Les incidents au cours de l'audience civile : méthodologie de crise
Alors que les tensions n’ont jamais été aussi vives entre magistrats et avocats, une étude des règles applicables aux incidents d’audience permet de rappeler le rôle de chacun et de permettre une meilleure compréhension des acteurs judiciaires lorsque l’audience se tend.
Sommes-nous entrés dans l’ère d’une crise de la justice ? Les juridictions sont-elles toujours à même de résoudre pacifiquement les différends ou sont-elles devenues le lieu de cristallisation de tous les conflits, notamment entre avocats et magistrats ?
C’est sous ce jour qu’apparaissent les questions lancinantes posées aux acteurs de la justice, tant les incidents récents qui se sont déroulés au tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence1 font écho à d’autres plus anciens, qui se sont tenus à Paris2. Les corps judiciaires qui permettent l’œuvre de justice semblent être entrés dans une phase de confrontation inextinguible.
Un récent rapport du comité d’éthique du barreau de Paris, consacré aux relations entre avocats et magistrats, diagnostiquait une rupture radicale et mutuelle de confiance, et tentait de fournir des propositions afin d’y remédier3.
Toutefois, les règles, les usages et la jurisprudence qui encadrent les incidents d’audience demeurent ignorés des praticiens. Au reste, assez peu d’études y sont consacrées, et les rares passages de notices relatives au déroulement du procès ne font que reproduire les[...]
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« L’expulsion d’un avocat par des policiers d’une audience à Aix suscite de vives réactions », AFP-Le Point, 12 mars 2021, https://lext.so/ehbiZl.
C. Donizeau, « Manifestation au TGI après l’expulsion d’une avocate », Libération, 23 mai 2019, https://lext.so/u9VfkM.
D. Soulez Larivière, A. Garapon et G. Canivet, Rapport sur les relations magistrat-avocat, https://aIu5im.
Par exemple, au Répertoire de procédure civile Dalloz, la seule étude approchant la question est celle relative aux « Principes directeurs du procès civil », évoquant la seule question de la sérénité des débats au n° 339.
Cet article ne fait que reprendre la règle posée par le Conseil d’État, selon lequel la publicité des débats judiciaires est un principe général du droit (CE, ass., 4 oct. 1974, n° 88930, Dame David : D. 1975, p. 369, note J.-M. Auby ; JCP 1975, II 17967, note V. Drago).
« Les parties choisissent librement leur défenseur soit pour se faire représenter soit pour se faire assister suivant ce que la loi permet ou ordonne. »
Cons. const., 7 déc. 2012, n° 2012-286 QPC, cons. n° 4.
Les articles 778, 779, et 798 à 807 du CPC ne précisent pas le régime des incidents éventuels.
Voir, en matière de dénonciation calomnieuse : CEDH, 26 mars 2020, n° 59636/16, Tête c/ France.
H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d’avocat, 16e éd., 2018-2019, Dalloz Action, n° 454.28.
Cons. const., 21 janv. 1981, n° 80-127 DC, cons. 48 à 53.
Qui a ensuite muté en « principe fondamental à valeur constitutionnelle » (décision Cons. const., 13 août 1993, n° 93-325 DC, cons. 84).
L. n° 82-506, 15 juin 1982, relative à la procédure applicable en cas de faute professionnelle commise à l’audience par un avocat.
Ce texte est proche du serment des magistrats fixé dans l’ordonnance du 22 décembre 1958, qui dispose : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. » (ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 6).
Charles de Cuttoli, rapporteur de la commission des lois du Sénat, voyait un inconvénient majeur au fait que les juridictions jugent ab irato, mais soient aussi juges et parties. La proposition de modification a donc été de renvoyer les procédures vers le conseil de l’ordre, juge naturel de l’avocat en matière disciplinaire, sous des délais extrêmement courts (8 jours au début des discussions parlementaires, finalement 15 jours), https://lext.so/z2ZYcP.
On mesure la distance qui sépare les règles du Code de procédure civile (CPC, art. 440 précité) avec l’objectif de cette loi. Il semble qu’un contrôle de légalité des dispositions réglementaires n’ait jamais été entrepris.
Charles Lederman, également rapporteur de la commission des lois du Sénat, mettait en exergue le fait que l’Assemblée nationale n’avait pas souhaité que la juridiction soit partie à la procédure, laissant ainsi le procureur général saisir le conseil de l’ordre, et que le délai de 15 jours allongé était suffisant pour instruire le dossier et le juger, https://lext.so/K2Vy8e.
À l’encontre des travaux parlementaires précités qui envisageaient le délai de 15 jours comme un délai préfix, la cour d’appel de Dijon, citée par le bulletin de la Cour de cassation, a considéré ce délai comme un délai interruptif allant jusqu’à une interversion au bénéfice du délai de droit commun : CA Dijon, 15 déc. 1998, n° 99-192 : BICC n° 497, 15 juill. 1999, p. 905.
RIN, art. 1.
Règlement intérieur du barreau de Paris, art. 37.
CSM, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, 16 janv. 2019, https://lext.so/APqXjR.
CSM, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, p. 100.
CSM, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, p. 120.
Constitution du 4 octobre 1958, article 65.
Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 43 à 48.
Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 50-3.
Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 51 à 53.
En 50 ans, soit de 1959 à 2009, le CSM n’a rendu que 237 décisions ou avis en matière disciplinaire, https://lext.so/vkDwVA.
J.-B. Jacquin, « Emmanuel Macron lance le chantier de la responsabilité de magistrats », Le Monde, 23 févr. 2021, https://lext.so/Tt-6Sa.
Voir le projet de loi en cours réformant le statut de certaines professions judiciaires, https://lext.so/etil7B.
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