérants au principal ont indiqué agir également en la qualité d’ayants droit de leur frère. XA possédait des biens successoraux en France.

14

Les requérants au principal ont assigné TP devant les juridictions françaises afin d’obtenir la désignation d’un mandataire successoral pour administrer l’ensemble de la succession du défunt, invoquant l’application de l’article 4 du règlement no 650/2012 et le fait que le défunt avait sa résidence habituelle en France au moment de son décès.

15

Par une ordonnance du 12 décembre 2017, le président du tribunal de grande instance de Nanterre (France), statuant en référé, s’est déclaré compétent pour connaître de la demande des requérants au principal en vertu de l’article 4 du règlement no 650/2012. Un mandataire successoral a été missionné en conséquence.

16

Par un arrêt du 21 février 2019, la cour d’appel de Versailles (France) a infirmé cette ordonnance et, en application du règlement no 650/2012, a déclaré que les juridictions françaises n’avaient pas compétence pour statuer sur l’ensemble de la succession du défunt au titre de l’article 4 du règlement no 650/2012, au motif, en substance, que la résidence habituelle de ce dernier se trouvait toujours au Royaume-Uni au moment de son décès.

17

Les requérants au principal ont saisi la Cour de cassation (France), la juridiction de renvoi, d’un pourvoi contre cet arrêt, faisant valoir, notamment, que la cour d’appel de Versailles avait commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération l’article 10 du règlement no 650/2012, lequel prévoit, de manière subsidiaire, la compétence des juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux pour statuer sur l’ensemble de la succession, en dépit du fait que le défunt ne possédait pas sa résidence habituelle en France au moment de son décès, mais qu’il avait la nationalité de cet État membre et qu’il y possédait des biens.

18

La juridiction de renvoi fait valoir, tout d’abord, que l’article 10 du règlement no 650/2012 n’a pas été invoqué par les requérants au principal devant la cour d’appel de Versailles. Dès lors, la question se poserait de savoir si cette cour d’appel, qui a constaté que XA était de nationalité française et possédait des biens successoraux en France au moment de son décès, était tenue d’examiner d’office les critères de sa compétence subsidiaire en vertu de cet article 10.

19

En effet, la juridiction de renvoi relève que, en prévoyant la possibilité que la juridiction d’un État membre saisie d’une affaire de succession pour laquelle elle n’a pas compétence pour en connaître en vertu du règlement no 650/2012 se déclare d’office incompétente, l’article 15 de ce règlement ne précise pas s’il appartient à cette dernière juridiction de vérifier au préalable tous les critères de compétence possibles, tant ceux de sa compétence générale que ceux de sa compétence subsidiaire. En particulier, ledit règlement ne préciserait pas si l’examen des compétences subsidiaires présente un caractère facultatif.

20

D’une part, la juridiction de renvoi souligne que le règlement no 650/2012 institue un système de résolution des conflits de juridictions que les juridictions des États membres saisies d’un litige doivent appliquer d’office dès lors que ce litige relève du domaine matériel couvert par ce règlement. Or, il ne serait pas logique que, après avoir relevé d’office l’application dudit règlement pour trancher un conflit de juridictions, les juridictions des États membres saisies puissent décliner leur compétence au profit de juridictions d’un État tiers, sur le fondement du seul article 4 de celui-ci, sans avoir à vérifier au préalable leurs compétences subsidiaires sur le fondement de l’article 10 du même règlement. Il apparaîtrait, dès lors, plus cohérent que lesdites juridictions saisies soient tenues de vérifier, y compris d’office, tous les critères d’exercice de compétence possibles.

21

D’autre part, la juridiction de renvoi fait observer que les compétences prévues à l’article 10 du règlement no 650/2012, qui y sont qualifiées de « subsidiaires », ont pour effet de déroger au principe d’unité des compétences juridictionnelle et législative qui innerve ce règlement. En effet, lorsque la juridiction d’un État membre a reconnu sa compétence en vertu de cet article 10, elle serait néanmoins conduite à appliquer la loi de l’État de résidence habituelle du défunt au moment de son décès, sauf s’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de ce décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un autre État, conformément à l’article 21, paragraphe 2, de dudit règlement, ou avait fait le choix exprès de la loi d’un autre État, en vertu de l’article 22 du même règlement. Ainsi, il apparaîtrait difficile d’admettre qu’une règle de compétence qualifiée de « subsidiaire » doive être obligatoirement relevée par la juridiction d’un État membre saisie, même si les parties ne l’invoquent pas.

22

Par ailleurs, si le règlement no 650/2012 prévoit expressément, à son article 15, l’obligation pour le juge incompétent de relever d’office son incompétence, il ne prévoirait en revanche aucune disposition équivalente l’obligeant à examiner d’office sa compétence. Les règles relatives aux successions relèveraient, au sens de ce règlement, des droits disponibles, puisque ledit règlement autoriserait les parties à convenir de la compétence exclusive de la ou des juridictions de l’État membre dont relèverait la loi choisie par le défunt pour régir sa succession par la conclusion d’un accord d’élection de for (article 5 du règlement no 650/2012) et prévoirait la possibilité pour ces juridictions de continuer à exercer leur compétence même si des parties à la procédure qui n’étaient pas parties à cet accord comparaissent devant celles-ci sans contester cette compétence (article 9 de ce règlement).

23

Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de l’article 10, [paragraphe] 1[, sous ]a), du règlement [no 650/2012] doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, la juridiction d’un État membre dans lequel la résidence habituelle du défunt n’était pas fixée mais qui constate que celui-ci avait la nationalité de cet État et y possédait des biens doit, d’office, relever sa compétence subsidiaire prévue par ce texte ? »

Sur la question préjudicielle

24

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement no 650/2012 doit être interprété en ce sens qu’une juridiction d’un État membre doit relever d’office sa compétence au titre de la règle de compétence subsidiaire prévue à cette disposition lorsque, ayant été saisie sur le fondement de la règle de compétence générale établie à l’article 4 de ce règlement, elle constate qu’elle n’est pas compétente au titre de cette dernière disposition.

25

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la cour d’appel de Versailles a considéré que la dernière résidence habituelle du défunt était au Royaume-Uni et non en France. À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il résulte du considérant 82 du règlement no 650/2012, le Royaume-Uni – conformément aux articles 1er et 2 du protocole no 21 sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé au traité UE et au traité FUE – n’a pas participé à l’adoption de ce règlement. Par ailleurs, il n’apparaît pas que, à la date du décès de XA, le Royaume-Uni avait fait usage de la faculté prévue à l’article 4 de ce protocole de notifier son intention d’accepter ledit règlement. À cette date, le Royaume-Uni, même s’il était État membre de l’Union européenne, n’était donc pas lié par le règlement no 650/2012 ni, dès lors, soumis à son application. Or, aux fins de l’interprétation de l’article 10 de ce règlement, il y a lieu de considérer que les compétences prévues à cette disposition peuvent se trouver applicables lorsque le défunt avait sa résidence habituelle dans un tel État membre non lié par ledit règlement au moment de son décès. Par conséquent, pour autant que les autres critères prévus à ladite disposition soient également remplis, il y a lieu de conclure que la situation en cause au principal est susceptible de relever du champ d’application de cette dernière.

26

À cet égard, il est constant que l’article 10 du règlement no 650/2012 n’a été invoqué par les requérants au principal ni en première instance ni en appel. Partant, la question préjudicielle vise uniquement à déterminer si le règlement no 650/2012 oblige la juridiction d’un État membre, saisie sur le fondement de l’article 4 de ce règlement, à examiner d’office si elle est compétente au regard des critères prévus à l’article 10, paragraphe 1, sous a), de celui-ci ou bien si cette dernière juridiction peut se déclarer incompétente lorsque le demandeur ne s’est pas prévalu de cette disposition pour l’exercice, par ladite juridiction, de sa compétence.

27

Conformément à une jurisprudence constante, les dispositions relatives aux règles de compétence, dans la mesure où celles-ci ne renvoient pas au droit des États membres pour déterminer leur sens et leur portée, doivent trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de celles-ci, mais également du contexte de ces dispositions et de l’objectif poursuivi par la réglementation concernée (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Oberle, C‑20/17, EU:C:2018:485, point 33 et jurisprudence citée).

28

S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement no 650/2012, il convient de relever que cette disposition établit une règle de compétence prévoyant que, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment de son décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession si le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment de son décès.

29

Il ressort ainsi des termes de l’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement no 650/2012 que les deux critères prévus par cette disposition, aux fins de l’attribution de la compétence aux juridictions d’un État membre dans le cas où la résidence habituelle du défunt au moment de son décès n’est pas située dans cet État membre, sont, d’une part, l’existence de biens successoraux dans ledit État membre et, d’autre part, la possession de la nationalité du même État membre, par le défunt, au moment de son décès. Il ne découle, en revanche, nullement de ces termes que l’attribution d’une telle compétence dépendrait d’une action quelconque de la part du défunt ou d’une partie intéressée. Bien au contraire, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 67 et 68 de ses conclusions, l’emploi de l’expression « sont […] compétentes », est de nature à indiquer que les compétences prévues à l’article 10, paragraphe 1, de ce règlement ont un caractère obligatoire.

30

S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement no 650/2012, il convient de relever que l’article 10 de ce règlement figure dans le chapitre II de celui-ci, qui établit un ensemble de règles de compétence en matière de successions. En particulier, cet article 10 prévoit des compétences subsidiaires par rapport à la compétence générale, établie par la règle énoncée à l’article 4 dudit règlement, laquelle désigne les juridictions du lieu de résidence habituelle du défunt comme étant les juridictions compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession concernée.

31

S’agissant, en troisième lieu, de l’objectif de l’article 10 du règlement no 650/2012, il importe de relever que cet article doit être lu à la lumière du considérant 30 de ce règlement, selon lequel il convient de « veiller à ce que les juridictions de tous les États membres puissent s’appuyer sur les mêmes motifs pour exercer leur compétence à l’égard de la succession de personnes n’ayant pas leur résidence habituelle sur le territoire d’un État membre au moment du décès ». À cette fin, selon ce considérant, ledit règlement « devrait dresser la liste exhaustive, dans l’ordre hiérarchique, des motifs pour lesquels cette compétence subsidiaire peut s’exercer ».

32

Il s’ensuit que, le règlement no 650/2012 visant, notamment, à assurer l’uniformité d’application des règles de compétence juridictionnelle internationale en matière de successions, tant l’article 4 de ce règlement que l’article 10, paragraphe 1, de celui-ci ont pour seul objet de définir des critères uniformes de compétence juridictionnelle pour statuer sur l’ensemble d’une succession. Ils n’offrent, à cet égard, pas aux parties intéressées la possibilité de choisir, en fonction de leurs intérêts, le for d’un État membre, sous réserve de l’application de l’article 5 dudit règlement en cas de choix du défunt de la loi applicable à sa succession.

33

Il y a lieu de relever, à cet égard, que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 47 et 65 de ses conclusions, il n’existe pas de rapport hiérarchique entre le for établi à l’article 4 du règlement no 650/2012 et le for établi à l’article 10 de celui-ci, puisque chacun d’entre eux vise des cas de figure distincts. De même, le fait que les compétences visées à l’article 10 de ce règlement soient qualifiées de « subsidiaires » ne signifie pas que cette disposition serait moins contraignante que celle de l’article 4 dudit règlement, relative à la compétence générale.

34

À cet égard, il convient de constater que l’emploi du terme « néanmoins » à l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 650/2012 suggère que cette disposition vise une règle de compétence équivalente et complémentaire à la règle de compétence générale établie à l’article 4 de ce règlement, de telle sorte que, en cas d’inapplicabilité de ce dernier article, il y a lieu de vérifier si les critères des compétences prévues à l’article 10 dudit règlement sont satisfaits.

35

Une telle interprétation est, par ailleurs, confortée par l’objectif poursuivi par le règlement no 650/2012, tel qu’il ressort de son considérant 7, consistant à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation des personnes qui veulent faire valoir leurs droits issus d’une succession transfrontalière, en particulier, en assurant que, dans l’espace européen de justice, les droits des héritiers et des légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers d’une succession soient garantis de manière effective (voir, en ce sens, arrêt du 1er mars 2018, Mahnkopf, C‑558/16, EU:C:2018:138, point 35).

36

À cette fin, le règlement no 650/2012 prévoit les règles de compétence juridictionnelle internationale pour l’ensemble de la succession, lesquelles sont fondées sur des critères objectifs. Dans cette perspective, l’article 10, paragraphe 1, de ce règlement contribue à garantir l’accès à la justice des héritiers et des légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers d’une succession, lorsque la situation concernée présente des liens étroits avec un État membre en raison, notamment, de l’existence de biens successoraux sur le territoire de ce dernier.

37

Par ailleurs, il convient de rappeler que, afin de contribuer à la résolution efficace des litiges relatifs à une succession, le règlement no 650/2012 cherche à favoriser un traitement unitaire de la succession. Ainsi, la Cour a jugé à plusieurs reprises qu’une interprétation des dispositions de ce règlement qui entraînerait un morcellement de cette succession serait incompatible avec les objectifs dudit règlement [voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 2018, Oberle, C‑20/17, EU:C:2018:485, point 56, et du 16 juillet 2020, E. E. (Compétence juridictionnelle et loi applicable aux successions), C‑80/19, EU:C:2020:569, point 41].

38

Ce principe de l’unité de la succession sous-tend également la règle établie à l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 650/2012, dans la mesure où ladite disposition précise que cette règle détermine la compétence des juridictions des États membres pour statuer sur l’« ensemble de la succession ».

39

Enfin, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que le respect dû à l’autonomie du juge dans l’exercice de ses fonctions exige que cette juridiction puisse examiner sa compétence internationale à la lumière de toutes les informations dont elle dispose, tout en poursuivant l’objectif d’une bonne administration de la justice, qui sous-tend la réglementation de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 28 janvier 2015, Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 64, et du 16 juin 2016, Universal Music International Holding, C‑12/15, EU:C:2016:449, point 45).

40

Or, eu égard à l’objectif poursuivi par le règlement no 650/2012, consistant à garantir une bonne administration de la justice, rien ne s’oppose à ce que les mêmes principes prévalent en ce qui concerne l’examen par la juridiction saisie, de sa compétence dans le cadre de l’application des règles de compétences internationales en matière de successions prévues par ce règlement.

41

Ainsi, dans la mesure où les règles de compétence subsidiaire établies à l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 650/2012 contribuent à réaliser cet objectif de bonne administration de la justice, l’application de cette disposition ne saurait dépendre du fait qu’elle n’a pas été invoquée par l’une ou l’autre partie à la procédure concernée.

42

En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 87 de ses conclusions, il convient d’interpréter l’article 10 du règlement no 650/2012 à la lumière de l’article 15 de celui-ci, en ce sens que, si cet article 10 n’oblige pas la juridiction saisie, à rechercher activement une base factuelle pour statuer sur sa compétence dans un litige donné, ledit article lui impose de déterminer, en prenant en considération les faits non contestés, le fondement de sa compétence, lequel peut éventuellement être distinct de celui allégué par le requérant.

43

En particulier, il y a lieu de relever qu’une déclaration d’incompétence, par la juridiction saisie en vertu de l’article 15 du règlement no 650/2012, nécessite un examen préalable de tous les critères établis au chapitre II du règlement no 650/2012 et que, dans le cadre de cet examen, cette juridiction est tenue d’examiner sa compétence éventuelle à la lumière de toutes les informations dont elle dispose. Dès lors, un tel examen ne saurait être effectué au regard de la seule règle de compétence expressément invoquée par les parties intéressées.

44

Cette interprétation n’est pas remise en cause par l’argumentation de la juridiction de renvoi, selon laquelle l’article 10 du règlement no 650/2012 dérogerait au principe de la coïncidence des compétences judiciaire et législative de sorte que la juridiction saisie serait conduite à appliquer la loi de l’État de résidence habituelle du défunt au moment de son décès. En effet, l’objectif, visé au considérant 27 de ce règlement, de faire coïncider la compétence juridictionnelle et le droit applicable ne revêt pas, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 70 de ses conclusions, un caractère absolu.

45

Bien que, selon le considérant 27 du règlement no 650/2012, les dispositions de ce dernier soient conçues pour assurer que l’autorité chargée de la succession puisse appliquer, dans la plupart des cas, son droit national, ce règlement n’impose ni ne garantit la coïncidence entre la compétence juridictionnelle et le droit applicable. Le caractère non absolu de cette coïncidence est corroboré, d’une part, par les termes « dans la plupart des cas » utilisés au considérant 27 dudit règlement et, d’autre part, par le fait que, au considérant 43 du même règlement, le législateur de l’Union a lui-même prévu que les règles de compétences qui y sont énoncées peuvent conduire à des situations où la juridiction compétente pour statuer sur la succession n’appliquera pas sa propre loi.

46

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement no 650/2012 doit être interprété en ce sens qu’une juridiction d’un État membre doit relever d’office sa compétence au titre de la règle de compétence subsidiaire prévue à cette disposition lorsque, ayant été saisie sur le fondement de la règle de compétence générale établie à l’article 4 de ce règlement, elle constate qu’elle n’est pas compétente au titre de cette dernière disposition.

Sur les dépens

47

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

L’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, doit être interprété en ce sens qu’une juridiction d’un État membre doit relever d’office sa compétence au titre de la règle de compétence subsidiaire prévue à cette disposition lorsque, ayant été saisie sur le fondement de la règle de compétence générale établie à l’article 4 de ce règlement, elle constate qu’elle n’est pas compétente au titre de cette dernière disposition.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le français.