Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
17/11/2022
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de prudence, Manquements à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables, Manquement au devoir de probité (devoir de loyauté à l’égard de l’institution judiciaire)
Décision
abaissement d’échelon
Mots-clés
atteinte aux devoirs de son état de magistrat
règles de prudence et de réserve nécessaires pour ne pas compromettre l’autorité attachée à ses fonctions
Vie privée
relation sentimentale
image et autorité de l’institution judiciaire
confiance.
Fonction
juge (fonctions pénales)
Résumé
Si le magistrat a droit, comme tout citoyen, au respect de sa vie privée, il est aussi tenu de veiller à ce que les obligations et les devoirs de sa charge ne soient pas altérés par une vie personnelle susceptible d’entamer son crédit ni la confiance des justiciables, ce qui lui impose d’observer dans ses relations et ses fréquentations publiques les règles de prudence et de réserve nécessaires pour ne pas compromettre l’autorité attachée à ses fonctions. Le Conseil a considéré que le comportement de la magistrate, relevant certes de la sphère privée et sentimentale mais n’étant pas sans incidence sur l’exercice de ses fonctions de magistrat, est de nature à constituer un manquement au devoir de prudence. De même, par ses agissements et l’importance de leur retentissement, elle a compromis sa légitimité, sa crédibilité et son autorité dans son activité de magistrat et, au-delà, a porté atteinte à l’image de l’institution judiciaire, d’autant plus incarnée par la figure du magistrat que le ressort de la juridiction est de petite taille. Ses agissements constituent ainsi une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire. En revanche, le Conseil a écarté le manquement au devoir de loyauté ainsi que le manquement aux devoirs de diligence et de rigueur.

 

CONSEIL

SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline des magistrats

du siège

 

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

Mme X

Juge au tribunal judiciaire de xx et précédemment juge d’application des peines au tribunal judiciaire de xxx,

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de M. Didier Guérin, président de chambre honoraire à la Cour de cassation, président suppléant de la formation,

 

En présence de :

 

M. Yves Saint-Geours

Mme Hélène Pauliat

M. Georges Bergougnous

M. Frank Natali

M. Olivier Schrameck

M. Régis Vanhasbrouck

M. Benoit Giraud

Mme Virginie Duval

M. Benoist Hurel

Mme Dominique Sauves

 

 

Membres du Conseil, siégeant,

 

Assistés de Mme Marie Dubuisson, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, du 21 mai 2021, reçue au Conseil le 1er juin 2021, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu l’ordonnance du 3 juin 2021 désignant Mme Hélène Pauliat en qualité de rapporteur;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de son conseil ;

 

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

Vu la convocation à l’audience du 13 octobre 2022 de Mme X, qui lui a été notifiée par la voie hiérarchique le 15 septembre 2022 ;

 

Assistée par Me A, avocat au barreau de xxxx, convoqué par courrier du 5 septembre 2022, adressé le 9 septembre 2022 par la voie dématérialisée, convocation qu’il a téléchargée le 9 septembre 2022 ;

 

Vu le mémoire produit par Maître A aux intérêts de Mme X ;

 

Après avoir entendu :

 

- le rapport de Mme Pauliat;

 

- les observations de M. Paul Huber, directeur des services judiciaires, représentant le garde des Sceaux, ministre de la justice, assistée de Madame Emilie Zuber, magistrate, adjointe au chef de bureau du statut et de la déontologie à la sous-direction des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, qui a demandé la sanction de l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois assortie de la privation partielle du traitement à l’encontre de Mme X;

- les explications et moyens de défense de Mme X et de Maître A, Mme X ayant eu la parole en dernier ;

A rendu la présente

 

 

dÉcision

 

Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

 

 

SUR LE FOND

 

 

L’acte de saisine du garde des Sceaux relève quatre griefs disciplinaires portant sur des manquements imputés à Mme X :

- En entretenant des liens personnels avec un justiciable dont elle connaissait la réputation très défavorable au sein de l’institution judiciaire et des services de police ainsi que son suivi par le service de l’application des peines où elle exerçait ses fonctions, et en persévérant dans cette relation, malgré la mise en garde répétée de ses collègues, Mme X a manqué à son devoir de prudence ;

- En manquant d’informer, sans délai, son supérieur hiérarchique des liens personnels qu’elle entretenait avec un justiciable suivi au sein du service de l’application des peines où elle exerçait ses fonctions, Mme X a manqué à son devoir de loyauté ;

- Ces comportements, par le large retentissement interne et externe à la juridiction qu’ils ont connu, ont porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire ;

 

- En ne se mettant pas en mesure d’assurer les fonctions d’organisation et de management dévolues au coordonnateur d’un service et en laissant ses collègues et les fonctionnaires assumer seuls le bon fonctionnement du service d’application des peines, Mme X a manqué aux devoirs de diligence et de rigueur, et ce faisant, aux devoirs de l’état de magistrat.

 

 

Les faits à l’origine des poursuites disciplinaires

 

Par un courriel en date du 4 novembre 2019, la première présidente de la cour d’appel de xxxx transmettait à la direction des services judiciaires un rapport relatif à la situation de Mme X, juge de l’application des peines au tribunal judiciaire de xxx, ainsi que celui établi le même jour par le président de cette juridiction.

 

Il ressortait des éléments transmis que le 31 octobre 2019, Mme X avait sollicité un rendez-vous en urgence auprès du président de sa juridiction, au cours duquel elle l’avait informé de sa relation intime débutée quelques semaines auparavant avec M. B, rencontré dans un cadre privé mais qu’elle savait défavorablement connu des services de police.  Ce dernier a été condamné par la cour d’appel de xxxx, le 26 octobre 2017, à 30 mois d’emprisonnement dont 18 mois de sursis avec mise à l’épreuve. Suivi par le service de l’application des peines du tribunal judiciaire de xxx, il a été incarcéré du 14 mai 2019 au 13 juin 2019 dans le cadre de l’exécution de cette peine, à la suite du retrait du bénéfice du placement sous surveillance électronique. La mise à l’épreuve devait s’achever le 5 avril 2021.

 

Mme X avait précisé qu’elle n’avait jamais suivi le dossier ni la situation pénale de M. B dont elle avait fait la connaissance au début du mois d’octobre 2019.

 

Il était également indiqué que, courant juin 2019, Mme X avait demandé à être déchargée du service de l’application des peines, faisant valoir la lourdeur et la pression subie en raison de l’affaire C qu’elle avait eu à connaître. Ainsi, en accord avec ses deux autres collègues de l’application des peines, elle avait été affectée à la présidence d’audiences correctionnelles à compter de septembre 2019, en ne conservant que la présidence du tribunal de l‘application des peines au sein de ce service.

 

Dans les jours qui ont suivi l’entretien du 31 octobre 2019, la décision avait été prise et acceptée par l’intéressée de lui retirer tout contentieux pénal et de lui confier des fonctions de juge aux affaires familiales et aux tutelles majeures. Ses habilitations informatiques sur les métiers pénaux lui étaient également retirées. La magistrate avait par ailleurs précisé qu’elle allait solliciter sa mutation et demander des postes essentiellement sur des fonctions civiles.

 

Le 11 octobre 2019, une information judiciaire des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants était ouverte auprès du juge d’instruction du tribunal judiciaire de xxx à la suite de la découverte de produits stupéfiants dans un appartement dont M. B était propriétaire. Mme X indiquera n’avoir appris l’existence de cette information judiciaire qu’en décembre 2019. La procureure de la République de xxx indiquera cependant avoir échangé sur ce sujet avec cette dernière au cours de la semaine du 11 octobre 2019, tout en n’étant plus certaine d’avoir cité le nom de M. B au cours de cet échange.

 

Par courriel du 6 novembre 2019, la première présidente de la cour d’appel de xxxx indiquait à la direction des services judiciaires que l’exploitation des factures détaillées de la ligne téléphonique de M. B confirmait que les échanges téléphoniques avec Mme X avaient commencé le 5 octobre 2019.

 

Par courriels des 13 février 2020 et 21 février 2020, les chefs de la cour d’appel de xxxx transmettaient à la direction des services judiciaires deux soit-transmis du juge d’instruction du tribunal judiciaire de xxx en charge du dossier de l’information judiciaire susmentionnée, lequel communiquait, au visa de l’article 40 du code de procédure pénale, respectivement, un rapport du 7 février 2020 du commandant de police, chef de la sûreté urbaine au commissariat de xxx relatant certains passages d’une conversation du 7 novembre 2019 interceptée entre Mme X et M. B et un procès-verbal de retranscription d’une autre conversation téléphonique du 6 décembre 2019 entre eux.

 

Le rapport du 7 février 2020 mentionnait également que les investigations diligentées dans le cadre de cette instruction avaient mis en évidence que Mme X avait financé, d’une part, un contrat d’assurance d’un montant de 632,32 euros d’un véhicule utilisé par M. B, d’autre part, le contrat de ligne téléphonique fixe du domicile de ce dernier, établi au nom d’une tierce personne défavorablement connue des services de police.

 

A la fin du mois de janvier 2020, la direction des services judiciaires recevait des informations de la part du directeur de l’Ecole nationale de la magistrature indiquant qu’une auditrice de justice aurait évoqué avec des magistrats du tribunal de xxx des éléments de ladite information judiciaire dans laquelle était impliqué M. B, les liens de celui-ci avec Mme X et l’existence d’interceptions téléphoniques. Une décision de non-lieu à poursuite disciplinaire sera rendue par le directeur de l’Ecole nationale de la magistrature le 20 février 2020.

 

Conformément à la demande du 9 mars 2020 du directeur des services judiciaires, la première présidente procédait à l’audition de Mme X le 3 juin 2020. Cette dernière indiquait avoir fréquenté, comme d’autres magistrats, la même salle de sport que M. B mais ne l’avoir réellement rencontré que le 5 octobre 2019, tout en connaissant parfaitement ses antécédents judiciaires. Elle expliquait qu’ils avaient commencé par prendre un café - « chez D », établissement dont elle avait mis le gérant en examen en juillet 2016, à l’occasion d’un remplacement effectué au service de l’instruction - puis qu’elle s’était très rapidement éprise de lui. Elle affirmait avoir fait état de cette relation dans les jours qui avaient suivi auprès de ses collègues, notamment à celle en charge du suivi de M. B, ce qui sera confirmé par la suite de la procédure.

Elle déclarait lors de cette audition que « M. B est une légende vivante à xxx», estimant « qu’on lui prêtait plus de choses que la réalité ». Elle ajoutait qu’« il a purgé une peine et terminait un SME pour des faits anciens », que « ça n’est pas E ; depuis sept ans, il n’y a rien eu, ni garde-à-vue, ni condamnation ». Elle affirmait « être tombée de haut » lorsqu’au début de son arrêt maladie, en décembre 2019, elle avait appris qu’il y avait une nouvelle enquête en cours et qu’il y avait « des écoutes ».

Elle reconnaissait qu’elle devait quitter xxx car « tout le monde a[vait] connaissance de toute [sa] vie ».

Elle confirmait n’avoir donné aucun élément à M. B, relatif à l’information judiciaire en cours. Elle expliquait également avoir réglé les mensualités d’une assurance de M. B pour lui rendre service, précisant que celle de plus de 600 euros était en réalité une erreur et que la somme avait été remboursée peu après.

S’agissant du paiement de l’abonnement de la ligne téléphonique, elle indiquait avoir fait confiance à son compagnon et avoir donné une autorisation de prélèvement, qu’elle avait interrompue depuis, sans avoir vérifié le titulaire de la ligne.

 

Par mail du 25 juin 2020, la première présidente faisait état d’un événement survenu le 18 juin précédent au service de l’application des peines, aux termes duquel, lors d’un entretien avec une juge de l’application des peines, un probationnaire connaissant M. B, avait adopté un ton déplacé et tenté de voir si la magistrate était susceptible de céder à ses sollicitations.

 

Saisie le 4 août 2020 par le cabinet du garde des Sceaux, l’Inspection générale de la Justice remettait son rapport en date du 15 janvier 2021.

 

Après avoir été déléguée au tribunal judiciaire de xxxx puis de xxxxx, Mme X était nommée juge au tribunal judiciaire de xx et installée dans ses fonctions le 1er septembre 2020.

 

Mme X a été placée en position d’arrêts maladie à plusieurs reprises depuis le début de la présente procédure: du 4 décembre 2019 au 4 juin 2020 puis de septembre 2021 à septembre 2022.  

 

Par dépêche du 4 octobre 2022, la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature informait le rapporteur que l’enquête ouverte du chef de violation du secret de l’instruction et recel de violation du secret de l’instruction à la suite de l’article 40 du code de procédure pénale transmis le 13 janvier 2021 par l’Inspection générale de la justice devrait être classée sans suite par le procureur de la République de xxxx.

 

A l’audience, Mme X indique que le long délai qui s’est écoulé entre les faits et sa comparution devant le Conseil de discipline lui a permis de prendre la pleine mesure des agissements reprochés. Elle reconnaît avoir fait preuve d’imprudence dans la gestion de sa relation avec M. B, dont elle retrace les différentes étapes, confirmant en être tombée très amoureuse, avoir définitivement rompu au printemps 2020, sans qu’il ait jamais été question qu’il la suive à xx, contrairement à ce que ce dernier a indiqué au conseiller d’insertion et de probation chargé de son suivi. Elle fait état des épisodes de grande fragilité et de solitude qu’elle a traversés, revenant notamment sur les difficultés rencontrées dans sa vie personnelle, liées tant à sa séparation d’avec son mari qu’à la procédure judiciaire dont a fait l’objet son fils aîné pour des faits de nature sexuelle commis sur sa fille, après qu’elle a elle-même dénoncé les faits. Avec le recul, elle ne pense pas que M. B ait abusé d’elle ou l’ait manipulée mais reconnaît que sa qualité de magistrate a certainement influencé l’entreprise de séduction déployée par ce dernier.

A l’exception d’une réponse à une question d’une collègue du service de l’application des peines, en lien avec le dossier de M. B dont cette dernière avait la charge, qu’elle situe en juin 2019, elle confirme n’être jamais intervenue dans son dossier ni ne lui avoir jamais fourni la moindre information, ni sur ce suivi par le service de l’application des peines, ni sur l’information judiciaire le concernant, maintenant sur ce point n’avoir eu connaissance de cette dernière qu’en décembre 2019.

Elle explique que xxx étant une petite ville comptant peu de lieux de vie collectifs et conviviaux, tous les magistrats du tribunal, ainsi que les services de police notamment, fréquentaient le restaurant « chez D » de façon habituelle ; elle-même y retournant en 2018, à l’issue de l’instruction.

Elle maintient s’être immédiatement confiée sur l’existence et la nature de cette relation auprès de ses collègues proches, et pour certaines, amies, côtoyées également à l’extérieur de la juridiction, et exprime à plusieurs reprises des regrets au regard des conséquences subies par ces personnes qui ont été rappelées à l’ordre par leur chef de juridiction pour ne pas lui avoir fait part de cette relation Elle confirme également s’en être ouverte rapidement et d’initiative à son chef de juridiction, le délai de trois semaines s’expliquant par le fait qu’au début, seuls des SMS ont été échangés avec M. B puis que le président et elle-même ont été alternativement en congés.

Elle assure que si l’existence de sa relation avec M. B s’est autant répandue à xxx, cette situation ne résulte pas seulement de son fait, mais aussi en raison de l’indiscrétion majeure des services de police et d’une auditrice de justice dans cette procédure. Elle conteste s’être montrée ostensiblement avec M. B en toute occasion, réfutant notamment le fait que ce dernier soit venu la voir à l’audience ou l’ait accompagnée en voiture et exprimant sur ce point ses réserves quant au seul témoignage d’un agent de sécurité dans le dossier de l’Inspection. Elle dément également toute fascination à l’égard de C, reconnaissant qu’il s’agissait d’un homme intelligent, tout comme l’était selon elle M. B, et qu’en cela, il était différent de la population carcérale plus classique, ce dont convenait l’ensemble du service de l’application des peines d’après elle, sans qu’il faille y déceler autre chose.

S’agissant du défaut de coordination du service de l’application des peines, elle soutient ne pas comprendre les reproches formulés à cet égard, estimant au contraire avoir été « corvéable à merci » et que si sa mission de coordination s’entendait lorsqu’elle assurait son office à plein temps au sein du service de l’application des peines, de telles prérogatives n’avaient plus aucun sens dès lors qu’elle était en charge du service correctionnel. Elle ajoute que tout s’est opéré avec le plein accord de son chef de juridiction et de ses collègues, sans qu’une lettre de mission ou une délibération en assemblée générale viennent le formaliser.

 

 

Sur les interceptions téléphoniques précédemment évoquées, le conseil de Mme X, au cours de sa plaidoirie, demande à ce qu’elles soient écartées des débats. A cet égard, le conseil de discipline indique qu’elles ne contiennent aucun élément probant de nature à emporter sa conviction et qu’elles ne seront pas retenues dans l’analyse des manquements reprochés.

 

Sur le manquement au devoir de prudence

Si le magistrat a droit, comme tout citoyen, au respect de sa vie privée, il est aussi tenu de veiller à ce que les obligations et les devoirs de sa charge ne soient pas altérés par une vie personnelle susceptible d’entamer son crédit ni la confiance des justiciables, ce qui lui impose d’observer dans ses relations et ses fréquentations publiques les règles de prudence et de réserve nécessaires pour ne pas compromettre l’autorité attachée à ses fonctions.

 

En l’espèce, il convient tout d’abord de relever que Mme X n’a pas été en charge du dossier post-sentenciel de M. B et qu’il n’a pas été démontré qu’elle lui a fourni des informations, ni au regard de son suivi par le service de l’application des peines au sein duquel, au demeurant, elle n’exerçait quasiment plus au moment de leur liaison, ni au regard de l’information judiciaire dont il fera l’objet.

Ainsi, hormis des éléments de réponse qu’elle reconnaît avoir apportés à sa collègue en charge du suivi de M. B, à la suite d’une interrogation de cette dernière en juin 2019, soit avant le début de leur relation, il n’est pas établi que Mme X soit intervenue dans ces dossiers.

 

En revanche, il est avéré que M. B était défavorablement connu des services de la justice et de la police, situation parfaitement connue dans la ville et de Mme X en particulier. De plus, le sursis avec mise à l’épreuve ordonné le 26 octobre 2017 par la cour d’appel de xxxx était suivi par le service de l’application des peines du tribunal judiciaire de xxx dans lequel elle exerçait ses fonctions.

 

De même, dans la ville de taille moyenne qu’est xxx, Mme X qui y exerçait depuis sept ans était facilement identifiée. Sans méconnaître l’existence éventuelle d’indiscrétions extérieures, il ressort des éléments du dossier que Mme X ne s’est pas particulièrement cachée de cette relation et qu’elle est décrite comme assez encline à faire état de sa vie privée, notamment sentimentale, auprès de ses collègues, mais aussi à évoquer facilement sa qualité de magistrat dans le cadre de ses relations privées.

 

Il est également établi que ce comportement n’a pas été modifié par l’ouverture de l’information judiciaire, au sein du même tribunal judiciaire, quand bien même celle-ci n’a-t-elle été connue par Mme X qu’en décembre 2019, la liaison ne s’étant achevée que de nombreux mois plus tard.

 

Mme X n’a véritablement pris conscience des conséquences professionnelles engendrées par la relation nouée avec M. B que très tardivement, en réalité au moment du déclenchement de la procédure disciplinaire. En effet, tant devant le chef de juridiction en octobre 2019 que devant la première présidente de la cour d’appel de xxxx en juin 2020 ou lors de son audition par l’Inspection, son discours restait focalisé sur le passé pénal de son compagnon qu’elle considérait comme lointain et dénué de l’envergure qu’on lui prêtait. Elle se bornait alors à déclarer qu’elle ne voyait pas de difficulté majeure dans la continuation de cette relation puisqu’elle n’était jamais intervenue dans ses dossiers.

 

Ainsi, au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce, le comportement de la magistrate, relevant certes de la sphère privée mais n’étant pas sans incidence sur l’exercice de ses fonctions de magistrat, est de nature à constituer un manquement au devoir de prudence. 

 

 

Sur le manquement au devoir de loyauté

En l’espèce, un délai de 26 jours sépare le début de la relation entre M. B et Mme X, objectivé au 5 octobre 2019, et l’entretien de cette dernière avec le président du tribunal, le 31 octobre 2019.

Ce délai d’un peu plus de trois semaines qui, au surplus, comprend deux semaines de vacations au cours desquelles le président et la magistrate auraient alternativement pris leurs congés, n’apparaît pas déraisonnable.

 

Partant, le grief sera écarté.

 

Sur l’atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire

 

Il ressort des éléments du dossier, tels le profond malaise ressenti par de nombreux magistrats, personnels de greffe et partenaires judiciaires (fonctionnaires de police, membres du service pénitentiaire d’insertion et de probation ou avocats notamment), la nécessité d’une réorganisation des services dans l’urgence, l’incident du 18 juin 2020 au service de l’application des peines ou le fait pour Mme X d’être décrite comme  « la meuf à M. B» dans la ZUP de xxx, que le comportement de cette dernière a connu de très larges et profondes répercussions, tant internes à la juridiction qu’à l’extérieur.

 

De façon distincte par rapport au premier grief, par ses agissements et l’importance de leur retentissement, Mme X a compromis sa légitimité, sa crédibilité et son autorité dans son activité de magistrat et, au-delà, a porté atteinte à l’image de l’institution judiciaire, d’autant plus incarnée par la figure du magistrat que le ressort de la juridiction est de petite taille.

 

Partant, le grief est constitué.

 

Sur le manquement aux devoirs de diligence et de rigueur

Mme X a été installée dans ses premières fonctions comme juge d’application des peines à xxx le 30 août 2013. S’il ressort de son audition devant la première présidente de la cour d’appel de xxxx que la coordination du service de l’application des peines lui a été confiée en 2015, son évaluation au titre des années 2015/2016 n’en fait pas mention.

En revanche, la mention de la coordination du service de l’application des peines par ses soins figure d’une part dans son évaluation au titre des années 2017/2018 qui indique « qu’en tant que magistrate de l’application des peines la plus ancienne, elle est en charge de la coordination du service, tâche qu’elle exerce avec sérieux et compétence malgré un manque d’effectifs passé. Elle est apte à gérer un service en concertation avec ses collègues et le greffe ».

Elle figure également dans sa notice de présentation au tableau d’avancement 2019 qui indique « qu’elle sait mettre en œuvre les mesures nécessaires pour harmoniser les pratiques et les méthodes des cabinets d’application des peines. Elle a démontré son aptitude aux fonctions d’encadrement et à la participation d’un travail en équipe ».

Ainsi, hormis certains témoignages sporadiques, aucun autre élément figurant dans ses évaluations ne vient indiquer qu’elle n’assurait pas correctement cette mission de coordination. En tout état de cause, à supposer qu’elle ait failli sur ce point, rien ne permet d’objectiver qu’elle disposait des moyens et de la possibilité de les assurer convenablement, étant rappelé qu’elle a été progressivement déchargée du service de l’application des peines pour se consacrer pleinement au service correctionnel, avec l’accord du chef de juridiction et de ses deux collègues de l’application des peines, sans que ce changement soit autrement formalisé.

Dans ces conditions, faute d’être suffisamment caractérisé, le grief sera écarté.

 

SUR LA SANCTION

 

Si les fautes disciplinaires reprochées à Mme X portent atteinte aux devoirs de son état de magistrat, elles sont intervenues dans une carrière au cours de laquelle elle est décrite comme très polyvalente, faisant preuve d’un engagement sans faille et dotée d’une grande puissance de travail.

 

Elle semble également avoir retrouvé un équilibre personnel et professionnel au sein du tribunal judiciaire de xx, donnant toute satisfaction dans l’accomplissement de ses fonctions civiles, puis pénales auxquelles elle a été affectée, à sa demande, depuis sa reprise en date du 2 septembre 2022.

 

Ainsi, une sanction qui la priverait de ses fonctions actuelles de juge serait d’une rigueur inadaptée.

 

Dès lors, le Conseil estime qu’il y a lieu de prononcer à l’encontre de Mme X la sanction de l’abaissement d’échelon, en application du 4°de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, précitée. 

PAR CES MOTIFS,

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de Mme Pauliat, rapporteur ;

Statuant en audience publique le 13 octobre 2022 pour les débats et le 17 novembre 2022 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Prononce à l’encontre de Mme X la sanction de l’abaissement d’échelon;

La présente décision sera notifiée à Mme X par la voie hiérarchique et à son conseil par voie dématérialisée ;

Une copie sera adressée à Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice.

 

La secrétaire générale adjointe

 

Marie DUBUISSON

Le président suppléant

 

Didier GUERIN